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À propos de « Lula piégé à Tegucigalpa » (Libération) et de « Lula critiqué pour sa gestion de la crise hondurienne » (Le Monde)

HONDURAS - Chantal Rayes piégée à Sao Paulo

Thierry Deronne

mercredi 21 octobre 2009, par Thierry Deronne

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Caracas, 12 octobre 2009.

Poussés dans les cordes par une communauté internationale qui dénonce à l’unanimité la dictature meurtrière du Honduras, Libération et Le Monde tentent de se remonter le moral en adhérant au Parti de la presse et de l’argent brésilien.

C’est par le plus pur des hasards qu’à 24 heures d’intervalle, Le Monde et Libération écrivent pratiquement le même article [1] sous un angle pourtant peu évident a priori. C’est pour nous parler du retour du président Zelaya au Honduras que Jean-Pierre Langellier (Le Monde, 2 octobre) suivi par Chantal Rayes (Libération, 3 octobre) choisissent tous deux... la campagne de l’élite brésilienne contre le président Lula [2].

Rayes et Langellier font preuve d’un sens aigu du pluralisme. Leurs sources sont les grands médias brésiliens aux mains de grands groupes économiques et cette élite intellectuelle qui n’ont jamais pardonné à Lula son relent de cambouis d’ex-syndicaliste de la métallurgie. Hier son crime était d’être « financé par les FARC, Fidel Castro, Hugo Chavez ». Aujourd’hui, de quitter l’orbite militaire états-unienne en achetant des Rafales à la France. Ou d’appuyer sans phrases le retour de la démocratie au Honduras. Jammal Makhoul, de l’École de sciences sociales de la « Pontificia » (Sao Paulo) a analysé les 204 numéros de la revue Veja de 2003 à 2006, concluant à une véritable stratégie de déstabilisation [3]. Les triomphes électoraux et la forte popularité de Lula da Silva prouvent par contraste la capacité populaire à résister aux coups d’État médiatiques. Comme au Honduras.

Au Brésil ces « médias » criminalisent les mouvements sociaux comme les « sans terre », créant sans cesse un climat propice à la répression [4]. Confondre l’opinion publique brésilienne avec les campagnes d’extrême-droite de Veja est surprenant de la part de « correspondants locaux ». Chantal Rayes, de Libération, n’a sans doute rien vu des mobilisations des principaux mouvements sociaux et syndicats du pays (MST, CUT) à Sao Paulo pour appuyer le retour de Zelaya ? Ignore-t-elle que la présidente de l’Association des brésiliens au Honduras a dénoncé les menaces quotidiennes subies depuis que les diplomates de son pays sont venus en aide au président Zelaya ? La correspondante de Libération a par contre brillamment réussi l’épreuve d’entrée au Parti de la presse et de l’argent. Elle veut nous faire croire que c’est... Lula qui a commis le coup d’État au Honduras : « Les partisans de Lula ont pris le contrôle de l’ambassade. Un journaliste du quotidien de São Paulo Folha a ainsi dû se soumettre à un contrôle de passeport effectué par un militant encagoulé à la porte de l’ambassade de son propre pays ».

Quelle insolence en effet de la part de cette équipe qui protège Zelaya, que d’oser vérifier les papiers d’un journaliste à la porte d’une ambassade sur écoutes, encerclée par la police et l’armée, assiégée jour et nuit par des snippers, espionnée depuis des miradors, contre laquelle des systèmes sonores et chimiques ont été utilisés des le premier jour. Si Rayes est indignée par l’« encagoulé » qui a osé vérifier l’identité d’un journaliste, on s’attend à ce qu’elle proteste a fortiori contre le coup d’État médiatique qui depuis trois mois couvre les centaines d’arrestations, assassinats, tortures et disparitions, ou contre la fermeture par les putschistes, le 28 septembre, des deux derniers médias qui n’appuyaient pas leurs exactions - Radio Globo et le Canal 36 de télévision ? Ou contre les multiples obstacles au travail des journalistes de Telesur ? Rayes n’en dit pas un mot.

S’abritant derrière un très décoré membre de l’élite intellectuelle brésilienne, José Augusto Guilhon Albuquerque, Chantal Rayes se sent plus inspirée. « Le problème n’est pas d’abriter Zelaya mais de lui permettre de faire de notre ambassade le siège d’un gouvernement rebelle (sic) » et cela, « au moment où la tension commençait à baisser (re-sic) ». « ... À baisser » ? Le Monde ne dit pas autre chose : « Au Honduras, le retour clandestin du président déchu ravive les tensions ». « Est-ce à dire, répond Maurice Lemoine, rédacteur en chef du Monde diplomatique que, dans ce pays, les “tensions” s’étaient atténuées, après le renversement et l’expulsion du président Manuel Zelaya, le 28 juin dernier ? Depuis ce jour, et alors que le Front national de résistance mène de puissantes mobilisations populaires, jamais la répression contre la population n’a cessé, au vu et au su de tous – mais n’émouvant guère les médias. […] Mis en sommeil à la fin des années 1980, des escadrons de la mort ont diffusé une liste de cent vingt syndicalistes à abattre. » [5]

