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DIAL 2757

EQUATEUR - Elections à mi-parcours : la défaite de Lucio Gutiérrez (Bilan d’une politique)

Marcelo Larrea

lundi 1er novembre 2004, par Dial

Lors de son élection présidentielle il y a deux ans, Lucio Gutiérrez incarnait un espoir de changement en Equateur. Il fut même largement soutenu par le parti politique indigène Pachakutik, qui accepta de participer au gouvernement. Mais la politique que mena L. Gutiérrez s’avéra être le contraire de ce qu’il avait promis. Il a désormais perdu tout soutien populaire et se comporte comme un des présidents d’Amérique latine les plus dévoués aux intérêts nord-américains. La défaite quil vient de subir à travers l’échec de son parti dans les élections provinciales et municipales est l’occasion de dresser un bilan de ses deux années de gouvernement. Article de Marcelo Larrea, ADITAL, 25 octobre 2004.


Lucio Gutiérrez a perdu les élections à mi-parcours de son mandat, au cours desquelles sont élus les présidents et les conseillers provinciaux, les maires et les conseillers municipaux, élections auxquelles il a participé en assurant la promotion des candidats de son parti qui ont obtenu un maigre résultat. 4 % appuient sa politique et 96 % la récusent. Voilà qui rend patent le vide dans lequel se débat son gouvernement depuis que, ayant assumé le pouvoir, il a abandonné les perspectives de changements pour lesquelles il a été élu, fragilisant une stabilité déjà précaire et l’exposant à une crise aux dimensions considérables.

La déroute de Lucio Gutiérrez, suiveur docile des politiques néolibérales des Etats-Unis et du FMI, qui ouvre la perspective d’un changement de présidence, contraste radicalement avec la victoire éclatante du président vénézuélien Hugo Chávez, qui, en mettant en avant un programme d’indépendance nationale et en affrontant les pressions puissantes des faucons de Washington et de l’oligarchie locale, a obtenu un large triomphe avec 59 % des votes, ce qui consolide son pouvoir.

Lucio Gutiérrez a pu gagner les élections de 2002, en se présentant comme une alternative à la situation présente. Bénéficiant du prestige de sa participation à l’insurrection populaire au cours de laquelle il déposa le gouvernement de Jamil Mahuad le 21 janvier 2000, il a obtenu l’appui de Pachakutik, bras politique de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE), et d’autres secteurs de la gauche, comme le Mouvement populaire démocratique (MPD), qui assumèrent la coresponsabilité de son élection.

Le peuple a voté pour Lucio Gutiérrez en cherchant à rompre avec la structure politique qui a dominé l’Equateur ces vingt-cinq dernières années. Celle-ci a été faite de la dictature virtuelle d’une « partidocratie » menée par l’ambassade des Etats-Unis et les missions du Fonds monétaire international. Elle a été dirigée dans les coulisses par le Parti social-chrétien qui, basé sur l’oligarchie de la côte pacifique, agit comme sa main droite, et par la Gauche démocratique qui, basée sur l’oligarchie de la sierra andine et mettant en avant un discours aux nuances populistes et aux évocations socialistes sous un masque technocratique, intervient dans les faits comme sa main gauche en défendant les mêmes intérêts des pouvoirs en place.

Un gouvernement pour les Etats-Unis et le FMI

Une fois président, Lucio Gutiérrez a abandonné les perspectives de changements du 28 janvier légendaire, et avec elles le peuple et les intérêts de la nation. Avant même d’assumer son mandat, il n’a pas hésité à se situer dans le cadre imposé par les Etats-Unis et le Fonds monétaire international.

Il s’est soumis au Plan Colombie, et maintenant au Plan Patriote [1]. En appuyant la stratégie guerrière du président colombien Alvaro Uribe, il a permis que son gouvernement mène des opérations militaro-policières en territoire équatorien, en claire violation de la souveraineté nationale. Ces opérations ont inclus la détention à Quito du dirigeant guérillero des (FARC) Simón Trinidad, des incursions armées à la frontière nord et la mobilisation massive de milliers de soldats équatoriens pour collaborer avec l’armée colombienne dans la zone limitrophe, à la charge du budget équatorien.

