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DIAL 3204 - Observatoire socioecclésial latino-américain 2011

AMÉRIQUE LATINE - Dialogue interreligieux et option pour les pauvres : 3, transformation des identités religieuses

Gabriele Cipriani & Virgílio Leite Uchôa

samedi 7 juillet 2012, mis en ligne par Dial

Le réseau de catholiques des Amériques Amerindia a publié un rapport intitulé Observatoire socioecclésial latino-américain 2011 : dialogue interreligieux et option pour les pauvres (mai 2011, 34 p.) qui fait le point sur la situation des églises en Amérique latine. Nous en publions trois extraits dans les numéros de mai [1], juin [2] et juillet 2012. Le dernier, ci-dessous, propose une analyse des transformations actuelles des identités religieuses. Le rapport final, rédigé par Gabriele Cipriani et Virgílio Leite Uchôa, s’appuie sur des rapports nationaux à la charge de Guillermo Meléndez (Costa Rica), Marta Orsini (Bolivie) et José Guadalupe Sánchez (Mexique).


L’Église catholique et le pluralisme culturel

Comprendre le déclin actuel du catholicisme est fondamental pour la recomposition de l’identité catholique. Il y a plusieurs facteurs en jeu bien au-delà du prosélytisme agressif d’autres dénominations religieuses. Il y a des causes institutionnelles, pastorales, organisationnelles, théologiques, historiques. Il est important de relier quelques-uns de ces facteurs avec le pluralisme religieux auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.

L’Église catholique, en s’appuyant sur les enquêtes qui confirment encore son hégémonie numérique et sur sa propre conscience d’être la véritable église chrétienne, peine à accepter le fait d’être dans la société une église chrétienne parmi d’autres et à revoir en conséquence ses attitudes, ses orientations et programmes d’action pastorale. La coexistence quotidienne de fidèles dans cette situation questionne en profondeur l’identité catholique elle-même, appelée à dialoguer avec ces différentes visions chrétiennes et religieuses.

L’Église catholique n’a plus ni les structures ni le clergé suffisant pour accompagner les changements culturels et sociaux qui affectent ses fidèles. L’urbanisation massive a créé, de manière différenciée dans les pays du continent et des Caraïbes, une difficulté de présence des ministres catholiques dans l’attention à la population. Les communautés évangéliques, plus souples devant la réalité, multiplient leurs ministres. Dans le passé, la pénurie de clergé fut masquée par la force institutionnelle du régime de chrétienté : il fallait être catholique pour être citoyen. La majeure partie du clergé urbain est encore d’origine paysanne et il a répondu en général par de vieilles méthodes pastorales au défi que représentent les nouvelles demandes religieuses. Ils ont ainsi augmenté les espaces vides. Vu la taille des paroisses, les pasteurs catholiques se sont transformés en administrateurs ou gérants paroissiaux. Le peuple, non pris en considération, va facilement accepter les soins religieux des pasteurs d’autres traditions chrétiennes ou de ministres d’autres religions. L’attention offerte par les pasteurs et travailleurs dans les communautés pentecôtistes est bien plus grande que le service du clergé catholique. On assiste ainsi à un lent mais progressif détachement de l’institution.

L’hégémonie et la force de configuration du comportement des fidèles dans la société civile sont en diminution considérable. Les préceptes du catholicisme dit officiel cessent progressivement de modeler les habitudes et les coutumes de la population. Cela paraît évident en ce qui concerne l’orientation de la conduite sexuelle, disons, la condamnation de l’usage de contraceptifs et préservatifs, de l’homosexualité et des relations hors mariage. Une telle rigidité est confrontée aux nouvelles récentes et de plus en plus divulguées concernant les prêtres pédophiles [3], ce qui inévitablement remet en question la légitimité morale de l’orientation ecclésiale. Le décalage est devenu explicite entre ce que la hiérarchie catholique prescrit et le comportement généralisé de ses ouailles, de sorte que de plus en plus de personnes sont catholiques chacune à sa manière. Des conflits de toute nature naissent qui, avec la fragmentation interne, favorisent la désagrégation progressive de la communauté catholique. En Argentine, en 2008, on estimait la population catholique à 76% environ. Malgré cela, l’Argentine exhibe le titre de premier pays d’Amérique du Sud à reconnaître l’union de personnes du même sexe.

