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DIAL 2701

EQUATEUR - Après un an de pouvoir. Le président Lucio Gutiérrez a perdu le soutien du peuple et gagné celui des Etats-Unis

Luis Angel Saavedra

lundi 16 février 2004, mis en ligne par Dial

Alors que l’élection de Lucio Gutiérrez avait suscité beaucoup d’espoir, la déception est grande après un an de gouvernement chez tous ceux qui l’avaient soutenu. Adhésion au Plan Colombie, accords avec le Fonds monétaire international, concessions pétrolières en territoire indigène, privatisations, tels sont quelques-uns des griefs à son encontre. La relation aux peuples indigènes vient de s’aggaver encore avec l’attentat dont Leonidas Iza, président de la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes d’Équateur), vient d’être victime. Texte de Luis Angel Saavedra, Quito, IPS, 21 janvier 2004.


Le président Lucio Gutiérrez vient de terminer une année de gestion gouvernementale avec une grave crise de gouvernance provoquée par une politique en contradiction avec ce qu’il préconisait dans la campagne électorale qui l’a porté à la présidence. Les constants changements dans les décisions administratives et les nominations des principaux fonctionnaires du gouvernement ont généré la méfiance dans les secteurs financiers et une dramatique chute de sa crédibilité publique.
Gutiérrez a commencé son mandat présidentiel le 15 janvier 2003 avec 57% d’opinions favorables, popularité qu’il a conservée malgré les dures mesures économiques qu’il a adoptées une semaine après la prise en charge de ses fonctions et qu’il a justifiées comme nécessaires pour surmonter le trou fiscal de deux milliards de dollars qu’avait laissé le gouvernement sortant du président Gustavo Noboa (2000-2003).

Les sacrifices des secteurs les plus démunis n’ont pas été compensés par une gestion transparente du nouveau président. Au contraire, Gutiérrez a fait étalage d’un népotisme sans précédent, ainsi que d’une constante militarisation de l’appareil gouvernemental.

La majorité des nouveaux fonctionnaires qui ont été nommés viennent des cercles de familles proches et de militaires qui avaient manifesté leur loyauté envers le colonel qui, le 21 janvier 2000, avait pris la tête d’une insurrection populaire contre le gouvernement présidé par Jamil Mahuad (1998-2000). Celui-ci avait soutenu une politique qui favorisait le système bancaire et avait mis en place le système monétaire qui imposa le dollar comme nouvelle monnaie du pays.

L’arrivée de Gutiérrez au pouvoir avec l’appui du mouvement indigène et de divers secteurs de gauche, avait fait naître beaucoup d’attentes dans les milieux latino américains.

Cependant, une fois à la présidence, Gutiérrez tomba dans une série de contradictions. Les premières déclarations de politique internationale l’alignèrent complètement sur la politique économique et militaire proposée par les Etats-Unis ; il appuya la mise en œuvre du Plan Colombie, militarisa la frontière avec la Colombie et offrit aux autorités colombiennes de s’installer en territoire équatorien pour qu’elles puissent administrer les territoires où elles ne pouvaient demeurer, notamment la région de Putumayo.

Dans le domaine économique, Gutiérrez a choisi de suivre les prescriptions du Fonds monétaire international (FMI) ; il s’est éloigné de ses alliés indigènes, y compris des militaires nationalistes qui formèrent le Mouvement 21 janvier, et a cherché l’appui du Parti social-chrétien, de droite, et de divers fonctionnaires de régimes néolibéraux antérieurs pour développer l’exploitation pétrolière, geler les salaires et affronter la protestation populaire.

Même si les indicateurs macroéconomiques sont acceptables - comme le fait d’avoir terminé l’année 2003 avec une inflation de 6% et une augmentation des exportations, spécialement du pétrole - obtenant ainsi une diminution de 63% du déficit de la balance des paiements selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), on ne peut cacher la décélération continue de l’économie, car l’année dernière elle n’a crû que de 2%.