Utilisant le masque de la guerre antidrogue, il a exposé l’Equateur à une intervention militaire croissante des Etats-Unis. Les activités du Commandement Sud se sont développées sous la houlette de son chef le général James Hill et de l’ambassadrice Kenny au Centre des opérations avancées de la base de Manta, le long de la frontière et à la lisière de l’Amazonie. Un système sophistiqué de patrouille maritime a été mis en place dans le port de San Lorenzo. Des accords ont été négociés qui portent atteinte à la souveraineté territoriale, aérienne et maritime du pays, qui ont déjà entraîné le naufrage de plusieurs bateaux équatoriens par l’armée nord-américaine. Et l’on est dans l’expectative à propos de l’installation d’une autre base du Pentagone dans les îles Galapagos.

Dans le domaine économique, sa politique de sujétion coloniale n’a pas été moins nuisible. Il a remis aux exigences néolibérales du FMI le contrôle de la Banque centrale et le ministère de l’économie, dans le dessein de garantir le transfert de la plus grande partie de la richesse nationale au capital transnational. Le résultat a été une facture sociale dramatique, symbolisée par la mort de nombre de retraités au cours d’une grève de la faim réalisée en protestation contre la destruction du système de sécurité sociale, notamment l’utilisation illégale par la Banque centrale de l’argent des retraites pour soutenir artificiellement la réserve monétaire et autres manipulations. A cela se sont ajoutés la croissance du chômage, la pauvreté, la misère et d’autres effets douloureux, comme l’augmentation du flux migratoire de travailleurs à l’étranger et la grave diminution des indices de nutrition de la population rurale et urbaine.

L’appareil productif a été condamné à une paralysie souterraine et à son démantèlement en raison de la perte du niveau de productivité et compétitivité, due à la dollarisation et à la réduction de la demande intérieure. Le résultat a été la réduction du taux d’inflation, présentée de façon paradoxale par Lucio Gutiérrez comme le grand triomphe de son gouvernement.

Cependant, ayant bénéficié de l’augmentation du prix du pétrole, les indices macroéconomiques ne révèlent pas en surface la tragédie dans laquelle se trouve l’économie équatorienne, malgré la pénalisation dont souffre le pays avec la perte de 17 dollars par baril en raison de la manipulation malhonnête de la commercialisation du pétrole brut.
Actuellement, le gouvernement soutient les négociations des traités bilatéraux de libre-échange que prépare Washington avec la Colombie, le Pérou et l’Equateur. Il agit par l’intermédiaire de la ministre du commerce Ivon Baky, non comme pays souverain mais comme une agence chargée des intérêts des entreprises états-uniennes. C’est au point que les secteurs qui exportent sur le marché nord-américain, comme la pêche, ne se sentent pas représentés par la délégation équatorienne, et les négociateurs de Colombie et du Pérou ne trouvent pas dans les Equatoriens leurs alliés naturels mais ceux des Etats-Unis.

A genoux

Ignorant la signification de son élection et les changements dans les rapports de forces politiques, Lucio Gutiérrez a choisi de transiger avec les pressions extérieures et intérieures. Abandonnant une victoire parlementaire qui avait empêché le leader social chrétien Febres Cordero et son parti d’accéder à la présidence du Congrès, il a laissé se régler la question dans le cadre d’un accord entre la Gauche démocratique et le même Parti social chrétien. Il a ainsi assuré que resteraient sans changement la composition des pouvoirs de l’Etat, la Cour suprême, le Procureur de la nation, le Tribunal constitutionnel, le Contrôleur général des finances et les autres organismes de contrôle. Encerclé par ses propres erreurs, il s’assura, pour se maintenir à la présidence envers et contre tout, que rien ne changerait, et il devint l’otage des manipulations des oligarchies traditionnelles.
Il a tourné le dos à ce qui se passe sur la scène politique latino-américaine, dominée par la déroute des modèles néolibéraux et l’émergence de puissants mouvements de recherche d’alternatives susceptibles de répondre à la crise, comme le manifeste l’évolution politique du Venezuela, Brésil, Argentine, Bolivie et Equateur même où sont apparus des gouvernements populaires et où les masses ont mis en déroute des gouvernements impopulaires. Lucio Gutiérrez a rendu visite à Bush à la Maison Blanche, s’est déclaré son meilleur ami et a appelé les présidents latino-américains à se considérer comme les frères puînés des Etats-Unis.

