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DIAL 2751 - Dossier peuples indiens

ARGENTINE - « L’Indien ne doit pas être utilisé comme une nouvelle marchandise touristique. »

vendredi 1er octobre 2004, mis en ligne par Dial

L’anthropologue Vilma Pérez y Zarate fait un tour d’horizon des questions majeures qui affectent les peuples indigènes en Argentine (mais ses propos se vérifient en bien d’autres pays d’Amérique latine) : appropriation des terres par les multinationales, situation des ressources naturelles, difficultés rencontrées auprès des médias traditionnels, absence de participation aux politiques publiques... Entretien paru dans ADITAL, 8 juin 2004.


L’expropriation permanente de terres au préjudice de communautés indigènes à l’image de celle que l’on tente de réaliser à Bañado la Estrella, à Formosa, et de celles réalisées à travers l’ensemble du territoire national est une préoccupation incessante qui nous oblige à prendre conscience de la réalité de la situation que vivent les peuples autochtones.

« L’Indien ne devra pas être utilisé comme une nouvelle marchandise
touristique » indique, avec énergie, l’anthropologue Vilma Pérez y Zarate, présidente de l’ONG Runa Wasi ( terme quechua qui signifie « la maison de tous »).

« C’est un centre où nous travaillons en faveur du droit des peuples autochtones et parler de ces droits équivaut à parler du développement de leur culture propre, de leur propre cosmovision, du droit à la terre et du droit à s’exprimer. La reconnaissance de ces droits aura une valeur de réparation historique qui se soldera par la restitution des terres. Parler de démocratie est une tromperie dans une société qui ne prend pas en compte tous les groupes qui la constituent. »

Les activités de Runa Wasi se déroulent dans une bâtisse restaurée située au cœur de Palermo et y pénétrer est une invitation à se laisser griser par la chaleur de la culture indigène qui se dégage de ses productions artisanales.

En novembre, l’an passé, des représentants des peuples autochtones ont été reçus en audience par la ministre Alicia Kirchner.

Que s’est-il passé lors de cette rencontre et quelles décisions y ont été prises ?

Des demandes ont été présentées, on a dit qu’on allait trouver des solutions mais, comme toujours, on en est resté à la manifestation, en paroles, d’intentions. Mais c’est dans les faits que se manifestent réellement les décisions, et aussi les violations, malgré l’existence d’une jurisprudence qui protège les terres des communautés indigènes. Il se produit, par exemple, des situations d’appropriation de territoires dans le nord-ouest argentin, plus précisément dans la communauté guarani Estación del Tabacal, dans la province de Salta. L’appropriation illégale des terres qui reviennent à La Loma a induit une série d’actions telles que l’entrevue qui s’est tenue avec le gouverneur Romero (Juan Carlos) ou la marche organisée au début de l’été, au cours de laquelle les frères guaranis sont venus à pied depuis la province du nord. C’est un autre genre de situation que celle vécue dans la province de Misiones très riche en produits médicinaux, alimentaires et en plantes. Et, de façon précise dans la zone de Pepiri, où sont installées les communautés Tekoa Yama et Tekoa Kapi’i Yvate, et où l’on procède à l’abattage sans discrimination des arbres. L’entreprise Mocona Forestal SA, dont le siège se trouve dans la province de Cordoba et qui a des bureaux à Buenos Aires, a été clairement dénoncée. L’abattage des arbres va de pair avec la destruction de l’environnement dans des zones totalement indigènes, qui appartiennent à des populations guaranis et non pas au gouvernement provincial.

Les multinationales étrangères s’installent dans notre pays avec l’assentiment des gouvernements provinciaux et national. Elles exploitent notre sol et par dessus le marché en emportent les richesses comme l’or, l’eau et le pétrole, ou polluent les nappes d’eau ruinant ainsi non seulement nos sols mais aussi notre santé. Les régions de Neuquen ou de Chubut sont en train de devenir improductives et il semblerait qu’on ne se rend pas compte de ce qui se passe ou que certains se rendent compte et ne veulent pas laisser s’exprimer les réclamations. L’an dernier nous avons mené la lutte aux côtés de nos frères indigènes à Esquel, contre l’installation d’une entreprise privée qui prétendait exploiter l’or.

Face à cet asservissement par des multinationales comme Mocona Forestal ou Meridian Gold (l’entreprise qui avait projeté l’exploitation d’une mine d’or à Esquel), comment s’organisent les communautés indigènes ?

Sous forme pacifique et sous forme violente. Je crois qu’il arrive un moment où, si on continue à ne pas les écouter, il est possible d’en arriver à la violence parce que les communautés doivent défendre leur territoire et leur environnement vital. Pour l’instant toutes ces communautés cherchent l’appui d’organisations non gouvernementales comme la nôtre. Nous recevons des dénonciations, nous constituons alors un réseau avec le Réseau solidaire et nous diffusons à travers quelques moyens de communication. La difficulté avec ces médias, c’est que l’information paraît, est développée, mais il n’y a pas de suivi des cas. Alors la lutte se limite à des problèmes bureaucratiques, à des listes de signatures, à des lettres envoyées aux dirigeants des entreprises, à des diffusions de dénonciations dans des réseaux et à des marches. C’est là ce que nous pouvons faire.

