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DIAL 2697

MEXIQUE - Une nouvelle étape du zapatisme. Caracoles et conseils de bon gouvernement

Jorge Alonso

vendredi 16 janvier 2004, mis en ligne par Dial

Après avoir donné l’impression d’un certain essouflement, voire d’une crise annonciatrice d’une fin prochaine, le mouvement zapatiste a refait publiquement surface en juillet et août 2003, manifestant une fois de plus sa capacité d’innovation dans la fidélité à ses objectifs. Des communautés autonomes ont vu le jour, avec des règles de gouvernement conformes aux traditions indigènes, sans ignorer pour autant des exigences liées à la situation particulière du Chiapas. L’autonomie se met donc en place, sans séparatisme par rapport à l’État fédéral et avec une forte pratique de solidarité entre les communautéss. Ainsi sont nés cinq “caracoles”, nom donné à ces communes autonomes, gérées par des “conseil de bon gouvernement”. C’est l’ensemble de cette intéressante et prometteuse évolution que nous présente l’article de Jorge Alonso, paru dans Envío, novembre 2003.


Près de la moitié de l’État du Chiapas est organisé par le zapatisme en cinq communautés dites « caracoles » (escargots) avec, à leur tête, « un conseil de bon gouvernement » Il s’agit d’une initiative intéressante et originale. Les conseils se sont installés en août à Oventic, localité à l’entrée de laquelle les visiteurs peuvent lire le message de bienvenue suivant : « Ici commande le peuple et le gouvernement obéit. »

Alors que l’on croyait le zapatisme à bout de souffle, le mouvement s’est manifesté en juillet et août 2003, pour annoncer des initiatives qu’il nourrissait depuis neuf mois. À ce moment là, les zapatistes reconnurent que leur mouvement ne faisait que des mécontents. Quand on espérait d’eux qu’ils parlent, ils se taisaient ; lorsqu’on souhaitait leur silence, ils parlaient ; quand on voulait qu’ils dirigent, ils se mettaient en retrait ; lorsqu’on voulait les reléguer à l’arrière, ils empruntaient une autre voie.

Ils irritaient y compris leurs sympathisants. Pourtant, les zapatistes eux-mêmes étaient les premiers à se moquer de leur excentricité » : ils ne triomphaient pas, mais ils n’étaient pas non plus à l’article de la mort. En réapparaissant, ils ont indiqué clairement qu’ils refusaient le martyre comme la soumission. Loin de se soumettre, ils s’obstinaient à vivre.

Le moment choisi par les zapatistes pour reprendre la parole était marqué par une tension extrême. Devant le regain de faveur dont ils avaient bénéficié aux élections nationales et locales, les partisans du PRI [1] s’étaient enhardis, les groupes paramilitaires retrouvaient de leur vigueur et de leur agressivité, et les communautés du Chiapas dénonçaient un climat semblable à celui qui avait précédé le massacre d’Acteal [2].

Une avalanche de communiqués du commandant Marcos

Trente communes du Chiapas sous le contrôle de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) depuis 1994 et qui s’étaient proclamées « autonomes » demandèrent au sous-commandant Marcos de se faire temporairement leur porte-parole, à la suite de quoi, entre la fin juillet et le début août 2003, Marcos publia dix communiqués, une déclaration et un message enregistré pour expliquer, d’une part, ce que serait l’organisation de ces communes et, d’autre part, les rapports qu’elles auraient avec la société civile nationale et internationale.

Marcos confirma sa décision de n’avoir aucun contact avec le gouvernement mexicain ni avec les partis politiques. Il jeta le discrédit sur la campagne électorale récente, en soulignant que le peuple avait répondu par un énorme abstentionnisme ; il accusa la classe politique – dans laquelle il rangeait tous les partis et l’ensemble des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire – d’avoir mis fin aux espoirs de millions de Mexicains et de milliers de personnes d’autres pays, qui demandaient que l’on reconnaisse les droits et la culture des peuples indiens du Mexique ; et il affirma que les zapatistes continueraient d’utiliser la résistance comme moyen de lutte. Le fil conducteur de tous ses messages étaient le suivant : les zapatistes appliqueraient unilatéralement les Accords de San Andrés [3] dans les zones du Chiapas sous leur contrôle.

