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CHILI - De la Concertation à la consternation

Guillaume Beaulande

samedi 6 février 2010, par Guillaume Beaulande

Le premier tour des élections au Chili montre s’il en était encore besoin, à quel point le pays traverse une période tumultueuse. Cette situation est née de la première alliance politique entre le Parti pour la Démocratie, une coalition de forces sociales libérales et démocrates chrétiennes qui a tenté de construire la transition démocratique post-pinochetiste.

Le Chili n’est évidemment pas sorti indemne de 30 ans de dictature mais pire encore, il s’est bâti sur les charbons ardents des crimes impunis pendant la dictature, du sentiment d’injustice du peuple chilien et sur une boue politique qui a dû composer avec un système pinochetiste trop bien ficelé. Les nœuds bureaucratiques et institutionnels avec, au premier chef, la Constitution votée sous Pinochet en 1980, mais aussi la continuité de la politique néolibérale avaient fait jusqu’à présent marquer le pas au progressisme de gauche au Chili. Aujourd’hui ils laissent craindre une régression politique et sociale d’envergure pour l’ensemble du peuple chilien par le retour au pouvoir d’une droite dure dont le leader est déjà surnommé le « Berlusconi chilien ».

Le second tour des élections présidentielles du 17/01/2010 marquera le peuple chilien qui, lui, a une très bonne mémoire. Donné vainqueur à 51,6, Sebastian Pinera, le candidat d’une droite néolibérale, a mené à bon port la « Coalition pour le changement » dont il était le chef de file. Le parcours de Sebastián Piñera est pour le moins atypique, le brillant homme d’affaire a fait fortune à la fin des années 70 sous la dictature de Pinochet, possédant une bonne partie de la chaîne de télévision « Chilevisión », un club de football et une compagnie aérienne (Lanchile) dont les actions auraient augmenté de 36% ces dernières semaines. Ses actifs s’élèveraient à près de 848 millions d’euros.

De plus, Il s’est bien gardé jusqu’en 1988 de s’exprimer clairement sur la nature de ses agissements pendant la dictature et pour cause, car même si cette année-là il a voté « non » à la pérennité au pouvoir de Pinochet, en 1995, il s’est prononcé en faveur de l’amnistie pour les crimes de la dictature se disant, par ailleurs, devenu un « humaniste chrétien » [1].

Le Chili baignait dans une « Concertación » depuis 20 ans qui a pavé la voie à la restauration d’une droite dure conservatrice, non seulement en ne faisant pas voter une nouvelle Constitution pour mettre à bas la constitution pinochetiste de 1980, mais aussi en ne tenant pas ses engagements sur des sujets aussi importants que le changement de modèle économique impliquant le retour de l’État.
En effet, depuis le début des années 1990, le Chili s’est concentré sur l’accord de libre échange avec les États-Unis, assurant la néo-dépendance de l’économie chilienne à l’égard des entreprises multinationales.

En fait, l’échec d’Eduardo Frei avec 48,7% des voix est bien plus celle d’un conglomérat politique sans projet défini, ne parvenant pas à dissimuler derrière ses discours cent fois entendus, son lourd passif et son incapacité à la rupture avec la politique antérieure :

 La domination politique, économique et militaire des États-Unis.
 La mainmise des grandes multinationales sur les agences de presse et autres moyens de communication.
 La criminalisation systématique des mouvements sociaux et populaires, syndicaux et étudiants.

Le comportement de la coalition laissait présager cet échec, en se débattant ainsi parmi les trahisons, le désordre politique, elle a fait preuve d’une lâcheté politique sans pareille sans compter son indifférence à l’égard du peuple Mapuche. Tout cela a galvaudé le sens et la portée de l’idée socialiste, aux yeux des classes moyennes chiliennes, au nom d’un pseudo « système de bien-être », stigmatisant l’idée d’une lutte des classes au profit d’une entente cordiale entre celles-ci. Ce capitalisme qui ne dit pas son nom a gangrené tout changement économique et sociale en faveur du peuple qui, aujourd’hui, n’a plus accès ni au travail, ni à l’éducation, ni à la santé ni au logement.

