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DIAL 2546

COLOMBIE - Les peuples indigènes : La question territoriale est un point clé pour tout accord de paix

lundi 1er avril 2002, mis en ligne par Dial

Les peuples indigènes de Colombie - qui représentent environ 700 000 personnes réparties en 80 ethnies - ont tenu leur premier Congrès national du 25 au 30 novembre 2001. Nous donnons ici des extraits d’un des documents ayant servi de base au débat concernant le problème territorial. Selon le point de vue ici développé, l’autonomie territoriale des peuples indigènes apparaît comme un élément clé de tout accord de paix. Texte paru paru dans ALAI - America latina en movimiento, du 27 novembre 2001.


En Colombie, l’absence de définition du système territorial a été continue et ce fut la cause évidente des conflits entre les défenseurs de différents modèles. On perçoit clairement ce débat dans l’Assemblée nationale constituante de 1991 où la commission qui a traité la question territoriale a eu beaucoup de difficultés à s’entendre pour savoir si la Colombie devait adopter un modèle fédéral, régional, unitaire ou autre.

Finalement, c’est le modèle d’État unitaire qui s’est imposé, tempéré cependant par la reconnaissance de l’autonomie des entités territoriales (tout au moins sur le papier car, dans la pratique, c’est une dynamique totalement différente qui a été engagée). (...)

Le modèle actuel reflète la structure des groupes qui ont contrôlé et qui contrôlent le pays depuis longtemps. (...)

Un des points fondamentaux pouvant offrir une issue au conflit que vit la Colombie serait sans aucun doute une nouvelle définition du système territorial, qui prendrait en compte l’autonomie des entités territoriales, permettrait la participation citoyenne dans les prises de décision, garantirait la maintenance des services publics et, chose très importante, ferait de la Colombie un pays pluriethnique et multiculturel (...).

Mégaprojets : le capitalisme criminel

Dans les dernières décennies, des mégaprojets d’infrastructure et d’exploitation des ressources ont vu le jour. Ils se situent, pour la plupart, sur des territoires indigènes et sont presque tous financés par le capital multinational. (...) Les organismes financiers internationaux font pression sur les gouvernements en posant comme condition à l’octroi des crédits (remises de dette ou prêts remboursables) une série de mesures d’ordre politique et légal garantissant le maintien du modèle économique en vigueur. (..)

Pour contrebalancer ces politiques, il nous faut créer ou renforcer notre propre structure de gouvernement, notre propre système économique, nos propres lois sur nos territoires et nos ressources naturelles, élaborer nos propres plans de gestion du territoire, de l’environnement et des programmes de développement. Nous devons impulser ces actions en redonnant leur place aux autorités traditionnelles, en utilisant les connaissances traditionnelles, en nous appuyant sur notre culture propre.

De ce qui précède, nous pouvons conclure ceci : si le problème territorial est la cause structurelle de la guerre, la paix naîtra de la solution de ce problème. Nous proposons donc au pays que cela soit l’axe de la paix. D’autre part, l’autonomie territoriale indigène est, pour nous, un principe inaliénable.

Réajustement territorial démocratique

Nous rejoignons tous ceux qui demandent une refondation de la République (...) Il s’agit d’aller au-delà d’une simple réforme administrative qui attribue des fonctions aux gouvernements locaux sans une véritable répartition du pouvoir : réajustement territorial signifie réajustement du pouvoir public. En conséquence, nous proposons comme principes directeurs des entités territoriales : l’identité culturelle régionale, la diversité, l’interculturalité, l’autonomie et la participation politique.

Dans ce sens, nous proposons d’avancer vers :

1. Un État constitué de régions autonomes (parmi lesquelles celles des indigènes). Ce qui suppose que tout ce qui concerne les ressources naturelles, l’éducation, les mégaprojets, l’environnement, la santé, la culture relève exclusivement des régions. Un endettement public ne pourra être contracté qu’avec l’autorisation des entités régionales. Dans une République nouvelle fondée sur les autonomies régionales, la sécurité nationale, la représentation auprès des États extérieurs et les autres fonctions de la souveraineté seront du ressort de l’État fédéral.

