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DIAL 2977

PARAGUAY - À la défense du guarani

Gustavo Torres

mardi 1er janvier 2008, mis en ligne par Dial

Si 90% des Paraguayens parlent ou comprennent le guarani, cette langue – qui est une des deux langues officielles – et celles et ceux qui la parlent font encore l’objet de discriminations multiples. Cet article de Gustavo Torres, publié dans Noticias Aliadas le 19 septembre 2007, montre cependant que la situation s’améliore progressivement.


90% des 5,7 millions de Paraguayens parlent ou comprennent le guarani. Pourtant, dans la pratique, cette langue de l’ère précolombienne a toujours été sous-estimée.

Si le guarani – avane’ê ou langue de l’homme – et l’espagnol sont les deux langues officielles du Paraguay depuis 1992, l’État paraguayen continue néanmoins de fonctionner exclusivement en espagnol, en violation flagrante de la Constitution et des droits inaliénables des locuteurs guaranis.

Dans leur presque totalité, les médias fonctionnent en espagnol, tout comme les administrations municipales, y compris aux endroits où la grande majorité des habitants ne parle que guarani. De manière générale, les documents officiels sont en espagnol, et la carte d’identité va encore plus loin : elle est bien bilingue, mais en espagnol et en anglais.

« L’État paraguayen est organisé en fonction des 7% de la population qui parlent uniquement l’espagnol, au détriment des 27% qui ne s’expriment qu’en guarani », affirme Miguel Àngel Verón, spécialiste du guarani, directeur de la Fondation Yvy Marâe’ÿ et dirigeant du Mouvement d’éducateurs Jekutypyrâ (solidarité, en guarani).

En septembre 1992, le Congrès national a voté la Loi 28/92 qui garantit l’enseignement de l’espagnol et du guarani dans les écoles du pays.

Malgré tout, explique M. Verón, « l’État fait manifestement preuve d’obstruction vu que sur les 20 000 écoles qui existent dans le pays, seulement 8 appliquent actuellement la règle de l’enseignement en guarani, contre 500 autrefois, alors que ladite règle devrait être appliquée au moins dans 10 000 écoles compte tenu du nombre d’enfants locuteurs de guarani qui intègrent le système ».

Pour Ramiro Domínguez, membre de la Commission nationale du bilinguisme, le fait que les classes soient données en espagnol à des élèves des écoles rurales qui s’expriment et pensent uniquement en guarani est un problème que le ministère de l’éducation et de la culture n’a pas encore résolu et une forme de discrimination dans le système éducatif, quand on voit que les enseignants font office de traducteurs pour que les enfants comprennent le contenu de cours dispensés en espagnol faute de matériaux publiés en guarani utilisables par les maîtres.

Cependant, pour M. Domínguez, « nul doute que, pour le guarani, les temps sont aujourd’hui meilleurs qu’ils n’ont été ; les choses ont évolué dans le bon sens et la langue jouit d’une image beaucoup plus positive dans la conscience collective ».

David Galeano, directeur général de l’Athénée de langue et culture guaranis, dresse le bilan suivant : « Beaucoup plus de professeurs et d’universitaires enseignent et défendent le guarani qu’il y a 20 ans, la langue a été incluse dans la réforme de l’enseignement et, à l’université, de nombreux cursus comprennent des cours de guarani. »

Durant les 100 dernières années, les locuteurs de cette langue ont subi toute sorte d’agressions verbales, affirme M. Galeano. On les traitait de « bouseux », de « paysans », d’« indiens » ou de « juruky’a » (bouche sale).

« D’autres ont été victimes de châtiments physiques, giflés, contraints de tourner dans la cour de l’école en répétant “Je ne parlerai plus guarani”, ou encore forcés de rester agenouillés sur du gros sel ; certains ont fait l’expérience avilissante de perdre des points ou de se retrouver dans la classe de niveau inférieur du seul fait qu’ils parlaient guarani », témoigne M. Galeano.

Avant la colonisation, le guarani constituait la langue dominante sur de vastes territoires de la côte atlantique d’Amérique du Sud, de la mer des Caraïbes au Rio de la Plata.

Aujourd’hui, entre 7 et 12 millions de personnes le parlent. En dehors du Paraguay, il est utilisé en Argentine dans les provinces de Misiones et Corrientes et sur le littoral –conséquence des migrations continues vers les grands centres urbains, le guarani est aussi en usage dans les villes de Santa Fe, Rosario, Buenos Aires et La Plata –, au Brésil dans les États de Rio Grande do Sul, Paraná et Santa Catarina, en Bolivie à Santa Cruz de la Sierra et en Uruguay.

Sous la pression de l’action menée par diverses institutions éducatives et culturelles et par des organismes sociaux paraguayens, grâce aussi au soutien de la communauté internationale, les ministres de la culture du Marché commun du Sud (MERCOSUR), lors de leur XXIIIe réunion tenue à Rio de Janeiro en novembre 2006, puis les présidents des États participants (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela) et des États associés (Bolivie, Chili, Colombie, Équateur et Pérou), à l’occasion de leur XXXIe sommet tenu à Rio de Janeiro en janvier dernier, ont décidé de faire du guarani « une des langues du MERCOSUR ».

Mais pour certains, dont David Galeano, ne pas dire expressément que le guarani est une langue officielle du MERCOSUR revient à ne rien dire du tout. Les résolutions de cet organisme, par exemple, ne sont pas traduites en guarani.

Un des derniers gestes accomplis, en tant que ministre de l’éducation, par l’actuelle candidate à la présidence pour le parti Colorado, déjà au pouvoir, Blanca Ovelar de Duarte, a été de remettre en juillet au président Nicanor Duarte Frutos le Projet de loi sur les langues, projet soutenu par la Commission nationale du bilinguisme et l’Atelier de la société civile.

Ce texte, qui n’a pas encore été soumis au Congrès pour qu’il en débatte, interdit toute discrimination liée à la langue et établit l’égalité des instruments juridiques en guarani et en espagnol.

Il réglemente en outre les articles 77 et 140 de la Constitution, qui se rapportent à l’enseignement de la langue maternelle et au fait que l’espagnol et le guarani ont été déclarés langues officielles.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2977.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, n. 17, 19 septembre 2007.

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