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BRÉSIL - Le rôle de femmes dans la politique

Marilza de Melo Foucher

mercredi 20 juin 2007, par Marilza de Melo Foucher

Les femmes ont tenu un rôle important dans les transformations socioculturelles et politiques au Brésil. Elles ont marqué l’historiographie politique de ce pays. La conquête de leurs droits a été le fruit d’un long processus fait d’avancées et de retours en arrière. D´innombrables femmes ont participé à cette lente conquête, le plus souvent de façon anonyme. Certaines victoires politiques, comme l’accès au droit de vote des femmes, en 1932, n’ont pas pour autant eu d’impact direct sur les structures conservatrices de la société brésilienne. Le Brésil reste, encore aujourd’hui, un pays marqué par l’inégalité et l’exclusion dont les femmes sont les premières victimes.

Ce bref état des lieux illustre la lenteur de la reconnaissance des femmes comme égales de l’homme dans les différentes sphères de la société, malgré une longue histoire de combats incessants contre toutes les formes de discriminations. C’est vrai notamment dans le domaine politique. Les femmes brésiliennes qui luttent contre les discriminations et les inégalités, militent sur des questions qui concernent implicitement la question de la répartition du pouvoir. En effet, les représentations relatives au pouvoir et à la hiérarchie faisant état de différences de sexes sont constitutives du monde politique.

Prenons l’histoire à témoin. Le pouvoir a toujours été détenu par les hommes, que ce soit dans la famille (sphère domestique), dans la société civile (sphère sociale) ou encore au niveau de l’Etat (sphère politique). Dès lors, toute analyse de l’inégalité entre les femmes et les hommes, doit prendre en compte ces trois sphères, domestique, sociale et politique, dans leur ensemble. Le pouvoir y est conjugué au masculin. De ce fait, ceux qui le détiennent développent une forte résistance non seulement au changement mais également aux analyses qui en sont faites.

Face à cette situation, il faut rendre hommage aux femmes brésiliennes qui, dans les années 70, malgré leur origine sociale aisée (Sao Paulo, Rio) et la dictature ont su profiter du feu vert donné par le gouvernement militaire pour commémorer l’année internationale de la femme décrétée par l’ONU, en 1975. Une grande rencontre fut organisée sur le rôle et le comportement de la femme dans la réalité brésilienne. Cet événement, certes un peu sage, permit de politiser par la suite le féminisme. La création du Mouvement pour l’Amnistie encouragea les femmes exilées en Europe et aux EEU à rentrer au Brésil. Le retour, dans les années 1980, de ces intellectuelles exilées enrichit et transforma le féminisme au Brésil. Elles ont fait émergé un féminisme académique et engagé, contribuant ainsi grandement au processus de démocratisation du Brésil.

Différents centres de recherche sur le rôle des femmes ont être créés dans pratiquement toutes les universités brésiliennes, tout comme des centres de femmes contre la violence. Ces intellectuelles ont pu “découvrir” les quartiers populaires et rencontrer les femmes des « favelas », présentes dans les clubs des mères, organisations locales de femmes soutenues par église catholique progressiste, femmes simples, confrontées à une autre réalité, ne cherchant pas à mener un combat féministe mais luttant pour assurer leur pain quotidien. Leur faible accès à l’éducation et à la formation les tenait éloignées de ce type de débats. Dès lors, le contact entre ces deux univers, celui des femmes intellectuelles issues de la petite bourgeoisie et celui des femmes des quartiers populaires, va enrichir les débats sur des sujets jusqu’alors restés tabous, tels que la question de la violence dont elles sont victimes, le contrôle de la procréation (contraception), etc. Pour ces militantes intellectuelles, la découverte des quartiers populaires et de leur tissu associatif a alimenté leurs recherches dont les résultats ont divisé certains courants du féminisme brésilien.

C’est à cette période que la notion de genre s’est imposée dans tous les mouvements de lutte pour transformer la société, pour développer une nouvelle citoyenneté et l’égalité pour tous. Cette réaffirmation de l’égalité n’est, en aucun cas, obtenue au détriment des différences. A cette époque le mouvement féministe et les autres mouvements de femmes ont gagné les périphéries des villes brésiliennes et les zones rurales, en quittant les salons de la bourgeoisie brésilienne de Rio et Sao Paulo et le milieu intellectuel éloigné de la réalité des brésiliennes.

En prenant le parti d’un féminisme de terrain, le féminisme brésilien change de couleur de peau et de classe sociale. Il devient métis, noir, blanc, coloré et populaire. Les femmes exclues deviennent des sujets politiques. Elles cessent peu à peu d’être invisibles et vont participer, sur tous les fronts, au combat politique pour la démocratisation du Brésil.

Elles seront d’ailleurs des participantes actives à la création d’un Parti de gauche représentant la pluralité des tendances de la gauche brésilienne de l’époque, le PT Parti des Travailleurs. Peu à peu, un changement remarquable s’opère… En effet, au cours de la décennie 80/90, les femmes brésiliennes apparaissent enfin comme actrices de la vie politique, en particulier lors d’élaboration de la nouvelle Constitution Nationale post-dictature. Elles s’imposent comme des interlocutrices visibles et capables de faire valoir leurs droits.