Origine des Aguascalientes

Le premier changement annoncé par les zapatistes fut la disparition des Aguascalientes. Dans un de ses messages, Marcos rappela l’origine de ce lieu.

Les premiers communiqués zapatistes coïncidèrent avec le retour de l’ex-président Salinas de Gortari sur la scène politique mexicaine. Les zapatistes se rappelèrent le parcours de ce personnage – président grâce à une fraude électorale sans précédent –, dont l’une des réformes impopulaires consista à priver les paysans de leur droit à la terre. Le modèle imposé par Salinas ruina des millions de Mexicains. Face à la politique néolibérale appliquée par son gouvernement, qui équivalait à une guerre d’extermination, à un ethnocide, l’EZLN prit les armes dans le but d’attirer l’attention de la communauté internationale.

Tout en sachant qu’ils n’avaient aucune chance sur le plan militaire, les zapatistes ne songeaient pas à devenir des martyrs, mais à vivre. Bientôt, la société civile somma les zapatistes de suivre une autre voie, de lutter par la parole et non par les armes. Avec ce nouvel outil, la parole maîtrisée, ils avaient besoin d’un espace où apprendre à écouter et à communiquer avec cette entité qu’ils appelèrent la société civile pour la distinguer du monde politique. C’est ainsi qu’ils décidèrent de construire dans le Chiapas, à Guadalupe Tepeyac, un emplacement auquel ils donnèrent le nom d’Aguascalientes, et qu’ils remirent à la société civile le 8 août 1994.

L’année suivante, le président Zedillo détruisit Aguascalientes et installa une caserne à sa place. Les zapatistes construisirent alors cinq Aguascalientes dans cinq autres communes (Oventic, La Realidad, La Guarucha, Morella et Roberto Barrios), toujours pour en faire des espaces de dialogue entre la population et la société civile et internationale. Ces lieux de rencontre et porteurs d’initiatives firent des petits à Mexico et à Madrid.

Fin des Aguascalientes : ni pitié, ni aumônes

Les zapatistes annoncèrent que, désormais, les Aguascalientes avaient rempli leur mission. Et qu’ils avaient mis à jour des problèmes auxquels il convenait de remédier. Comme les communiqués des zapatistes arrivaient au compte-gouttes, l’annonce de la fin des Aguascalientes déconcerta initialement plusieurs observateurs, qui craignirent que le mouvement s’isole un peu plus.

Un des problèmes posés par le rapport qu’entretenaient les zapatistes avec la société civile tenait au fait que l’on manquait parfois de respect à leur égard. Il ne s’agissait pas d’insultes, mais d’attitudes désobligeantes (pitié, aumônes, etc.), comme en témoignaient des exemples très concrets : les populations recevaient des ordinateurs hors d’usage, des médicaments périmés, des vêtements excentriques, des chaussures dépareillées… Certaines ONG et organisations internationales élaboraient des projets de développement, avec des objectifs et des délais qu’elles imposaient aux populations sans les avoir consultées. En quoi ces projets se différenciaient-ils des aides que le gouvernement offrait à ces communautés en échange de leur soumission ?

Les zapatistes soulignaient que, face aux ingérences du gouvernement, ils avaient poursuivi leur résistance, en faisant de la pauvreté une leçon de dignité, et non un appel à la pitié. Leur mouvement, disaient-ils, était opposé au paternalisme et à l’assistanat, d’où qu’ils viennent et, avec les communes autonomes, ils avaient prouvé qu’ils étaient capables de se gouverner. Avec la disparition des Aguascalientes, ils voulaient mettre fin au régime d’aumône et au paternalisme. Marcos reconnaissait toutefois dans ses communiqués que, pour forger l’autonomie indigène, les zapatistes n’avaient pas été seuls et remerciaient pour le soutien fourni par la société civile.