L’article 75 de la Constitution nationale ainsi que la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la loi 23302 proposée par Fernando de la Rua, alors député, accordent une reconnaissance aux peuples originaires, mais, dans la pratique, il n’existe aucune instance de participation de ces communautés à l’élaboration des politiques publiques.

Il existe, aujourd’hui, une culture hégémonique qui domine et tient sous influence la majorité de l’humanité. Qu’advient-il des cultures des peuples indigènes ?

La question est très intéressante. Nous sommes en train de parler d’un continent plein de peuples autochtones aux conceptions diverses et qui ont entre eux des relations diverses. Mais nous ne pouvons pas oublier qu’il y a eu massacre, extermination en grand, au point que pour certains nous n’avons plus de descendants. La seule chose conservée ce sont les restes archéologiques de cultures disparues. C’est une autre situation que celle du métissage. Quelques groupes de populations ont pu survivre dans des zones géographiques isolées, d’autres se sont adaptés ou se sont mélangés. Il y en eut qui perdirent leur culture et d’autres qui lui redonnèrent sens. Face à un phénomène tel que la conquête, une énorme diversité d’autres phénomènes se produisit. Nous ne pouvons aujourd’hui qu’affirmer qu’il y a des peuples qui ont été acculturés, mais beaucoup maintiennent leurs traditions. Des peuples qui, pendant plus de 500 ans, ont dissimulé leur savoir, l’ont protégé et actuellement nous nous trouvons dans un moment de changement, que je n’appelle pas intégration mais bien plutôt communication nouvelle. Nous vivons un moment de rapprochement entre les parties en présence, qui établit un autre type de relation. Le désir qui s’exprime présente davantage d’intérêt car il n’est pas envie de changer l’autre comme en certains moments précis de l’histoire où les gens de gauche se l’étaient proposé, et j’assume ce que nous avons fait car nous voulions les libérer. Les peuples indigènes possèdent des connaissances millénaires, ancestrales, une science très claire de la nature et de leur environnement. Cette connaissance les protège et, nous, nous avons beaucoup à apprendre d’eux. S’ils ont survécu à une pénétration et une acculturation intenses, c’est bien évidemment la preuve qu’ils ont beaucoup à nous apprendre. Nous ne nous posons pas en libérateurs de qui que ce soit.

Vilma Pérez y Zarate refuse de produire une statistique concernant le nombre d’habitants indigènes. Bien que, de par la loi, on aurait dû réaliser un recensement, cela n’a jamais été mis en pratique. Aujourd’hui, l’anthropologue le fait remarquer, un changement s’est produit dans la façon dont les gens s’identifient comme Indiens. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il existe plus de 20 peuples autochtones à travers les 17 provinces de notre pays.

Vous avez, plus haut, fait allusion aux médias : quelle est la place que la presse accorde aux problèmes des indigènes ?

Il s’est passé quelque chose d’intéressant l’an dernier lors de la marche contre la vente aux enchères de la Patagonie et pour l’autogestion des peuples autochtones car tous les médias se sont fait l’écho des réclamations. Les grands organismes ont montré essentiellement des photos de la marche, qui a été la plus importante que, de ma vie, j’ai vue en Argentine. Cependant ils n’ont aucunement fait mention de la mise à l’encan de la Patagonie, nous nous sommes alors rendu compte que les grands médias étaient du côté du pouvoir. Ce sont les médias alternatifs qui ont abordé la problématique dans toute son ampleur.

Comment continue la lutte pour obtenir la prise en compte de ces revendications ?

Je considère que ce que l’on est en train de faire est ce qui convient parce que nous allons nous aussi, réellement, en tirer profit et pas seulement les Indiens. Avoir un pays pluriculturel, avoir des populations différentes, de différentes couleurs et de différentes cultures est un apport pour tous. La lutte continue comme bon leur semble, c’est eux qui la mènent. En ce qui nous concerne personnellement et en tant qu’institution, nous luttons pour l’existence des Indiens, pour qu’ils s’expriment, parce que cela nous semble une énorme richesse culturelle, parce que je veux que les jeunes récupèrent ces valeurs ancestrales de relation avec la terre, avec une spiritualité qui rend grâce pour tout, à la mère terre, au père soleil. Ces valeurs, je les veux pour mes enfants.

Considérez-vous qu’il y a une convergence entre la lutte de ces peuples et la lutte que mènent de nombreuses organisations en faveur d’une vie digne pour tous ?

Oui, il y a une convergence importante.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2751.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ADITAL, 8 juin 2004.

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