Mais Chantal Rayes n’en a pas fini avec sa démonstration toute en citations : « Dans la foulée, Brasilia s’est disqualifié en tant que médiateur, soulignent encore les “observateurs” (sic) ». « Lula a cru renforcer la position du Brésil sur la scène internationale mais c’est l’inverse qui a lieu, renchérit le politologue Jorge Zaverucha. Il a fait le jeu de Hugo Chávez. »

Enfin, le nom est lâché. Ne l’oublions pas, la section française du Parti de la presse et de l’argent a d’emblée accepté les arguments des putschistes : « c’est la faute à Chávez ». Après tout la junte chilienne n’a-t-elle pas sauvé le Chili des griffes du Komintern ? Chantal Rayes répète docilement la vulgate putschiste : « Le président vénézuélien avait réussi, à coups de pétrodollars, à convertir Zelaya, un grand propriétaire terrien de droite, à sa “révolution bolivarienne” (sic) ».

Elle « ignore » sans doute que Manuel Zelaya, comme d’autres mandataires centramericains et des Caraïbes a d’abord cherché de l’aide là où on le peut : au FMI, aux États-Unis. Qu’avec Haïti et le Nicaragua, le Honduras est un des pays les plus pauvres de la région. Et qu’au contraire des « aides » liées aux mesures néolibérales dont souffrent toujours les pauvres, les quelques programmes en agriculture, énergie, santé ou éducation offerts par le Venezuela partent du principe de la solidarité latino-américaine, sans contreparties. Bill Clinton vient de saluer en ce sens l’aide de Venezuela et de Cuba au peuple haïtien [6].

Sans doute, pour Chantal Rayes, la réalité de l’Amérique Latine ne peut-elle se mouvoir que sous l’effet de causes externes. En réduisant les réformes de Zelaya pour sortir peu à peu son pays de la misère, à une « conversion par les pétrodollars de Chavez » elle recycle la « théorie du complot » des élites conservatrices. Mais le peuple du Honduras, hier invisible, a commencé, comme ailleurs en Amérique Latine, à relever la tête.

Sandra Tercero, du secteur “Le Pedregal” au sud de Tegucigalpa, un des quinze quartiers populaires visités le 8 octobre par des journalistes internationaux, déclare : « Les putschistes ont expulsé Manuel Zelaya non pas a cause de la quatrième urne (consultation citoyenne sur la possibilité d’une réforme constitutionnelle, NDT), non ! Ils l’ont expulsé à cause de ses propositions d’augmenter le salaire minimum de 3200 lempiras (monnaie locale) à 5500 lempiras, (équivalant à 300 dollars), ce qui affecte directement le secteur patronal. La possibilité d’améliorations sociales pour les secteurs les plus pauvres : soutiens économiques aux femmes, aux personnes du troisième âge, allocations scolaires, allocations aux mères célibataires, démocratisation des droits d’inscription, aides dans le secteur santé, dans le secteur agricole […], tous ces projets sociaux marquent une amélioration quotidienne des conditions de vie des citoyen(ne)s hondurien(ne)s. » [7].

Si Rayes écoutait les gens plutôt que l’élite, elle comprendrait mieux la contre-offensive qu’un patronat appuyé par la School of Americas, réactive au Honduras. Car ce réveil collectif, dont les Morales, Chávez ou Correa ne sont que l’écume, est dangereusement contagieux pour les millions de pauvres latino-américains.

Refus de l’enquête sociale. Mépris de l’impératif catégorique de la mobilisation des démocrates contre le retour des tortures et des disparitions en Amérique Latine. Même si son article est orné d’une photo de Reuters où le nain Lula semble tomber dans les bras du géant Zelaya, on ne concèdera même pas à Chantal Rayes le don de l’analyse politique.

Car affirmer que Chávez a forcé la main de Lula pour venir en aide au président Zelaya, ou que Lula doive passer par Chávez pour planifier sa politique internationale, témoigne d’une solide ignorance des rapports de force actuels et de la stratégie à long terme de la première puissance latino-américaine.

responsabilite


[1Jean-Pierre Langellier, « Lula critiqué pour sa gestion de la crise hondurienne » ; Chantal Rayes, « Lula piégé à Tegucigalpa ». Transmis par [ACRIMED : http://www.acrimed.org/article3178.html. (Voir aussi, sur Jean-Pierre Langellier : http://www.larevolucionvive.org.ve/spip.php?article124&lang=fr.)

[2La technique n’est pas neuve. Mr. Sabot, correspondant du Monde à Managua, s’exprimait sur le Honduras à travers La Prensa, qualifié par lui de « principal quotidien du Nicaragua » tout en « oubliant » de préciser qu’il s’agit surtout du plus réactionnaire... Voir : http://www.vive-fr.org/blog/index.php?2009/06/30/46-victoire-diplomatique-a-managua-defaite-du-monde-a-paris.

[5Lire de Maurice Lemoine, « Bras de fer explosif au Honduras », « La valise diplomatique » sur le site du Monde diplomatique, 23 septembre 2009.

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