Changement de vie dans les communes autonomes

Les zapatistes proposaient de remplacer les Aguascalientes par les dénommés caracoles, du nom du centre du territoire géographique que régiraient cinq Conseils de bon gouvernement dans les communes autonomes. Les nombreux communiqués de Marcos ne manquèrent pas d’expliquer en quoi consisteraient les caracoles, projet qui a valeur d’enseignement du zapatisme à la société civile.

Devant le refus de l’État mexicain de reconnaître pleinement les droits des indigènes et d’inscrire les Accords de San Andrés dans la loi, les zapatistes annonçaient qu’ils veilleraient à ce que ces accords deviennent réalité dans la vie quotidienne. De fait, de la même manière, ils avaient consolidé lentement leurs communes autonomes.

Depuis 1994, ces communes sont gérées démocratiquement par les populations elles-mêmes. Quiconque ne remplit pas bien ses fonctions est remplacé. Il s’agit d’un travail non rémunéré, effectué au profit de la collectivité et par roulement, selon une vieille tradition des communautés, à laquelle le zapatisme a ajouté de nouveaux éléments, en insistant sur le principe du « commander en obéissant ». Dans les communes autonomes sont privilégiées les activités qui touchent à la santé et à l’éducation, en dépit d’un état de pauvreté extrême. Des cliniques se sont construites avec le soutien de la société civile et les zapatistes mettent l’accent sur la formation d’agents de santé pour mener des campagnes d’hygiène et de prévention. On a également bâti des écoles, au sein desquelles des éducateurs et leurs campagnes d’alphabétisation jouent un rôle capital. Le contenu de l’enseignement donné dans les écoles zapatistes est approuvé par les conseils autonomes. Les zapatistes sont fiers de voir que les filles – depuis toujours coupées du système scolaire – fréquentent aujourd’hui les écoles.

Les conseils à la tête des communautés, expliquaient également les zapatistes dans leur message, s’occupent aussi de tout ce qui concerne la terre, le travail, le commerce, le logement, l’alimentation, le transport, la culture, l’information et l’administration de la justice. Une grande réussite du régime d’autonomie a trait à la dignité de la femme : la lutte contre l’habitude consistant à « vendre » les femmes, qui jusqu’à présent n’étaient pas libres de choisir leur mari, va de l’avant. Et il existe désormais une loi progressiste pour les femmes, même si elle n’est pas toujours appliquée.

Le zapatisme a réussi à inscrire ces pratiques collectives dans une autre instance, régionale, qui regroupe un ensemble de communautés au sein des communes autonomes. A ce niveau, chaque communauté a son responsable. Le tout est chapeauté par une autre instance qui intègre groupes et régions. L’EZLN intervient dans ces instances. Marcos reconnaissait dans ses messages que la démocratie directe communautaire y avait un côté militaire. Du niveau local au niveau régional, l’autogestion s’exerçait à l’ombre de la structure militaire de l’EZLN, même si les responsables de cette dernière n’intervenaient pas dans l’élection ni le renouvellement des autorités et, pour pouvoir occuper une charge, ils devaient renoncer à tout poste au sein de l’EZLN.
Durant des années, ces communes autonomes ont entretenu des liens avec les communautés zapatistes, les communautés non zapatistes du Chiapas, et la société civile, tant nationale qu’internationale.

Inégalité entre les communes

Après plusieurs années de fonctionnement sous cette forme, les zapatistes firent un bilan des résultats obtenus par ces communes et mirent au jour un grave problème : du fait de la disparité des rapports avec la société civile nationale et internationale, certaines communes possédaient plus de ressources que d’autres, ce qui avait entraîné une inégalité de développement entre les communes autonomes ainsi qu’entre les communautés et les familles, les principales bénéficiaires étant celles qui abritaient les Aguascalientes et auxquelles on accédait le plus facilement par les moyens de transport. Il en était résulté des tensions et des déséquilibres internes, et il était nécessaire de faire contrepoids à ces inégalités. Comme dans toute société humaine, il se produisait également des problèmes à l’intérieur des communautés zapatistes, problèmes dont la solution incombait aux autorités autonomes. Toutefois, les conflits, tensions et affrontements les plus graves avaient eu lieu avec les communautés non zapatistes. Certaines se plaignaient de ce que les autorités ne respectaient pas les droits des non-zapatistes, autre défaut auquel devait remédier la nouvelle organisation que les zapatistes se proposaient de créer.