Il est ensuite allé à Guayaquil visiter Febres Cordero, le leader de l’oligarchie sur la côte connu comme « le maître du pays » (depuis qu’il fut ainsi qualifié par l’ex-président de la Cour suprême Carlos Solórzano), pour rétablir sa position politique réduite à peu de choses par la déroute qu’il a subie dans sa volonté de gouverner le Congrès. Il lui a proposé un co-gouvernement dans les coulisses, ce qui a permis à son parti d’avoir une participation décisive au pouvoir politique et à la gestion économique, en dépit des conflits continuels, réels ou fictifs, et des shows médiatiques montés pour mettre en scène l’idée d’une distance apparente.

Lucio Gutiérrez n’a pas mis en œuvre son propre programme à lui. Celui-ci proposait une réforme politique contradictoire orientée non pas tant vers la démocratisation de l’Etat que vers le renforcement de son autrocratie par la réduction, par exemple, du nombre des députés et aussi le démantèlement de la Cour suprême de Justice soumise à la dictature de la « partidocratie ».

Tout au contraire, il a mis en œuvre le programme d’ajustement structurel ordonné par le FMI, qui a augmenté le tarif des carburants. Il a consacré les ressources fiscales au paiement de la dette. Il a mené une politique pétrolière antinationale, destinée à protéger les intérêts des entreprises pétrolières étrangères et de leurs agents. Il a réduit les droits des fonctionnaires avec une nouvelle loi relative au service civil et aux carrières administratives et il prétend actuellement porter atteinte au droit du travail [2] avec la totale légalisation du système de sous-traitance. Cette orientation est née directement du nouveau rapport de forces créé par sa capitulation face à la stratégie yanki dans la région, et par la domination du Congrès par l’alliance entre la Gauche démocratique et le Parti social-chrétien. Ceci a créé les conditions qui ont précipité la rupture avec la base sociale qui avait élu son gouvernement.

Une fois que le Mouvement populaire démocratique et Pachakutik ont quitté le gouvernement parce que le pouvoir en place ne supportait plus les risques d’une présence des indigènes et des forces de gauche dans le cabinet, il a fini isolé. Sans aucune base politique qui le soutienne à l’exception de son parti la Société patriotique, organisation composée de militaires, policiers, amis et membres de la famille, avec la manipulation des ressources dont le pouvoir exécutif pouvait disposer et avec les accords parlementaires éphémères, Lucio Gutiérrez a gouverné pour l’establishment. Privé de tout pouvoir réel, il a fini dans l’inertie.
Malgré les tentatives successives menées au Congrès pour le destituer, ou pour le renverser par un soulèvement populaire, mesures en faveur desquelles Borja et Febres Cordero se sont prononcés, il s’est maintenu au pouvoir non par sa propre force mais par l’incapacité organique de la « partidocratie » marquée par 25 années de mal-gouvernement, d’offrir une perspective de transformation authentique réelle.

Ceux qui l’ont élu il y a deux ans ont de fortes raisons de se sentir déçus et trahis par son itinéraire fatal. Ils ont donc trouvé, dans les élections à mi-parcours du 17 octobre dernier, l’occasion d’exprimer leur rejet de Lucio. Mais ce rejet ne s’adresse pas seulement à un style personnel. C’est le refus de la politique qu’il représente. C’est l’expression du mal-être de la majorité absolue de la nation en raison de la subordination inconditionnelle aux stratégies guerrières des Etats-Unis et au Plan Colombie/Plan Patriote. C’est l’expression du refus des mesures néolibérales du FMI, du Traité de libre-échange, des créanciers de la dette extérieure, de sa politique pétrolière antinationale remise entre les mains des entreprises transnationales, des conséquences de la dollarisation en matière d’appauvrissement. C’est la condamnation de ses responsabilités dans le massacre des Taromenanis [3], de son insensibilité devant la mort des retraités, de sa façon de jouer avec la terreur dans les attentats criminels comme celui qui a eu lieu contre le président de la CONAIE, Leonidas Iza, de sa perversité dans la gestion des droits sociaux et dans sa politique économique. La signification fondamentale des résultats électoraux transcende par sa nature même la victoire conjoncturelle de la « partidocratie » traditionnelle de l’establishment, qui a bénéficié de l’échec du gouvernement et de l’absence d’une tendance alternative qui puisse l’affronter.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2757.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ADITAL, 25 octobre 2004.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Vaste plan militaire des Etats-Unis pour lutter contre les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) – cf. Dial, l’actualité en bref, juin 2004.

[2Des fonctionnaires.

[3Population indigène d’Equateur qui a été victime d’un attentat ayant fait plusieurs morts en mai 2003.

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