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VENEZUELA - Entretien avec Lorena Freytez, militante de la culture urbaine alternative : « Chávez est un politique de type nouveau, il valorise les savoirs populaires »

Clodovaldo Hernández

vendredi 27 juillet 2012, mis en ligne par Thierry Deronne

Quand le Pôle patriotique a été créé (octobre 2011) vous avez dit au président Chávez que c’était « une manière de sortir du désert ». Pourquoi les mouvements sociaux en viennent-ils à se sentir dans un désert au sein d’un gouvernement révolutionnaire ?

Au sein de la Révolution ont émergé des initiatives d’organisation populaire sans formes préalablement définies, nées des propres besoins, des demandes et de la créativité des gens. Dans certains cas il s’agissait de politiques sociales mises en place par les gens de manière informelle. Par exemple ce que nous avons fait depuis plus de quatre ans avec des jeunes des secteurs populaires (dans le Noyau endogène culturel « Tiuna el Fuerte ») constitue une politique sociale informelle. Ces initiatives n’avaient pas été suffisamment reconnues. Le Pôle a ouvert la possibilité de les reconnaître.

Et on a avancé ?

Petit à petit. Le Pôle patriotique cherche à approfondir le programme de gouvernement que vient de proposer le Président parce qu’avec elle on pourra aller plus loin dans des aspects concrets, dans des transformations spécifiques auxquelles chacune des organisations peut contribuer.

Et pourquoi ces formes de luttes ne sont-elles pas canalisées directement par le Parti socialiste unifié du Venezuela, pourquoi requièrent-elles un nouvel espace ? Qu’est-ce qui empêche le PSUV, qui est un parti nouveau créé dans la révolution, d’interpréter ces nouvelles tendances ?

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un problème du PSUV mais du moment historique que vit la figure du parti politique comme forme d’organisation du peuple. Non seulement ici mais à l’échelle mondiale. La manière de fonctionner, la structure, la manière de prendre des décisions des partis ne correspondent pas toujours aux dynamiques, aux subjectivités, aux rationalités, aux états émotionnels actuels. Sans doute les partis n’ont-ils pas la même plasticité que les mouvements sociaux, qui agissent de manière plus rapide, c’est tout un débat, mais nous croyons que la pratique est le moment authentique de la formation, les luttes concrètes dans la rue, la mobilisation permanente. Dans les partis on investit plus de temps dans la consolidation d’une structure. Je ne dis pas que cela n’est pas important, bien sûr que ça l’est, mais c’est un type de lutte différent des mouvements sociaux. En particulier dans le cas des jeunes qui cultivent une « rationalité Facebook », vidéo, audiovisuelle. Si les partis ne comprennent pas ces mécanismes, qui sont hégémoniques, ils ne pourront pas faire grand- chose pour les nouvelles générations.

Vous avez affirmé que le Président est comme la charnière qui peut connecter les mouvements sociaux qui ne se sentent pas inclus par les partis ni par la bureaucratie gouvernementale. Ce qui semble contradictoire vu que le Président est à la fois chef du gouvernement et du parti socialiste unifié. Comment l’expliquer ?

Eh bien, si nous le voyons depuis notre collectif (Tiuna el Fuerte), nous croyons qu’il y a une rupture historique dans les manières d’exercer la politique. Les mouvements culturels sont l’avant-garde de la production symbolique pour la transformation idéologique de la société. Ce sont eux qui garantissent la construction d’une nouvelle hégémonie parce qu’ils élaborent des contenus, des dispositifs narratifs, du sens. Les politiques de l’ère antérieure ne comprennent pas que ce que nous faisons est aussi la politique. Ils pensent que la politique doit obéir aux mécanismes traditionnels d’accès et de conquête du pouvoir. Les hommes politiques nouveaux, comme le Président, savent que le pouvoir est déployé dans toute la société et que la tâche est d’articuler toutes ces activités de pouvoir qui existent, dispersées. Il réussit à interpréter ces nouveaux signes de l’action politique, il leur donne un espace et le Pôle patriotique est une des stratégies les plus puissantes qu’il a imaginées à cet effet. Il possède une acuité pour lire les transformations de l’action politique et pour voir dans des mouvements comme le nôtre un grand potentiel. Il valorise les savoirs et les inventions politiques populaires. Quand on a fondé Avila TV, la droite avait peur de cette chaîne parce qu’elle pressentait sa capacité d’influencer les nouvelles générations alors qu’au sein des courants révolutionnaires cette proposition fut critiquée, accusée d’être dépolitisée. Mais le Président, lui, a réussi à percevoir ce potentiel parce qu’il croit beaucoup dans le peuple et c’est pour cela qu’il prend ses distances avec les dirigeants qui, même quand ils l’accompagnent dans sa démarche, n’ont pas cette capacité de comprendre. Quand nous voyons les jeunesses des partis, par exemple, nous nous rendons compte qu’elles sont… déjà vielles ! Ils se disent jeunes mais ils ne le sont pas. Non pas à cause de leur âge mais de leur manière de communiquer, de leur impossibilité d’établir un dialogue avec les plus jeunes.