Cinq caracoles, cinq désignations

Les zapatistes attribuèrent aux caracoles diverses fonctions dont celle, au premier chef, d’être comme une porte d’entrée dans les communautés et une ouverture sur l’extérieur. Etre « comme une bouche qui porte la parole au loin et écouter la parole qui vient de loin ». Un nom a été donné démocratiquement à chacune de ces cinq communautés : pour celle de La Realidad, ‘Mère des caracoles de l’océan de nos rêves’, pour celle de Morelia, ‘Tourbillon de nos paroles’, pour celle de La Garucha, ‘Résistance pour une aube nouvelle’, pour celle de Roberto Barrios, ‘Le caracol qui parle pour tous’ et pour celle d’Oventic, ‘Résistance et rébellion au service de l’humanité’.

Conseils de bon gouvernement

Chaque Caracol a été doté d’un conseil de bon gouvernement, premier organe officiel d’administration des communes autonomes. Un bâtiment a été construit pour chaque conseil afin qu’il puisse fonctionner. Les conseils reçurent pour principale consigne celle de « commander en obéissant ». On les chargea de régler les problèmes de la communauté et d’être un pont entre elle et le monde extérieur. On leur confia la charge de parer aux différences de développement observées entre les communes autonomes et les communautés, et d’intervenir dans les conflits qui surgiraient tant entre les communes autonomes qu’entre ces dernières et les communes officielles. Ils avaient aussi pour fonction de prêter soigneusement attention aux plaintes émises contre les conseils autonomes pour cause d’infraction aux droits humains, en étudiant les cas, en faisant des enquêtes et en trouvant une façon appropriée de répondre aux plaintes et de rectifier les anomalies.

Les conseils de bon gouvernement sont chargés de ce qui suit : veiller à la réalisation des projets et tâches communautaires dans les communes autonomes ; développer le soutien aux projets communautaires ; s’assurer de l’application des lois zapatistes ; seconder et guider la société civile au cours des visites dans les zones rebelles ; encourager les projets productifs ; installer des camps de la paix ; effectuer des enquêtes dans l’intérêt des communautés. Il leur appartient en outre de promouvoir et approuver – d’un commun accord avec le Comité clandestin révolutionnaire indigène – Commandement général EZLN (CCRI-CG) – la participation de membres des communes autonomes à des activités en dehors des communautés rebelles.

Les zapatistes décidèrent de placer les conseils sous la coupe du CCRI-CG de l’EZLN pour surveiller leur fonctionnement et éviter les actes de corruption ou d’intolérance, les comportements arbitraires, les injustices et les dérives à l’égard du principe « commander en obéissant ».
A l’instar des caracoles, les cinq conseils de bon gouvernement furent baptisés d’un nom choisi par les conseils autonomes : ‘Vers l’espoir’, ‘Cœur de l’arc-en-ciel de l’espoir’, ‘Chemin du futur’, ‘Semence nouvelle qui va germer’ et ‘Cœur central des zapatistes devant le monde’.

Un « impôt fraternel » de 10%

Les conseils commencèrent par lancer trois trains de dispositions. Premièrement : les dons et soutiens de la société civile ne pourront être destinés à une personne en particulier ni à une communauté ou une commune déterminée. Le conseil de chaque Caracol verra, après une évaluation, à qui les dons doivent aller et où sera réalisé le projet correspondant. Il sera prélevé sur chaque projet un « impôt fraternel » de 10 % destiné aux communautés ne bénéficiant d’aucun soutien. Il a été décidé de refuser les aumônes, les surplus ainsi que les projets imposés.