Pour maintenir les orientations économiques du FMI, Gutiérrez n’a pas hésité à réprimer les secteurs qui se sont opposés à sa politique : ainsi il militarisa la communauté de Sarayaku, en Amazonie, pour garantir la prospection pétrolière de la Compagnie générale des combustibles (CGC), propriété argentine. De la même manière, il imposa la construction, placée sous surveillance militaire, de l’oléoduc de brut lourd (Oleoducto de Crudos Pesados OCP), qui traverse de fragiles écosystèmes andins et amazoniens. Il ne respecta pas non plus les accords économiques passés avec les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’agriculture, ce qui provoqua une série de grèves comme celle des enseignants, qui se termina fin décembre, après 7 semaines de fermeture des écoles et des collèges publics.

Gutiérrez n’a pas davantage pu freiner la corruption ni faire juger aucun des banquiers en fuite, comme il l’avait proposé lors de sa campagne électorale. Au contraire, il a dû affronter divers cas qui impliquent quelques uns de ses très proches collaborateurs.

Mais le scandale le plus grave s’est produit lorsqu’on a su que sa campagne électorale aurait été financée par le narcotrafiquant présumé Cesar Fernandez, capturé le 23 octobre dans le cadre de l’opération policière « Anniversaire », lequel s’avéra être un étroit collaborateur de la campagne électorale de Gutiérrez à Manabi, province dont il fut le gouverneur pendant le gouvernement de l’ex-président Sixto Duran Ballen (1992-96).

Ce scandale donna l’occasion à divers secteurs politiques de demander la démission du président ; ils furent déboutés, mais la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE) n’est pas disposée à le laisser gouverner et a annoncé à partir du 14 février 2004 des mobilisations dans le but de le renverser.

La CONAIE et l’Assemblée des mouvements indigènes et sociaux réunis à Quito le 22 décembre ont décidé de se mobiliser pour obtenir le départ de Gutiérrez. Elles l’ont déclaré « traitre, pour n’être pas cohérent avec les principes et les programmes qui lui ont permis de triompher dans les urnes et pour s’être subordonné une fois de plus au Parti social-chrétien et aux principes du FMI qui ont renforcé le modèle néolibéral, la corruption et la pauvreté pour 80% des Equatoriens ».


Un attentat contre le président de la Confédération des nationalités d’Equateur

« Le conseil de gouvernement de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE) attribue au gouvernement de Lucio Gutiérrez la tentative d’homicide à l’égard du président de la CONAIE Leonidas Iza et de sa famille qui ont été lâchement agressés avec des armes à feu dans le bâtiment de l’organisation, la nuit de ce dimanche 1er février, à son retour d’un voyage à Cuba où il avait assisté à la Troisième rencontre continentale de lutte contre l’ALCA [1].

Leonidas Iza, président de la CONAIE, a considéré que l’attentat a été perpétré contre lui pour des raisons politiques, étant donné que l’on connaissait l’existence d’une LISTE NOIRE comportant les noms de tous les opposants au régime, et qu’elle fut publiée par Alejandro Nájera, dirigeant de la Société patriotique. (...)

Face à ce fait, la CONAIE a déclaré l’etat de mobilisation nationale de toutes ses organisations de base et rend le gouvernement responsable de la vie et de la sécurité des autres dirigeants et en particulier de leurs familles.

Il est nécessaire de rappeler que le président Lucio Gutiérrez a déclaré de façon publique et catégorique qu’il combattra toute forme de manifestation et de mobilisation sociale de ses adversaires « par les armes et les lois ».

Le président de la CONAIE a appelé tous les secteurs, mouvements sociaux, indigènes, paysans et pauvres en général, à être attentifs et vigilants, car cet attentat ne vise pas seulement le président de la CONAIE, mais il s’agit d’actions répressives contre tous ceux qui ne partagent pas la politique inhumaine et perverse du régime.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2701.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, 21 janvier 2004.

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[1Aire de libre commerce des Amériques.

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