2. Un État multiethnique qui soit l’expression d’un pays multiethnique. Ce qui implique la reconnaissance des territoires et des gouvernements indigènes, des populations d’origine africaine ou autre. Nous ne pouvons pas accepter un État monoethnique et ethnocentrique. Il faut deux Chambres au Congrès : une pour représenter les régions autonomes et une autre pour représenter les populations, selon une proportion numérique. Les entités ethniques auraient en plus une juridiction spéciale.

3. Une refondation du pouvoir municipal ou local, avec contrôle fiscal des populations, condition préalable pour une répartition budgétaire permettant un revenu minimum en termes de qualité de vie. Un vice-ministre des ressources au niveau national aurait la responsabilité de la prestation des services sociaux de santé, éducation et services à domicile. En ce sens, nous prônons la reconnaissance de formes de gouvernements communautaires dans les zones de réserves paysannes.

L’autonomie territoriale comme élément d’un accord de paix

Nous autres, indigènes, nous avons un droit légitime sur nos territoires. De plus, ce droit légitime a été reconnu par des traités, par des titres d’origine coloniale, par de nouveaux titres de garantie déjà obtenus ou en cours. En outre, notre droit légitime est reconnu par diverses conventions nationales et internationales. Sans verser dans la politique intégrationniste, nous cherchons à articuler entre eux ces territoires et ces gouvernements pour créer un nouveau pays multiethnique et pluriculturel, doté d’un État qui garantisse cette diversité, où les autorités locales contribuent au développement économique, politique, social et culturel des peuples indigènes ; où nos revendications millénaires, comme l’autonomie territoriale, deviennent une réalité et non une théorie édulcorée par des définitions restrictives, comme celles qui ont été introduites dans les lois et la Constitution de 1991.

Actuellement, il nous faut partir du fait qu’il y a entre l’État, l’insurrection et nous des contestations de territoires, que nous luttons pour faire appliquer des lois territoriales qui s’excluent les unes les autres, que les commandants de l’armée et de la guérilla nous disputent l’hégémonie judiciaire. Il apparaît que le projet d’autonomie territoriale indigène contrarie différents modèles d’État, tant celui actuellement en vigueur (soutenu par l’armée et les escadrons de la mort), que celui proposé par l’insurrection (et qu’elle tente d’imposer aux gens). Dans la perspective d’un accord de paix, au regard des intérêts qui auraient avantage à restreindre notre autonomie territoriale, nous arrivons à nous demander si les négociations ne nous léseront pas plus que la guerre, si une redistribution du pouvoir ne se fera pas au détriment du gouvernement indigène et de toutes les expériences de pouvoir local, communautaire et populaire qui se sont consolidées dans le pays, si une réforme agraire ne portera pas atteinte à nos territoires afin de ne pas léser les propriétaires terriens.

C’est pourquoi l’exigence minima des peuples indigènes dans les processus de refondation de la République - qu’ils soient le résultat d’une négociation ou d’un autre processus - sera clairement l’autonomie territoriale. Sans elle, nous finirons tout simplement par disparaître. Il est donc fondamental que la structuration des entités territoriales indigènes (ETIS) s’oriente vers la constitution d’une Colombie multiethnique et que l’on abandonne l’idée d’une seule nation dans laquelle nous serons à peine reconnus comme minorités.

Au cours des différentes assemblées indigènes sur cette question, nous avons précisé le contenu de cette revendication, que nous faisons également pour les peuples d’origine africaine, les gitans et les peuples d’autres origines.

1. La reconnaissance des territoires indigènes comme réalité antérieure à l’État ; il s’agit des aires possédées régulièrement et de manière permanente par un peuple, ou qui constitue son territoire ancestral ou le milieu traditionnel de ses activités.