Deuxième train de dispositions. Sont reconnues en tant qu’entités zapatistes – collectives et individuelles – uniquement celles qui se font immatriculer comme telles auprès des conseils, pour éviter tout risque de supercherie. De même, les excédents ou le produit de la commercialisation de produits des coopératives et sociétés zapatistes seront remis aux conseils pour soutenir les communautés qui ne pourraient commercialiser leurs produits ou qui ne recevraient aucune aide.

Troisième train de dispositions. Il comprend tout ce qui se rapporte à l’identification des zapatistes à l’extérieur, et vise à empêcher que des gens malhonnêtes se fassent passer pour des zapatistes dans l’intention d’abuser la société civile nationale et internationale. Il a été dit clairement qu’il n’existait à Mexico aucun centre d’entraînement des zapatistes.

Les conseils furent chargés d’octroyer des accréditations, qu’il était recommandé de vérifier. Il était entendu que les conseils de gouvernement pourraient prêter main forte à des communautés non zapatistes, mais sans leur imposer quoi que ce soit.

Partage du Mexique en trois, selon le Plan Puebla Panama

Parallèlement à cette initiative intéressante, les zapatistes annoncèrent l’élimination des postes de contrôle de l’EZLN, la disparition du prélèvement d’un impôt sur les routes du territoire rebelle et le maintien de la fouille uniquement pour les véhicules suspects de transporter du bois, de la drogue ou des armes.

Outre cette réorganisation interne en profondeur pleine de promesses, l’EZLN proposa cinq plans au niveau national et international. Pour les zapatistes, il n’y avait pas lieu de craindre une fragmentation du pays une fois qu’ils auraient acquis leur autonomie, et personne n’était animé d’un sentiment séparatiste ; la seule chose qu’ils réclamaient, c’était le droit de se gouverner par eux-mêmes. Ils se disaient fiers de leur identité mexicaine, tout en exigeant que l’on reconnaisse et que l’on respecte également leur identité indigène.

Conscients de la fragmentation actuelle du pays, ils dénoncent que le grand projet séparatiste est le Plan Puebla Panama (PPP), qui partagerait le Mexique en trois. S’agissant du nord du pays, le PPP le place dans une logique productive et commerciale en l’intégrant aux États-Unis et en en faisant une grande maquila [4]. Le centre du Mexique est réduit à un centre commercial où s’approvisionnent les consommateurs. Et le sud-est est assimilé à une grande propriété, une réserve de chasse pour les puissants de la planète, un territoire de conquêtes de ressources naturelles. Selon les zapatistes, les détenteurs du capital national ont peur des organisations sociales, alors que ce sont les banquiers étrangers qui les dépouillent de tout et les soumettent à un capitalisme sauvage.

Convaincus de ce que la mondialisation du capital vise à la destruction de l’État national, les zapatistes constatent des résistances fortes et d’envergure face aux desseins des puissants et des chemins de rébellion sur tout le territoire mexicain. Le durcissement des mouvements sociaux leur font prédire des problèmes pour le PPP et ils répètent qu’on n’acceptera pas le PPP sur les terres zapatistes.

Cinq plans pour les cinq caracoles

Les zapatistes lancèrent également un plan pour chacun des cinq caracoles. Le premier plan, dénommé Plan de la réalité Tijuana (Reali-Ti) consiste à réunir toutes les résistances qui s’affirment au Mexique pour reconstruire la nation mexicaine « depuis la base ». Un des grands principes du zapatisme étant de bâtir un monde ouvert à tous, il s’y est ajouté quatre autres plans à portée planétaire. Le deuxième plan est dénommé Morelia-pôle Nord. Les Caraïbes, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud font l’objet du troisième plan baptisé La Garucha-Terre de Feu. À l’Europe et à l’Afrique correspond le quatrième plan, appelé Plan Oventic-Moscou. Le cinquième plan, dénommé Roberto Barrios-Nouvelle Delhi, est destiné à l’Asie et l’Océanie. Pour tous ces plans, un même axe : la lutte pour l’humanité et contre le néolibéralisme.
Des milliers de personnes réunies en France pour préparer ce qui allait se révéler, à Cancún, un dérapage de l’OMC saluèrent l’avènement des caracoles zapatistes.

