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DIAL 2978

PÉROU - Situation de l’Église sud-andine

Bruno Van der Maat

mardi 1er janvier 2008, mis en ligne par Dial

Dial a demandé à Bruno Van der Maat, théologien laïc vivant à Arequipa, au Pérou, depuis 25 ans, de revenir sur les tensions auxquelles sont en proie les diocèses sud-andins du pays. La remise en question par les nouveaux évêques des orientations d’une pastorale qui a cherché jusqu’à présent à dialoguer avec les cultures locales (quechua et aymara) est un des éléments de tension.


Depuis un certain temps, la situation de l’Église dans la partie sud-andine du Pérou se trouve bousculée par des événements qui choquent une bonne partie des fidèles et de ceux qui s’intéressent à cette région. La récente discussion entre le prélat-évêque de la Prélature de Juli et les prêtres de la Société de Maryknoll, originaire des États-Unis, a fait des remous. Les prêtres de la Société de Maryknoll se sont établis dans cette prélature située à près de 4 000 mètres d’altitude en pleine population de culture aymara en 1943. Depuis lors, ils ont œuvré dans la pastorale menant une évangélisation qui s’est orientée vers le respect de la culture locale et le développement d’une des régions les plus pauvres du Pérou.

Le 1er juillet 2006, le nouvel évêque José María Ortega prit possession du siège de la Prélature de Juli en succession de Mgr Elio Pérez, évêque salésien, gravement malade (celui-ci décéda en décembre de la même année). L’arrivée du nouvel évêque appartenant à l’Opus Dei marque une rupture avec la tradition épiscopale locale. La nomination de Mgr José María Ortega a conclu une vague de remplacements d’évêques dans le Sud andin. Les prélats antérieurs (diocésains, carmélites, dominicains, salésiens, maryknoll et autres) avaient tous soutenu une perspective d’évangélisation en dialogue avec les cultures locales (quechua et aymara), une politique de défense des droits humains (rappelons que le Sud andin a été fortement touché par le terrorisme de Sentier lumineux et par la répression d’État) et un effort de développement dans la lignée de la doctrine sociale de l’Église, prenant très au sérieux l’option préférentielle pour les pauvres.

Depuis quelques années ils ont été remplacés par des évêques d’une toute autre vision théologique et appartenant à des mouvements ecclésiaux de tendance néo-classique, comme les aurait qualifiés le P. Henri Bourgeois : Opus Dei, Sodalitium Christianae Vitae, Chemin du néo-catéchuménat. Il est normal qu’un tel changement fasse des remous. Le seul évêque de la région qui n’appartient pas à un mouvement ou à une congrégation ne participe plus aux Assemblées de la Conférence épiscopale depuis plusieurs années. Il est clair que, dans un tel contexte, il est difficile de parler de communion ecclésiale.

Le groupe le plus nombreux parmi les évêques du Sud du Pérou est sans aucun doute l’Opus Dei. Il gère actuellement la plupart des diocèses depuis Lima jusqu’à la frontière chilienne : les archevêchés de Lima (avec le cardinal Cipriani, premier cardinal de l’Opus Dei) et de Cuzco (en plus d’avoir l’évêque auxiliaire d’Ayacucho), les évêchés ou prélatures de Yauyos, Ica, Tacna-Moquegua, Abancay (évêque et auxiliaire), Chuquibamba-Camaná et Juli. Si on y ajoute un évêque de l’Opus Dei dans le nord du pays, cela fait au total 11 évêques actifs sur 50 qui forment la Conférence épiscopale du Pérou. C’est un poids que beaucoup critiquent. Aucune congrégation n’a jamais eu une représentation aussi écrasante dans la Conférence épiscopale. En outre, l’Opus Dei n’est vraiment pas un mouvement de masse, ce qui justifie encore moins leur poids au niveau épiscopal. Un autre mouvement récompensé pour ses services par un (archi)diocèse est le mouvement d’origine péruvienne (mais présent dans bon nombre de pays latino-américains et bien implanté à Rome) Sodalitium Christianae Vitae qui a deux évêques en charge de l’archidiocèse de Piura (dans le Nord) et de la prélature d’Ayaviri (dans le Sud andin).

Ces mouvements paraissent avoir tous la même politique quand ils obtiennent la charge d’un diocèse. Selon les dires des nouveaux évêques (et des moyens d’information et de diffusion dont ils disposent, comme par exemple l’Agence catholique d’information aux mains du Sodalitium), ils viennent pour « enfin » instaurer l’Église et sauver les âmes perdues. Ils constituent le début de la présence ecclésiale, car avant eux rien (de bien) n’a été fait.

