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DIAL 2714

PARAGUAY - La présence inconfortable des “ Brésiguayens ”

Alejandro Sciscioli

mardi 16 mars 2004, mis en ligne par Dial

Des politiques gouvernementales en échec, des revendications sociales pour la terre et des mouvements migratoires ont déclenché au Paraguay un conflit au sujet de la possession de terres agricoles frontalières avec le Brésil. Nous sommes au cœur des conflits entre une population d’origine étrangère qui s’est enrichie (les « Brésiguayens ») et une population d’origine locale aux revenus plus modestes, entre la petite agriculture familiale et la production intensive mécanisée. Article d’Alejandro Sciscioli, publié le 15 novembre 2003 dans le réseau latino-américain de Tierramérica.


Au cœur du sujet, il y a d’une part des dizaines de milliers de grands propriétaires brésiliens qui ont laissé leur empreinte dans les zones frontalières et, d’autre part, dix mille familles paraguayennes établies à cet endroit, sans autre ressource que des parcelles de 10 hectares. Les « Brésiguayens », - comme on a l’habitude d’appeler au Paraguay les agriculteurs brésiliens et leurs descendants,- se sont installés au début des années 60 dans les départements de Canindeyú et Alto Paraná au sud-est du Paraguay, limitrophes avec les Etats de Paraná et de Mato Grosso do Sul du Brésil.

On les accuse aujourd’hui de multiples maux, qui vont de la coupe des arbres et de la pollution causée par l’utilisation de produits agrochimiques à l’usage imposé de la langue et de la culture brésilienne dans une vaste zone du territoire paraguayen. Ces accusations viennent surtout de petits producteurs ruraux qui vivent dans les zones en question, et également des organisations des paysans sans terre.
« Tout commence à la fin des années 60 et début des années 70, en pleine apogée du régime de Alfredo Stroessner (1954-1989) » explique a Tierramérica Carlos Tallone, ingénieur agronome et conseiller en entreprises. C’est à ce moment là que l’Institut du bien-être rural (IBR) a acquis de vastes étendues de terres dans les départements de Canindeyú et du Alto Paraná. Et le spécialiste d’ajouter : « L’idée était d’attirer les brésiliens et de leur vendre ces terres, car on avait détecté ce besoin de l’autre côté de la frontière. »

Aujourd’hui les « Brésiguayens » possèdent 1,2 million d’hectares, soit 40% de la superficie totale des deux départements. Et selon des estimations privées, sur 1,5 million d’hectares de soja semé cette saison, 1,2 million appartient aux agriculteurs « brésiguayens ».
La plupart des 37 000 Brésiliens qui vivent dans les zones rurales de Canindeyú et de Alto Paraná sont des « moyens propriétaires » qui possèdent 500 hectares, ce qui les situe « au niveau de la classe moyenne urbaine » d’après Tallone qui ajoute : « Leur seul luxe est d’acheter du matériel agricole moderne . Mais leur influence politique n’est pas prépondérante. »

Dans ces zones vivent environ 295 000 Paraguayens, y compris les descendants d’immigrants brésiliens avec autorisation de séjour. « Il n’y a pas moyen de savoir combien parmi ces résidents sont fils de Brésiliens » dit à Tierramérica Angie Agüero, la coordinatrice de presse de la Direction générale des statistiques. « Dans certaines zones frontalières, renchérit Tallone, on compte plus de 90% de Brésiliens avec leur famille où l’on parle, on lit, on fait l’éducation en portugais. Devant l’absence de l’Etat paraguayen, les colons ont fondé, à leur compte, des écoles, ont embauché des enseignants et ont eu souci de bien d’autres aspects , comme par exemple la santé et la sécurité. » Tallone continue d’expliquer : « Encore aujourd’hui, il n’y a pas une seule autorité paraguayenne effective dans ces zones. »

Pour favoriser l’équilibre de la population, en 1963, l’Etat a commencé à distribuer des parcelles de 10 hectares à des familles pauvres, dans le but de se consacrer à l’agriculture de subsistance. En 1999, il y avait 10 000 familles installées par le biais de cette opération. Mais aucun bénéfice n’en fut tiré. « On a poussé ces personnes dans une campagne dépourvue de chemins, dépourvue de moyens culturels, sans qu’elles sachent ce qu’elles devaient faire. Elles ne sont pas arrivées avec l’intention de produire. Quand il y avait des petites forêts, elles vendaient le bois. Quand le bois fut épuisé, elles n’ont rien fait » déclare Tallone.

« Outre l’absence de l’Etat en plusieurs lieux du pays », il y a une législation permissive, selon l’avis de Julio Brun, fonctionnaire de l’Institut d’Etat du bien-être rural (IBR). « La loi autorise toute personne, même sans autorisation de séjour, à acheter un lopin de terre » explique Brun et il ajoute : « Il y a des Brésiliens qui n’ont pas le statut d’immigrants et qui sont de grands propriétaires. »
Le Mercosur - dont sont membres adhérents l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay -, a adopté en 2002, ainsi que la Bolivie et le Chili, ses membres associés, un accord qui octroie l’autorisation de séjour à tous les citoyens de n’importe quel pays du bloc, dans le but de légaliser la situation de milliers d’immigrants sans papiers. Au Paraguay ce sont 380 000 Brésiliens qui répondent à ces conditions. Mais pour que l’accord puisse entrer en vigueur, il faut que le Parlement le ratifie, ce qui est toujours en suspens.

« Les Brésiliens débarquent et achètent encore aujourd’hui des terres sans aucune difficulté, même si elles sont occupées. Ensuite, ils viennent avec le procureur procéder à l’expulsion », dit à Tierramérica Adolfo Grantze, secrétaire général de l’Organisation nationale paysanne. Selon lui, quand ces faits se produisent et que la police exécute les ordres du jugement, « il arrive que des camarades paient de leur vie la défense de leur lopin de terre ». Le dirigeant faisait allusion aux installations irrégulières de paysans sans terre qui réclament à l’Etat la propriété des parcelles qu’ils occupent. Grantze admet que son mouvement reconnaît à toute personne le droit de vendre sa propriété à qui bon lui semble.
Pour Antonio Ibañez, ministre de l’agriculture et de l’élevage, il s’agit d’un problème qui apparaît avec « une connotation économique et une connotation sociale ». « Les gens ont le droit de vendre leur terre à n’importe qui », ajoute-t-il, « mais nous constatons que l’exploitation familiale de petits producteurs primaires a connu un net recul, ces dix dernières années face à la grande propriété. » C’est ainsi que se sont découragés les agriculteurs locaux, dont un grand nombre a vendu ses terres à des planteurs de soja en majorité « brésiguayens ». Le gouvernement est pris entre deux feux, car nous avons l’engagement social d’appuyer la production familiale, mais nous avons aussi le devoir de soutenir la production intensive mécanisée. Le ministre a écarté l’idée que les critiques soient dues à des sentiments xénophobes dont se plaignent souvent les « Brésiguayens ».


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2714.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Tierramérica, 15 novembre 2003

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