« Les armées ne sont pas faites pour gouverner »

L’inauguration des caracoles eut lieu le 10 août à Oventic. La fête était ouverte à tous, mais les zapatistes avaient averti qu’ils n’inviteraient pas la classe politique et qu’ils ne rencontreraient aucun de ses représentants. Dix mille personnes – zapatistes de base, organisations indigènes de divers États, organisations paysannes, membres de syn
dicats et militants provenant de divers pays – participèrent aux célébrations.

Les dirigeants zapatistes y prirent la parole. Le sous-commandant Marcos n’était pas présent. Selon la rumeur, il souffrait de troubles intestinaux. Certains observateurs ont trouvé que cette absence avait gâché la rencontre alors que, pour d’autres, elle montrait bien qui était véritablement aux commandes.

Par la voie d’un enregistrement, le commandant Marcos s’est félicité de la naissance des conseils, en prédisant que leur exemple serait imité dans tout le Mexique et dans le monde. Puisqu’il avait rempli la tâche que les communes autonomes lui avaient temporairement confiée – celle d’être leur porte-parole par le biais de communiqués –, il leur rendait l’écoute, la voix et le regard. Désormais, tout ce qui se rapporterait aux communes autonomes était du ressort de leurs autorités et des conseils de bon gouvernement.

Marcos apporta des éclaircissements très importants sur l’organisation en territoire rebelle. L’EZLN ne devait pas être le porte-parole des gens aux commandes – même dans le respect des règles d’obéissance –, parce que le zapatisme se voulait la voix des gens d’en bas, des administrés. L’EZLN avait pour mission de défendre les communes et les conseils. Il a ajouté que, en territoire zapatiste, sur les terres des communes autonomes et des conseils, les autorités ne pourraient recourir aux milices de l’EZLN pour gouverner. Elles doivent gouverner par la raison et non la force. Pour Marcos, le rôle des armées est de défendre, et non de gouverner. Et c’est ce que ferait l’EZLN : défendre les communautés contre les agressions d’un mauvais gouvernement, des paramilitaires et de tous ceux qui leur voulaient du mal.

Des réactions positives

Le gouvernement mexicain a été dans l’impossibilité de réagir immédiatement à la relance du mouvement zapatiste, qui réaffirmait sa rupture avec lui et avec la totalité de la classe politique. Dans un premier temps, le ministre de l’intérieur indiqua que le gouvernement ne pouvait donner son aval aux caracoles. Par la suite, il nuança son discours, en déclarant que le gouvernement respecterait les actions que l’EZLN mènerait dans le respect de la Constitution et dans un souci de dialogue. Mais le lancement des caracoles obligea les hauts fonctionnaires à revoir la situation. Puis les caracoles furent reconnus par les hautes autorités, au motif qu’ils étaient constitutionnels parce que constituant des formes d’organisation interne. Le gouvernement fédéral se réjouit de ce que le zapatisme s’affirme comme un mouvement civique et non militaire. Le coordonnateur des pourparlers de paix en suspens vit d’un œil positif le fait que se développent de nouvelles formes d’organisation politique. La directrice de la nouvelle Commission nationale pour le développement des peuples indigènes, Xóchitl Gálvez, reconnut que la seule façon de renouer le dialogue résidait dans une nouvelle réforme constitutionnelle parce que le texte promulgué ne satisfaisait pas les communautés indigènes ni l’EZLN. Pour répondre aux interprétations qui tendaient à s’imposer au sein du gouvernement, elle a insisté sur le fait que les conseils n’étaient pas un État dans l’État, et elle s’est réjouie de ce que les communautés tentent l’expérience de l’autonomie.

