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DIAL 3164

Le « complexe de Dieu » de la modernité

Leonardo Boff

mercredi 31 août 2011, mis en ligne par Dial

Leonardo Boff, brésilien, est un des théologiens de la libération les plus connus. Depuis de nombreuses années, son travail théologique est profondément marqué par la prise en compte de la dimension écologique. Il récuse toute séparation entre l’homme, la nature qui l’environne et le cosmos tout entier. Ici, il dénonce les dégâts causés par un homme qui s’est constitué Dieu au seuil de la modernité.


La crise actuelle n’est pas seulement une crise de la rareté croissante des ressources naturelles et des services. C’est fondamentalement la crise d’un type de civilisation qui a situé l’être humain comme « seigneur et maître » de la nature (Descartes). Celle-ci est pour lui dépourvue d’esprit et de but : il peut donc faire ce qu’il veut avec elle.

Selon le fondateur du paradigme moderne de la techno-science, Francis Bacon, l’homme doit la torturer jusqu’à ce qu’elle nous livre tous ses secrets. Cette attitude a conduit à une relation d’agression et de guerre contre une nature sauvage que devait être dominée et « civilisée ». C’est ainsi qu’a émergé le visage arrogant de l’homme comme « Dieu » qui domine et organise tout.

Nous devons reconnaître que le christianisme a contribué à légitimer et à renforcer cette compréhension. La Genèse dit clairement : « Emplissez la terre et soumettez-la et dominez sur toute chose vivante qui se meut sur elle » (1,28). Est affirmé aussi que l’homme a été fait « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26). Le sens biblique de cette expression, c’est que l’être humain est le lieutenant de Dieu, et comme Dieu est le maître de l’univers, l’homme est le maître de la terre. Il a une dignité qui n’appartient qu’à lui : être au-dessus des autres êtres. De là vient l’anthropocentrisme, qui est l’une des causes de la crise écologique. Enfin, un monothéisme rigoureux a supprimé le caractère sacré de toute chose pour le concentrer uniquement sur Dieu. Parce qu’il ne possède rien de sacré, le monde n’a pas à être respecté. Nous pouvons le modeler à notre goût. La civilisation moderne de la techno-science a occupé tous les espaces avec ses équipements et a été capable de pénétrer au cœur de la matière, de la vie et de l’univers. Tout arrivait enveloppé dans l’aura du « progrès », sorte de récupération du paradis jadis perdu mais maintenant reconstruit et offert à tous.

Cette vision glorieuse a commencé à s’effondrer au XXe siècle avec les deux guerres mondiales et les guerres coloniales qui ont fait 200 millions de victimes. Quand a eu lieu l’acte terroriste le plus important de l’histoire, les bombes atomiques larguées sur le Japon par l’armée états-unienne, qui tuèrent des milliers de personnes et détruisirent la nature, l’humanité a reçu un choc dont elle ne s’est pas remise à ce jour. Avec les armes atomiques, biologiques et chimiques, construites plus tard, nous avons compris que nous n’avons pas besoin de Dieu pour réaliser l’Apocalypse.

Nous ne sommes pas Dieu et vouloir l’être nous mène à la folie. L’idée de l’homme voulant être « Dieu » est devenue un cauchemar. Mais on se cache encore derrière le fameux TINA – « There is no alternative » [1]– néolibéral. « Il n’y a pas d’alternative, ce monde est définitif. » Ridicule. Rendons-nous compte que « le savoir comme pouvoir » (Bacon) quand il se réalise sans conscience ni limites peut nous détruire. Quel pouvoir avons-nous sur la nature ? Qui maîtrise un tsunami ? Qui contrôle le volcan chilien Puyehe ? Qui arrête la furie des inondations dans les villes des montagnes environnant Rio de Janeiro ? Qui empêche l’effet létal des particules atomiques de l’uranium, césium et autres éléments libérés par la catastrophe de Tchernobyl et de Fukushima ? Comme Heidegger le dit dans sa dernière interview à Der Spiegel : « Seul un dieu peut nous sauver. »

Nous devons nous accepter comme de simples créatures en communauté de vie avec toutes les autres. Nous avons la même origine commune : la poussière de la terre. Nous ne sommes pas la couronne de la création, mais un lien dans le courant de la vie, avec une différence, celle d’être conscients et chargés de la mission de « sauver et garder le jardin d’Eden » (Gn 2,15), c’est à dire de maintenir les conditions de pérennité de l’ensemble des écosystèmes qui composent la Terre.

Si nous sommes partis de la Bible pour légitimer la domination de la Terre, nous devons revenir à elle pour apprendre à la respecter et à en prendre soin. La Terre a tout engendré. Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce » (Gn 1,24). Par conséquent, elle n’est pas inerte, elle est génitrice, elle est mère. L’alliance de Dieu n’est pas seulement avec les humains. Après le tsunami du déluge, Dieu refait alliance « avec notre descendance et tous les vivants » (Gn 9,10). Sans eux, nous sommes une famille rétrécie.

L’histoire montre que l’arrogance « d’être Dieu », sans jamais pouvoir l’être, ne nous amène que des malheurs. Mieux vaut nous suffire d’être de simples créatures qui ont la mission de prendre soin et de respecter la Terre Mère.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3164.
 Traduction d’Alain Durand pour Dial.
 Source (espagnol) : Servicios Koinonia, 15 juillet 2011.

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[1Cette phrase (« Il n’y a pas d’alternative ») est attribuée à Margareth Thatcher – note DIAL.

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