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Le Chili l’a fait

Juan Pablo Sutherland

mercredi 11 avril 2012, par Guillaume Jacquemart

Le contexte récent de l’assassinat du jeune gay Daniel Zamudio [1] (27 ans) par quatre jeunes néonazis à Santiago rend compte des violences systématiques et permanentes de la société chilienne, pas seulement la violence des agresseurs et des provocateurs de sa mort sinon de la responsabilité politique de beaucoup d’acteurs. L’impact public de sa mort l’a converti en un symbole des luttes contre la discrimination sexuelle, mais permet aussi de se rendre compte du laisser-aller des institutions publiques et de la classe politique chilienne sur les thèmes de droits humains et sexuels. Cela fait plus de 8 ans que le Congrès chilien fait les démarches pour proposer une loi anti-discrimination, mais elle n’a pas connu d’avancées significatives durant les gouvernements de la Concertation, ni durant l’actuel gouvernement de droite. Peut-être que maintenant, grâce à l’agitation publique provoquée par le cas Zamudio et en pensant aux votes des prochaines élections municipales, il y aura une volonté politique circonstancielle, qui même, si la loi venait à être promulguée, est déjà critiqué de toutes parts, questionnant sa réelle efficacité pour réussir à stopper la discrimination sexuelle et les crimes de haine (au Chili ce cas de figure n’existe pas vraiment pour les assassinats d’homosexuels). Dans ce contexte, l’État chilien a été condamné il y a deux semaines par la Cour interaméricaine des droits humains pour le cas de la juge Karen Atala, à qui a été enlevé la garde de ses filles pour le seul fait d’être lesbienne et pour « le danger possible pour la vie de ses propres filles que représente une mère ayant une orientation sexuelle différente à la norme ». Condamnation qui, 11 ans après le début de l’affaire, montre à nouveau que l’État chilien a de sérieuses difficultés par rapport aux thèmes de discrimination sexuelle de la part de ses institutions (tribunaux, ministères, etc.). Dans cette affaire, l’État chilien est obligé de réaliser un acte de réparation pour la violation des droits humains de la juge Karen Atala.

La mort de Daniel Zamudio est l’expression d’une violence institutionnalisée qui non seulement touche les minorités sexuelles mais aussi ceux qui sont considérés comme différents par le pouvoir (mapuches, femmes, anarchistes, homosexuels, transsexuels, lesbiennes... tout une longue liste). Le Chili, en termes de valeurs, s’est distingué pour son retard et son conservatisme. Il a été un des derniers pays au monde à avoir une loi pour le divorce, et aujourd’hui un débat a lieu sur la possibilité de dépénaliser l’avortement thérapeutique, « qui au Chili est illégal ». La pénalisation a été réalisée à la fin de la dictature de Pinochet : mesures agonisantes pour laisser différents thèmes clés enchaînés. La mort de Daniel Zamudio a eu un impact important par sa brutalité mais, en accord avec le contexte récent, il rend compte de l’indifférence et l’apathie de la classe politique pour s’avancer sur des thèmes épineux. L’agitation provoquée répond à une maturation politique de la société civile, qui toujours avec plus de force affronte les pouvoirs institutionnalisés ; le mouvement étudiant en est un exemple, tout comme les révoltes d’Aysen, dans le sud du pays.

Au Chili, nous connaissons tous les ans des morts pour fémicide. Mais, apparemment, les politiques publiques sont toujours tardives, les ressources manquent, et dans beaucoup de cas les femmes qui sont accueillies à la législation intrafamiliale meurent à cause de l’inefficacité de la loi qui bureaucratiquement se trouve inopérante dans des dizaines d’occasions. La mort de Daniel Zamudo, jeune de 27 ans, exprime sans doute une violence qui a été institutionnalisée. À Santiago on peut marcher sur deux ou trous pâtés de maisons dans le quartier de José Miguel de la Barra, espace « protégé » par le bon goût et un marché gay émergent. Bulle sociale du marché qui ne coïncide pas avec les libertés et les droits qui sont supposées être les bases du système démocratique (dans ce cas, le modèle néolibéral imposé au Chili n’est pas synonyme d’exercice de droits). En traversant Alameda, à quelques encablures du quartier gay, Daniel Zumido a été brutalement battu. Apparemment, comme le dit Néstor Garcia Canclini, nous sommes des consommateurs du XXIe siècle, mais nous continuons d’être des citoyens du XIXe.


Juan Pablo Sutherland est un écrivain chilien (http://juanpablosutherland.blogspot.fr/).

Source (espagnol) : Pagína 12, 6 avril 2012, http://www.pagina12.com.ar/diario/suplementos/soy/subnotas/2379-223-2012-04-11.html.

Traduction française : Guillaume Jacquemart.

responsabilite


[1Le 2 mars, Daniel Zamudo, 27 ans, a été attaqué et torturé dans le parc San Borja de Santiago du Chili par un groupe de néonazis. Il y a quatre détenus et imputés pour l’agression, qui comprend brûlures de cigarettes, fissure d’ossements et une déchirure au ventre en forme de croix gammée. Daniel a agonisé 25 jours avant de mourir. Son cas s’est converti en un emblème de la lutte contre la discrimination.

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