« Une initiative de grande envergure »

Selon les propos du représentant du gouvernement du Chiapas chargé de la réconciliation des communautés en conflit, l’initiative zapatiste témoignait des efforts menés par les communautés pour trouver de nouvelles solutions à leurs difficultés. D’autre part, selon le gouverneur de l’Etat, le désir d’améliorer l’existence des indigènes de la forêt et des hauts plateaux du Chiapas, qui abritent les communes autonomes, n’allait pas à l’encontre de la loi, et les nouvelles actions de l’EZLN reflétaient la volonté de substituer la politique à la guerre.

L’initiative zapatiste ne trouva pas un écho aussi favorable dans toute la classe politique du pays. Les législateurs locaux du PRI et les membres du PAN [5] au Chiapas annoncèrent qu’ils rejetaient les conseils. Ils furent rejoints en cela par bon nombre de législateurs fédéraux membres de ces deux partis, qui prétendaient que les conseils constituaient une violation de l’Etat de droit. Certains PRI virent dans les conseils une réponse à la détérioration de la gestion du PAN et au renforcement de l’influence du PRI au sein du groupe. Premièrement, le porte-parole du PAN somma le gouvernement de ne pas tolérer des activités illégales qui risquaient d’être très préjudiciables pour la structure institutionnelle du Mexique, en plus de taxer Marcos d’être « un cacique post-moderne » lorsque le ministère de l’intérieur réaffirma sa position en déclarant que les conseils ne contrevenaient pas à la Constitution.

Pour le tout nouveau député du PRD (Parti de la révolution démocratique), Manuel Camacho – qui fut le premier interlocuteur entre le gouvernement et le zapatisme en 1994 –, Marcos s’était repositionné en lançant une initiative de grande envergure. Selon le dirigeant du PRD Cuauhtémoc Cárdenas, la création des conseils représentait un important pas en avant, en offrant des outils de travail aux communautés et communes de la zone rebelle.

Les évêques mexicains, pris entre leurs liens avec le pouvoir et avec les mouvements populaires, précisèrent également leurs positions. Pour le secrétaire de la Commission épiscopale de pastorale indigène de la Conférence épiscopale mexicaine, les conseils étaient synonymes de « ségrégation ». Le cardinal de Mexico émit le vœu que la réapparition des zapatistes ne soit pas une fois de plus une opération médiatique, comme cela avait été le cas lors de la visite de Mme Mitterrand et des activistes italiens. Quant à lui, l’évêque de San Cristóbal de las Casas applaudit à la création des conseils, estimant que le zapatisme avait franchi une nouvelle étape et qu’il devait être entendu de la société. Selon lui, dans son communiqué, l’EZLN avait fait preuve d’humilité en reconnaissant que la mise en pratique de son projet de nouvelle société n’était pas toujours juste et équitable, qu’elle entraînait des violations des droits humains dans certains cas, et que l’idéologie zapatiste était parfois imposée par la force.

Une réponse et un modèle à considérer

Dans le nord du Mexique, 244 représentants d’organisations et autorités traditionnelles indigènes des peuples Mayo, Rarámuri et Odomi constituèrent l’Alliance des peuples indigènes du Nord et du Nord-Ouest. Le Congrès national indigène s’est félicité de ce que, dans les faits, le processus d’autonomie indigène soit enclenché. Selon l’Assemblée nationale, indigène et plurielle pour l’autonomie, l’autonomie était la réponse du peuple à la crise des partis, une nouvelle façon de faire de la politique, un projet à long terme, et un modèle.

Après le retour de l’EZLN sur la scène, 75 organisations indigènes de tout le pays se réunirent au Chiapas. Elles prirent la défense des processus d’autonomie en cours d’expérimentation, en expliquant que, face à la perte de crédibilité, de légitimité et de représentativité des partis, l’autonomie représentait l’alternative. Elles donnèrent leur accord au Plan zapatiste Reali-Ti. Le Conseil du Guerrero-500 ans de résistance indigène décida de se pencher sur le modèle des caracoles. Et, à Veracruz, plusieurs peuples indigènes annoncèrent leur intention de créer des conseils à l’image de ceux des zapatistes. Des communautés indigènes du Michoacán déclarèrent qu’elles créeraient 18 communes autonomes.