Selon les forces de la gauche progressiste au Chili, il faut aujourd’hui un front unitaire lavé de toute ambiguïté quant à son opposition au système néolibéral, basé sur des force politiques et sociales, des mouvements populaires et progressistes et visant une Assemblée Constituante. L’ex candidat, chef de file du parti « Juntos Podemos », Jorge Arrate, considère cette élection comme « la dernière erreur de la coalition », « Il y eut un processus de détérioration progressive au sein même de la Concertation », a-t-il ajouté au lendemain de l’élection dans un communiqué [2].

Tandis que selon le président Piñera : « aujourd’hui est un grand jour pour le Chili. Aujourd’hui une grand et claire majorité d’hommes et de femmes libres ont opté pour le changement, l’avenir et l’espérance », s’est-il exprimé devant l’hôtel Crown Plaza sur l’Alameda. Une majorité ? Environ 8 millions de votants sur une population de plus de 16 millions pour être plus exact. Puis il a fini son discours en remerciant « Dieu de nous avoir donné un pays aussi beau » ainsi que (ça ne s’invente pas)... la Concertation.

Il ne fallut pas plus de deux jours au nouveau président chilien pour montrer de quoi sera faite la politique chilienne durant son mandat. En effet, le 19 janvier, les grands patrons chiliens sont sortis satisfaits des propos tenus par S. Piñera, celui-ci laissait présager la possibilité d’une révision du salaire minimum pour les 18-21 ans ainsi qu’ une baisse des indemnités chômage [3].

Ce qui pourrait fort bien ressembler à l’ironie du sort est ressenti par le peuple chilien comme une véritable tragédie grotesque dont le « patron-président » serait le héros picaresque, triomphant dans sa médiocrité, appelant celui qu’il considère comme son modèle, le « très démocrate » A. Uribe, à l’aider dans sa tâche, une fois de plus dans la bienveillance générale des grands médias internationaux et la colère d’un peuple déjà rompu au combat.

responsabilite

Messages

  • A lire votre article, vous en faîtes une situation catastrophique du Chili ce que je conteste et je n’ai pas l’impression que vous connaisez suffisamment bien ce pays ce qui me paraît regrettable.
    La guache au pouvoir pour encore quelques temps est responsable de son échec politique par la politique elle-me^me qu’elle a men les chiliens en ont comme on dit bastante de esta mierda de izquierda de maldita car la présidente Bachelet a certes soulagé les plus pauvres avec l’argent del cobre mais n’a rien strictement rien fait pou les classes moyennes et les a laissé pourrir dans leur merde.
    La classe moyenne a voté Pinera pour avoir la tête de Bachelet et de son parti et pour un grande cambio.
    Faudrait quand même de votre côté arrêter systématiquement de regarde toujours vers le passé et plutôt d’aller vers l’avenir.
    Allez faire un tour au Chili je vous y incite et parler à la classe moyenne elle vous dira la même chose que Pinera est un winner et qu’il fera changer le Chili pour la majorité des chiliens et des chiliennes.
    Il faut vivre dans le pays même et non en parler avec la distance avec laquelle vous prônez votre raisonnement.
    Je parle en conséquence ces de cause pour m’être rendu à de multiples entreprises via des séjours d’un mois et parce que aussi j’ai des amis et des amies chiliens.
    Sinon à chacun sa mémoire collective sur les atrocités du passé car nous en France nous l’avons déjà fait ce devoir de mémoire sur l’occupation et les plus de 200000 victimes de la répression nazie en France.
    Les chiliens ne l’ont toujours pas fait mais il le faudra bien un jour. On ne peut systématiquement pas regarder vers le passé comme on dit.

    • Je crois que ce que vous appelez "la guache au Chili" ne soit révélateur du regard que vous semblez porter sur le Chili... une gouache, une peinture couvrante et opaque sur la réalité chilienne. Il existe de nombreux partis de gauche progressiste au Chili qui, en raison d’un système électorale binominale ne sont pas représentés. Nous serions d’accord si vous abandonniez ce petit bout de la lorgnette. la concertation qui a livré l’économie chilienne aux gémonies du néo-libéralisme, qui a criminalisé les mouvements sociaux, qui a laissé la terre des Mapuches (10% de la population chilienne) aux mains des transnationales forestières et saumonières), qui a prétendu restituer la terre aux indiens en ne leur rendant que 4000Ha sur les 400 000 Ha que recouvrent leurs terres, cette concertation N’EST PAS "LA GAUCHE" !!!

      Pour le reste, nous sommes d’accord, elle ne doit son échec qu’à elle-même

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