Normalement ils arrivent avec un groupe d’aide important (universités et professionnels de leur mouvement, ressources financières, moyens de communication, etc.). Le clergé local passe en second lieu, après les membres du mouvement. La population locale est considérée majoritairement comme inculte et non-évangélisée, au point qu’on lui refuse la communion. La culture locale est dédaignée comme païenne et infestée de superstitions. Il n’y pas pratiquement pas d’espaces de dialogue, car les nouveaux venus sont propriétaires de « la » vérité. La communion ecclésiale est entendue comme l’obéissance stricte à l’évêque. Il n’y a pas d’intérêt pour la promotion de projets en commun, par exemple avec les diocèses voisins.

Depuis l’arrivée de ces nouveaux évêques dans le Sud andin péruvien, l’Institut de pastorale andine, qui avait été formé originellement par tous les évêques de la région pour étudier les cultures locales et adapter l’action de l’Église à ces cultures, ainsi que pour coordonner des actions pastorales au-delà des frontières de chaque prélature, a pratiquement été démantelé. La parution des revues Pastoral andina et Allpanchis, qui avaient acquis un grand prestige national et international de par la qualité de leurs études pastorales, anthropologiques et sociologiques, a été suspendue, et elles seront remplacées par des revues de contenu strictement « catéchétique et liturgique » aux dires des nouveaux évêques.

Le séminaire interdiocésain qui formait les candidats à la prêtrise des prélatures de Sicuani, Ayaviri et Juli a subi le même sort. Devant l’attitude du nouvel évêque de Juli où est situé le séminaire, l’équipe de professeurs du diocèse de Puno a démissionné en bloc. Jusqu’à présent elle n’a pas encore été remplacée, laissant un peu à la dérive les séminaristes qui sont restés.

La pastorale inculturée et avec une orientation sociale a été remplacée par une pastorale centrée sur les sacrements et la liturgie.

Il est normal que dans ce nouveau contexte surgissent des problèmes entre les tenants de l’ancien modèle d’évangélisation et du nouveau modèle imposé. Une lettre de Mgr Ortega, évêque de Juli, au supérieur de la Société de Maryknoll accuse l’un de leurs prêtres d’avoir pour ainsi dire détourné des fonds et de lui avoir caché des informations financières. C’est pourquoi il lui suggère de retirer le prêtre en question (présent dans la prélature depuis 1964) invoquant le grand âge de sa mère aux États-Unis pour dissimuler d’une façon « élégante » son départ. La Société de Maryknoll a démonté une à une les accusations de l’évêque et a refusé le départ « élégant » de leur confrère. Un communiqué de soutien des supérieurs majeurs de la Conférence des religieux du Pérou a été publié dans un quotidien de diffusion nationale et par internet.

Les Maryknoll expriment leur disposition à « dialoguer de façon sereine et évangélique » avec l’évêque. Toutefois, il semblerait que leur présence dans la prélature de Juli ne soit plus garantie dans les années à venir.

Cet événement exprime bien la situation de malaise qui caractérise d’une certaine façon l’Église du Pérou. Après près de 5 siècles, l’Église péruvienne continue à être une Église dépendante de l’étranger. Sur les 50 évêques, 31 sont nés à l’étranger, 41 sont religieux ou appartiennent à des mouvements – l’Opus Dei est en tête de liste, avec 11 évêques, suivi par 7 Franciscains de diverses dénominations, et 6 Augustins (idem). Sur les 50 évêques actifs, 19 évêques sont donc nés au Pérou, et 3 seulement sont diocésains ! De même, la plupart des prêtres au Pérou sont nés à l’étranger. Cela en dit beaucoup sur la structure de l’Église péruvienne. Les divers nonces apostoliques ne se sont pas vraiment efforcés de changer cette structure ; au contraire, ils l’ont rendue plus solide. La nomination récente d’évêques appartenant à des mouvements a compliqué la situation. Les diocèses deviennent des fiefs de certains mouvements, perdant ainsi le souci de la communion de l’Église. Chacun veut installer son propre séminaire et sa propre Université catholique, si possible. Quand un prêtre diocésain a demandé à un de ces nouveaux évêques s’il était évêque du diocèse ou de son mouvement, celui-ci a répondu que « le nonce avait pleine confiance dans les nouveaux mouvements ».

Pour sa part, le Document d’Aparecida revient clairement à une structure où la communion ecclésiale se vit au niveau du diocèse et des paroisses, et non pas au niveau des mouvements. C’est une leçon dont l’application risque de prendre du temps au Pérou.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2978.

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