L’agilité des communautés évangélico-pentecôtistes, la prédominance laïque, une catéchèse biblique essentielle, un nombre élevé de pasteurs et de travailleurs, leur ont permis et leur permettent une pénétration que la pesante machine catholique ne peut concurrencer. Dans les communautés rurales également, qui, dans les dernières décennies, ont vu se multiplier les Communautés ecclésiales de base (CEB) catholiques, la présence du clergé reste peu fréquente, comme dans le passé. Beaucoup de communautés ecclésiales qui se réunissent chaque semaine pour la liturgie n’ont pas de célébration eucharistique faute de ministre pour la présider. Cela place l’Église face à la crise de son modèle. Cela lui montre qu’elle ne peut plus se configurer et se dresser en s’appuyant fondamentalement sur le clergé et les religieux comme dirigeants et leaders. Une restructuration catholique est urgente, pour ouvrir d’amples espaces aux fidèles laïcs et leur permettre une prestation adéquate de services religieux.

Vers où migrent les personnes qui abandonnent l’Église catholique ?

Les pentecôtistes, qui se situaient entre 1930 et 1940 au plus bas des statistiques, sont devenus hégémoniques au sein du camp évangélique ou protestant. On peut supposer que les convertis au pentecôtisme sont initialement venus de milieux évangéliques traditionnels puis, avec plus d’intensité, du catholicisme.

Si l’on va plus loin, les enquêtes révèlent que là où il y a plus de problèmes sociaux et économiques – pauvreté, chômage, analphabétisme, violence, inégalités et exclusion sociale –, il y a une plus grande présence de temples pentecôtistes et néopentecôtistes. Les communautés catholiques, au contraire, sont majoritairement situées en zones rurales et dans les centres urbains à forte présence de classes moyennes et supérieures. Les mouvements catholiques de spiritualité, généralement dirigés par des leaders issus de la classe moyenne, finissent par alimenter une religiosité individuelle, plus esthétique qu’éthique, et n’atteignent pas le monde des pauvres, si ce n’est par des aides qui prolongent l’agonie des personnes dans le besoin, sans remettre en question ni les causes de la pauvreté ni les structures injustes.

Il est important aussi d’observer que les nouveaux pauvres, qui émergent du chômage, de la précarité des relations de travail, de l’économie informelle et des habitats précaires, se dirigent vers les communautés pentecôtistes. La vieille pauvreté rurale reste majoritairement catholique, soutenue par la présence des pastorales sociales organisées en CEB. Cela confirme que la récupération de l’identité du catholicisme dépend, en partie, de sa trop rare présence dans le milieu urbain pauvre.

Quant à la croissante pentecôtisation évangélique en Amérique latine et dans les Caraïbes et à l’exode vers le charismatisme et le pentecôtisme, il faut observer que « les raisons profondes de cette croissance doivent être recherchées, semble-t-il, plus que dans le pouvoir des ressources économiques extérieures, dans leur interprétation créative de l’insécurité, de l’anxiété et de la marginalité des couches populaires, leur offrant un sens de la vie et une espérance et les comblant d’affection et d’euphorie religieuse » (Rapport Meléndez). Par ailleurs, un pentecôtisme pulvérisé en centaines d’églises et de temples autonomes croît aussi à un rythme soutenu. Si, dans le futur, il y a une pentecôtisation, elle sera marquée sans aucun doute par une multiplicité de segments aux caractéristiques différentes.

On observe aussi des tendances de changements profonds dans le statut religieux. Le syncrétisme mis à part, il y a une inversion du sens de l’expérience religieuse qui est beaucoup moins adoration de Dieu et expérience de la foi et beaucoup plus religion utilitariste, échanges de faveurs entre un Dieu puissant et des êtres humains disposés à des sacrifices matériels en vue de bénéfices plus grands. La religion de l’adhésion profonde de la personne humaine à Dieu est transformée en religion du spectacle. Celle-ci inclut des manifestations miraculeuses et transforme l’apôtre en showman, homme de spectacle, toujours disposé à divertir le parterre et à encourager une éthique de la non-responsabilité, imputant tout le bien qu’on obtient au pouvoir de Dieu et tout le mal du monde et des individus au démon.

D’autres statistiques brésiliennes [4] montrent qu’un pourcentage conséquent (33,2 %) de ceux qui ont rejoint la mouvance des personnes se déclarant sans appartenance religieuse viendrait du milieu pentecôtiste et, dans un moindre pourcentage, du catholicisme. Les communautés pentecôtistes ne semblent donc pas toujours être le point final des ex-catholiques ou ex-protestants historiques. Le nombre croissant de personnes qui disent n’avoir aucune religion, la diversité et la pluralité des systèmes religieux, ainsi que le phénomène de la mobilité, méritent une analyse continuelle et plus approfondie. Une question fondamentale survient : les transformations en cours sont-elles une renaissance religieuse ou un processus croissant de sécularisation comme dans les pays de l’hémisphère nord ? [5].