Jusqu’à quel point l’idéologie du « Moi je me barre » [1] a-t-elle pénétré parmi les jeunes des secteurs populaires ?

Elle n’a pas pénétré beaucoup. Dans les quartiers il y a différentes subjectivités juvéniles. Il y a des jeunes qui se connectent avec l’extérieur à travers la production culturelle. Ils n’ont d’aucune manière envie de partir. Au contraire ils voient dans le processus révolutionnaire une possibilité de croître comme artistes. D’autre part il y a les exclus qui n’arrivent pas à sortir du quartier, dont la vie se réduit à un coin de rue, une impasse, et qui sont dominés par la dynamique de la violence. Chez eux cette idéologie a encore moins pénétré, ils n’ont aucun contact avec cette idéologie des élites, il y a une distance de classes très radicale.


Croire en ceux en qui personne ne croit

Si Lorena Freytez devait débattre avec un jeune militant de droite, elle le pousserait vite dans les cordes. Avis aux amateurs. Ceci vaut y compris pour ceux qui, sur la base de l’argument d’une jeunesse relative, aspirent aux plus hautes fonctions. Ce n’est qu’un avis personnel mais si vous voulez juger vous-mêmes sur pièces, regardez http://www.youtube.com/watch?v=7v4v1uxLMNQ pour comparer avec les prises de parole de n’importe lequel des jeunes opposants, y compris avec celle du « jeune » principal [2]. On en parlera ensuite.

Comment se forme une jeune femme comme Lorena ?

Eh bien mes parents sont de gauche. Nous sommes de l’État Lara. Il y a là-bas une forte tradition d’organisation populaire. Quand j’étais enfant j’allais aux réunions de quartier, l’idée de participer a toujours été un principe de ma famille. Je me suis formée comme psychologue sociale à l’UCV (Université centrale du Venezuela) puis au sein d’un groupe baptisé « Voix cachées » nous avons travaillé avec des détenus adolescents, une réalité très dure. Nous voulions croire en ceux en qui personne ne croit. La première chose qu’on nous a dite, c’est que nous allions échouer, qu’e nous avions affaire à des monstres. Mais nous avons réussi, nous avons découvert des êtres pleins de sensibilité, qui dès qu’ils ont été traités en égaux ont manifesté un haut degré de force créatrice. Ensuite je me suis liée à Tiuna el Fuerte, une autre lutte de jeunes en lesquels personne ne croyait, petits caïds, fous, rockers, heavy, punk… Nous avons voulu prouver que ce que nous faisons aussi est de la politique, que nous apportons quelque chose à la transformation du pays. Cela nous a obligé à vaincre la souffrance et les frustrations. C’est aussi pour cela que je dis que nous venons du désert… ».


Article de Ciudad Caracas, édition du 16/07/2012, http://www.ciudadccs.info/?p=314106.

Photo 1 : Jesús Castillo / Ciudad Caracas

Traduction : Thierry Deronne

Première publication en français : http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/07/17/lorena-freitez-militante-de-la-culture-urbaine-alternative-au-venezuela-chavez-est-un-politique-de-type-nouveau-il-valorise-les-savoirs-populaires/

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[1Titre d’une vidéo récemment produite au Venezuela, où des jeunes de milieu aisé expriment leur projet de quitter le Venezuela – NdT.

[2Le candidat de la droite aux élections présidentielles du 7 octobre 2012, l’entrepreneur Henrique Capriles Radonski, base sa campagne sur l’image du « jeune cadre dynamique » - NdT.

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