Il est important à ce stade de l’analyse de procéder à quelques précisions. Il faut souligner que, lorsqu’il est question de la sous-représentation des femmes dans la vie politique au Brésil, au sens strict du terme, seule est prise en compte leur participation au sein du pouvoir législatif et/ou dans les équipes gouvernementales. On oublie trop souvent le rôle décisif des femmes dans le processus de démocratisation du pays. Elles sont parmi les principaux protagonistes ayant permis l’émergence d’une nouvelle société civile et participé à la lutte pour l’inclusion sociale des plus démunis.

L’usage du mot « politique » a parfois crée un brouillage sémantique. Les femmes, à travers la participation populaire, sont au cœur de la vie politique au Brésil. De manière générale, la participation des femmes dans les mouvements féministes, dans le monde associatif (quartiers, développement) ou syndical, dans les pastorales crées par la théologie de la libération telles que les communautés de base, dans toutes ces formes d’organisations populaires, a contribué à politiser les enjeux sociaux à travers la lutte contre la pauvreté ; à publiciser le privé à travers la socialisation du travail domestique ; à politiser le corporel à travers les luttes en faveur de la libre disposition de son corps, que ce soit au niveau du contrôle de la procréation ou encore au niveau de la politisation de la violence masculine faite aux femmes.

Face à ce constat, il est sans doute possible de parler de néo-féminisme/néo-féministe au Brésil. L’approche de la question du genre s’est déplacée vers le champ du politique. Il y a une prise de conscience que la participation des femmes dans différents domaines d’action, crée des espaces pour l’exercice de la citoyenneté. Cette conquête pour l’accès à l’exercice de la citoyenneté pour tous est en effet étroitement corrélée à la notion du genre et à l’idée essentielle de faire de chacun de véritables sujets politiques.

Dans toutes les organisations populaires, au Brésil, les femmes sont majoritaires et prônent la reconnaissance de la notion de genre dans l’élaboration des politiques publiques. Les relations de genre sont transversales dans tous les projets de développement conçus dans une vision holistique où l’économie, le social, le culturel, l’environnement sont traités en articulation. La notion de genre est un concept pleinement politique. Elle implique une distribution/partage du pouvoir.

Les actions « concrètes » de ces « neo-féministes », qui sont des femmes de tous les jours, dans des quartiers populaires et dans les zones rurales, débouchent sur l’idée de citoyenneté active et contribuent à ce que les femmes atteignent la plénitude de leur condition humaine grâce à l´action politique, accédant ainsi à un monde dont elles étaient violemment exclues.

Ces femmes, féministes par la force des choses, œuvrent auprès de tous les acteurs sociaux du développement de la citoyenneté sans que l’émergence d’un nouveau rapport entre les sexes ne soit basée sur un rapport conflictuel ou de subordination. Afin d’illustrer mes propos, il faut savoir qu’aujourd’hui cette approche de genre s’étend au niveau des mouvements ruraux, tel que le cas du MST (Mouvements des sans terres) où tous les projets menés dans des coopératives et les cours de formations prennent en compte la question de genre.

C’est dans une participation active pour de meilleures conditions de vie et pour la défens de leurs droits que ces femmes créent les conditions d’un « empoderamento ». Pour elles agir localement et s’organiser de façon intégrée pour conquérir des droits, c’est créer un contre-pouvoir en faveur de plus de démocratie participative dans l’Etat brésilien, bref, une façon de faire pression pour la création de politiques publiques qui reflètent une autre conception du développement. Un développement plus humain, plus solidaire, qui pourrait réduire les inégalités, produire une société plus juste et permettre l’intégration des femmes autant que des hommes autour de valeurs et d’objectifs communs, indispensables à la cohésion sociale. Il est possible de réaffirmer que c’est par le biais que ces femmes que ce processus s’étend à toute la société brésilienne. Elles sont de véritables actrices de la participation politique brésilienne. Bien qu’elles n’aient pas toutes de mandats législatifs, elles sont les légitimes représentantes d’une société civile engagée.

Voilà donc comment la question de genre rentre dans le domaine du politique et donne une connotation bien différente du rôle des femmes, à ce niveau, par la mise en exergue au Brésil de cette notion de genre. Dès lors, si l’on reprend clairement la définition de “genre” soit une construction sociale du sexe qui implique l’étude des rapports sociaux entre hommes et femmes, il faut souligner que contrairement au sexe biologique, la construction sociale des rapports de genre évolue dans le temps et l’espace et peut se traduire dans des normes juridiques. La notion de genre peut donc, comme c’est le cas au Brésil, évoluer selon le lieu et le moment où on l’appréhende. Plus qu’un concept, c’est bien une réalité en mouvement.


Marilza de Melo Foucher, franco-brésilienne, est consultante internationale et docteure en Économie.

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