Identités en redéfinition

« À la différence de ce qui se passait il y a quelques décennies, le paysage religieux dans ces sociétés se présente aujourd’hui comme une mosaïque d’expressions diverses, résultat de leur propre dynamique modernisatrice. Ces expressions produisent une resignification ou réarticulation des univers symboliques des secteurs sociaux dans lesquels elles s’implantent, de façon à ce qu’elles puissent donner une réponse adaptée aux demandes qui se formulent peu à peu car elles sont le fruit des nouvelles conditions sociales » (Rapport de Guillermo Meléndez). Les références religieuses se sont affaiblies pour beaucoup de gens, pour d’autres il a été possible de sauver ou de reconstruire de manière précaire leur appartenance ecclésiale catholique dans une paroisse de la périphérie des villes où ils ont émigré. On est passé d’une situation religieusement uniforme et protégée à un monde aux nouvelles configurations sociales et aux nouvelles identités culturelles, un monde pluriel, à options libres, où la redéfinition de sa propre identité est devenue une impérieuse nécessité. Il se produit un processus évident de diversification et un phénomène marqué de mobilité et de passage d’une dénomination à une autre, parfois sans destination finale claire. Diversification et circulation se réalisent aussi dans les cercles institutionnels. On note, par exemple, la diversification des mouvements et le passage d’un groupe à un autre au sein de l’Église catholique, ces mouvements et groupes étant souvent d’orientations opposées.

Ce phénomène peut aussi être observé dans d’autres églises et religions en vertu de la circulation religieuse et en raison de l’impact de la culture dominante. Quant aux religions ancestrales des peuples originaires du continent, le théologien Simon Pedro Arnold observe : « Nous avons déjà mentionné que les peuples, surtout les peuples andins, sont très mobiles et sont présents dans toutes les villes de nos pays. Le paysan emporte ses rituels et coutumes andines ainsi que ses pratiques catholiques ; il doit s’adapter à nouveau à la précarité et à l’agressivité de la vie citadine. Sa mystique perd le sens cosmique et communautaire, sa religiosité s’individualise, se privatise. Il pratique une religiosité populaire, qui a un fort contenu magique et miraculeux. À Dieu, aux Vierges et aux Saints, il demande des biens matériels pour remédier à sa pauvreté ou satisfaire ses envies de posséder. La religion se commercialise et ce sont les premiers à vendre et acheter, dans les pèlerinages et fêtes, maisons, camions et toutes sortes de titres en miniature, convaincus que leur désir va se réaliser. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons douter de la foi profonde de ces manifestations religieuses » (Rapport de Marta Orsini, 2010).

Quant aux crises d’identité culturelle, Simon Pedro Arnold ne cache pas sa préoccupation : « Pour être totalement sincère et honnête, il faut reconnaître que la spiritualité andine […] est à son tour menacée par la contagion virulente de la culture moderne et postmoderne. Il n’y a pire néolibéral, par exemple, qu’un entrepreneur andin. Il est urgent, par conséquent, pour les Andins eux-mêmes, de revoir leur spiritualité et de réconcilier et pas seulement juxtaposer leurs pratiques modernes et postmodernes et leur âme andine. Ce n’est pas seulement une question de folklore ou de coutumes ancestrales, mais une nouvelle manière andine d’être modernes ou postmodernes » (Rapport de Marta Orsini, 2010).

La sortie du champ institutionnel et du monde protégé de la tradition permet à l’individu d’entrer ou de visiter d’autres domaines symboliques au-delà de sa religion officielle et de sa culture. La remodélisation de l’identité religieuse de catholiques et non catholiques passe souvent par de multiples expériences et par la composition de contenus religieux hétérogènes, ce qui conforte l’hypothèse que le sujet moderne construit une mosaïque religieuse à partir de critères subjectifs, utilisant de multiples sources de croyance. De plus en plus, les personnes agencent les éléments qui correspondent le mieux à leurs besoins subjectifs, laissant facilement de côté les orientations institutionnelles. Le défi est, par conséquent, la capacité des réponses présentées par les institutions à satisfaire les besoins et les demandes des sujets religieux.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3204.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : Observatoire socioecclésial latino-américain 2011 : dialogue interreligieux et option pour les pauvres, Amerindia, mai 2011.

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[3Cf. 2e Rapport de l’Observatoire socioecclésial.

[4Fernandes, Sílvia Regina & Pitta, Marcelo, « Mapeando as rotas do trânsito religioso no Brasil », Religião e sociedade, Rio de Janeiro, vol. 26, n° 2, 2006, p. 120-154, dont p.131.

[5Cf. pour cette analyse le rapport de José Guadalupe Sánchez Suárez intitulé « La diversité religieuse au Mexique et ses défis pour l’Église des pauvres ».

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