2. La reconnaissance de l’autonomie culturelle, politique, administrative et budgétaire pour la gestion des intérêts [1].

3. La reconnaissance du droit des indigènes à se gouverner par des autorités propres, de participer aux ressources de la nation et de les administrer, d’établir les impôts et de participer à la définition des politiques économiques, sociales, environnementales et culturelles de la nation.

4. La reconnaissance du patrimoine collectif des peuples indigènes, à savoir : leur existence même, leur héritage culturel, leurs connaissances traditionnelles, les ressources naturelles renouvelables et non renouvelables, la biodiversité, les produits végétaux et les ressources génétiques provenant de leurs territoires respectifs.

5. En référence à ce critère, les peuples indigènes doivent avoir un droit préférentiel à l’usage et au profit des ressources marines, fluviales et des systèmes hydrographiques de leurs territoires, de même que l’administration, l’usage et la mise en œuvre des aires protégées nécessitant un traitement spécial.

6. En tant que partie de la République, les territoires indigènes doivent garantir l’intégrité de ces territoires, la conservation et la protection de la biodiversité, les connaissances traditionnelles, définir, diriger et exécuter la politique environnementale, la prestation des services sociaux, exécuter les travaux et les projets d’investissements économiques et sociaux, garantir l’usage officiel et l’enseignement des langues indigènes sur leur territoire et promouvoir une éducation spécifique.

7. Les territoires indigènes pourront constituer des provinces qui s’articuleront directement sur la nation, le caractère multiethnique de l’État étant reconnu.

8. Nous proposons particulièrement la mise en œuvre d’un Plan de reconstruction économique et sociale des peuples indigènes, qui réparera les dommages causés par 500 ans d’invasion et de pillage.

Nous pensons que la consolidation des entités territoriales indigènes permettra de mettre en œuvre un pacte de paix avec les peuples indigènes. Conjointement, il est urgent de renforcer les processus de politique territoriale et régionale tels qu’ils sont impulsés par les gouverneurs du sud-ouest du pays. Nous savons que nous n’obtiendrons pas satisfaction de la part de l’État actuel ni de la part de l’État proposé par l’insurrection. Seul un pays qui serait issu de la plus large participation des organisations sociales pourrait réaliser ces objectifs. Nous autres, indigènes, nous savons que cela n’est possible que si nous envisageons en même temps un pacte de paix en faveur des travailleurs, des mères communautaires, de tous ceux qui sont exclus et opprimés par le néolibéralisme.


Les peuples indigènes de Colombie

Il y a 80 groupes ethniques en Colombie. Cette diversité culturelle se reflète dans l’existence de 64 langues et de 300 formes dialectales.

Selon une étude du Département national de statistique colombien réalisée à l’occasion du recensement de 1997, la population indigène de Colombie représente 701 860 personnes (1,75% de la population totale du pays). La population indigène se localise principalement à l’ouest du département de Cauca (sud du pays), sur la péninsule de la Guajira, en Amazonie, dans la région du fleuve Orinoque (frontière du Brésil) et sur la côte Pacifique.

Selon le Département national de planification, les peuples indigènes de Colombie ont des droits territoriaux reconnus sur 279 487 kilomètres carrées, ce qui représente 24,5% du territoire national. La population indigène vit en grande majorité (92,6%) dans des régions rurales, seulement 7,4% de la population indigène vivant dans des districts municipaux urbains.

La plus grande diversité ethnique se retrouve dans la région de l’Amazonie (département de Vaupés, Amazonas, Putumayo, Guainía, Caquetá, Guaviare). Vient ensuite la région des Andes, puis celle de l’Orinoque. Le reste des populations indigènes est distribué entre les Andes pacifiques et la côte atlantique.

Note DIAL


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2546.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI - America latina en movimiento, du 27 novembre 2001.

En cas de reproduction, mentionner au moins la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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