De nombreuses organisations paysannes virent dans les conseils de bon gouvernement un instrument exceptionnel de démocratie populaire. Les organisations ouvrières groupées au sein de la Convergence syndicale et sociale (syndicats des électriciens, des téléphonistes, de la Sécurité sociale, de la UNAM - Université nationale autonome du Mexique) apportèrent leur appui à l’autonomie zapatiste.

Le temps du dialogue

Le 1er septembre, lors de son discours traditionnel, le président Fox fit une allusion aussi brève que générale aux peuples indigènes, dans laquelle il réaffirma la position du gouvernement, consistant à offrir de l’assistanat. Pas un mot du zapatisme. Le gouvernement Fox lance des invitations officielles au dialogue, mais en ayant la certitude que l’EZLN n’est pas en mesure de négocier. Il croit que le mouvement zapatiste pourrait dialoguer, mais qu’il ne négocierait pas, car c’est la position qui lui a rapporté le plus de dividendes politiques. D’autre part, le gouvernement, voyant qu’il a mené beaucoup de batailles mais remporté très peu de succès, craint d’engager de nouveau le fer avec le zapatisme. La situation donne raison aux zapatistes car l’accord signé avec le gouvernement à San Andrès ne fut pas respecté pour l’essentiel lors des réformes de 2001 et, tant que les droits et la culture indigènes ne seront pas reconnus par la loi, il n’y a pas lieu de revenir à la table de négociation.

Trois questions juridiques

Les analystes de cette nouvelle étape du mouvement zapatiste se posèrent plusieurs questions juridiques. La première concernait la légalité même des conseils de bon gouvernement. Il apparut que les zapatistes étaient protégés par l’article 2 de la Constitution, qui reconnaît aux peuples indigènes le droit à la détermination et à l’autonomie pour décider de leurs formes internes de vie commune et d’organisation sociale, économique, politique et culturelle, et qu’ils sont habilités à employer leurs propres systèmes normatifs pour la gestion et le règlement de leurs conflits internes. Plus qu’aux zapatistes, c’est au gouvernement que cette base juridique apportait une solution, en lui évitant de subir la pression de son aile conservatrice, favorable à une répression du mouvement zapatiste. Ceci dit, il est clair que l’autonomie revendiquée par les zapatistes déborde largement du cadre fixé par la loi.

Une autre question juridique était posée par l’annonce du prélèvement d’impôts par les conseils. Les zapatistes se sortirent de cette difficulté en précisant qu’il s’agissait de contributions volontaires. Autre problème : les conseils semblaient se superposer aux communes, en constituant un quatrième niveau de pouvoir, alors que seuls trois pouvoirs sont reconnus par la loi : le pouvoir fédéral, l’Etat et le pouvoir municipal. Plusieurs commentateurs montrèrent que l’expérience des conseils, plus qu’une menace pour l’ordre établi, représentait de nouvelles possibilités de régler les conflits sans oublier que, tout au long de l’histoire, on a pu voir que c’est toujours la réalité en marche qui fait évoluer le droit. Il convenait de se dire que la création de conseils constituait un défi, mais aussi l’occasion d’améliorer la Constitution.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2697.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Envío, novembre 2003.

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[1Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir de 1929 à 2000, date de l’élection du président Vicente Fox.

[2Cf. DIAL D 2195.

[3Accords signés le 16 février 1996 entre l’EZLN et le gouvernement fédéral, que celui-ci n’a jamais voulu appliquer ; voir le texte de ses Accords dans DIAL D 2074, 2076, 2080, 2081, 2082.

[4Filiale de multinationales installées dans des zones franches.

[5Parti d’action nationale, qui est le parti du président Vicente Fox.

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