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DIAL 2286

PARAGUAY - Main basse sur les terres indigènes

Serafina Ferreira de Alvarez

mardi 16 mars 1999, mis en ligne par Dial

Pour respecter les promesses faites aux populations indigènes, l’État paraguayen a engagé et inscrit au budget des sommes considérables destinées à acheter les terres nécessaires et appropriées. Cependant, l’achat de ces terres effectué par l’Institut paraguayen de l’indigène (INDI) dans les années 1995-1997, a donné lieu à des spéculations qui se sont traduites par une énorme fraude : l’État - ainsi que le contribuable - a perdu son argent, les propriétaires terriens en ont gagné beaucoup et les indigènes, une fois de plus, sont frustrés dans leur droit à la terre. Article de Serafina Ferreira de Alvarez, paru dans ACCIÓN, novembre 1998 (Paraguay).


Le document que vous allez lire est un Rapport qui dénonce les spéculations réalisées par l’INDI. Il concerne les acquisitions de terres destinées aux peuples indigènes. Il révèle, comme on le verra, un grave cas de corruption commis au détriment de la population la plus démunie du Paraguay, et conçu au préjudice de tous les habitants, indigènes et non indigènes.

Le présent Rapport est basé sur une étude sérieuse et responsable réalisée par une équipe de chercheurs dirigée par Stephen W. Kidd et Mirta R. Pereira (assistante), sous les auspices de la Coordination nationale de la pastorale indigène et de l’ONG Terre Vive (Tierra Viva). Il couvre les années 1996-1997.

Dans cet article nous allons nous référer aux résultats de cette recherche dont le titre est Acquisition de terres par l’État paraguayen dans la région du Chaco, 1995-1997.

L’étude de la distribution de fonds pour l’achat de terres dans la région orientale n’a pas encore été réalisée.

L’achat des terres indigènes

L’achat de terres de mauvaise qualité, à des prix exorbitants, dans des zones qu’aucun bénéficiaire ne revendique, sont des procédés couramment utilisés par l’INDI. Ils constituent quelques-unes des preuves les plus évidentes de la corruption régnant dans certaines sphères du gouvernement paraguayen et plus particulièrement au sein de l’organisme en question. Ces faits de corruption se nourrissent, en toute cruauté, de la vulnérabilité des populations indigènes, premiers habitants de ce pays qui s’autoproclame aujourd’hui « pluriculturel et multiéthnique ».

En octobre 1995, les « Entités indigénistes privées » envoyèrent une note à Milciades Rafael Casabianca, alors président du Parlement. Elle sollicitait la modification du projet de budget étudié par la commission mixte ad hoc, concernant la somme assignée par le ministère de l’économie pour légaliser les terres indigènes.

À cette occasion, les « entités privées » avaient présenté un tableau illustratif qui reprenait les dossiers présentés devant l’IBR et l’INDI. Il proposait le diagnostic le plus complet sur lequel l’INDI pouvait s’appuyer pour justifier une demande de financement afin d’entreprendre l’acquisition d’immeubles. Les « entités » avaient alors fait savoir que le tableau ne couvrait pas la totalité des demandes ni celle des besoins en terres : il s’agissait de dossiers qu’on pouvait clore dès que les terres seraient payées.

En résumé, voici quelles étaient les terres susceptibles d’être achetées à des prix déjà calculés :

Les organisations indigènes avaient participé à cette campagne pour obtenir que le budget destiné à l’achat des terres soit augmenté. Les indigènes avaient réalisé des actions dont la plus remarquable fut une manifestation, devant le Parlement, de 400 personnes appartenant aux peuples Enxet, Toba Qom et Nivaclé, en octobre 1995.

En réponse à cette revendication, les représentants du Parlement promirent d’injecter 15 millions de dollars sur trois ans.

Le budget promis de 30 milliards 773 millions 565 000 guaranis pour les années 1996-1997 fut attribué.

Région orientale 68 622 ha 27 266 400 000 guaranis [1]
Région occidentale 813 546 ha 48 432 180 000 guaranis
Total 882 168 ha 75 698 580 000 guaranis

Des propriétaires largement indemnisés

C’est ce processus qui fut à l’origine d’une terrible spéculation dans les transactions d’achat de terres menées par l’INDI. Le gouvernement qui devait acheter des terres pour en faire, soi-disant, bénéficier les communautés indigènes, acheta en réalité des terres qui n’étaient pas celles que revendiquaient les communautés mais celles que les propriétaires, désireux de profiter de la manne libérée par le budget, avaient désignées.

L’INDI est sans aucun doute le principal responsable de cette situation ; en effet, alors que la loi 904/81 stipule que cet organisme doit travailler avec l’IBR lors de l’acquisition des terres, ce dernier fut exclu des transactions chaque fois que les offres des propriétaires arrivaient avant les « réclamations » indigènes.

Au détriment des Indiens

Nous allons à présent synthétiser les principales informations de cette étude en rappelant néanmoins - comme le souligne le document lui-même - qu’il ne s’agit que d’une première analyse qui sera développée et approfondie ultérieurement, compte tenu de la nécessité de mener une enquête plus large pour actualiser les informations et corriger ce qui devra l’être.

Dès 1995, la part correspondante à l’achat de terres dans le budget de l’INDI avait augmenté. Cette année là, elle mobilisait la somme de 5 millions de dollars, chiffre qui fut triplé l’année suivante pour s’élever à environ 15 millions de dollars. De même en 1997. Cette augmentation significative aurait pu répondre à une grande partie des réclamations de terres présentées à l’INDI. Cependant, jusqu’en septembre 1998, seuls 208 129 ha de terres réclamés à l’État avaient été pris en compte et attribués à des communautés indigènes.

Ce sont, dans presque tous les cas, des employés de l’INDI - indigènes et non indigènes, membres du Conseil de direction non qualifiés pour cette tâche - qui réalisèrent les inspections de terres, négligeant la participation de professionnels capables de réaliser des expertises sur les possibilités agro-écologiques et sur les conditions permettant d’évaluer si ces terres pouvaient être habitées par les indigènes. L’action menée contrevenait donc à la loi 904/81, qui exige une telle évaluation. Il existe des preuves que les rapports élaborés par ces « professionnels » pour que les terres en question soient tenues pour « aptes » au développement de l’habitat indigène contiennent de graves erreurs dues à l’incompétence de leurs rédacteurs.

Entre septembre 1994 et décembre 1997, l’État paraguayen a acheté 451 528 ha de terres. Dans 12 cas sur les 20 enregistrés, soit 60 % représentant un total de 269 399 ha, les propriétaires ont fait leurs offres avant que les communautés indigènes aient sollicité leurs parcelles. Pour légitimer ces achats, l’INDI procédait ainsi : après avoir négocié l’opération d’achat/vente avec le propriétaire, il se mettait en quête d’une communauté susceptible de présenter une demande officielle. C’est ainsi que des « leaders » indigènes ont été impliqués dans la mise en route de ces opérations.

Cette négociation s’explique de différentes façons dans la difficile situation socio-économique que connaissent les communautés indigènes. D’ailleurs, la période préélectorale que nous avons vécue avant le 10 août a incité certains leaders indigènes à entrer dans le jeu des organismes publics ou du parti au pouvoir en se laissant manipuler par ces derniers.

Vint un moment où il ne fut plus possible de cacher la situation existante, et la position du président alors en exercice, Valentin Gamarra, devint intenable. Il fut démis de ses fonctions et refuse aujourd’hui de se présenter devant la justice.

Un des cas les plus parlants et les plus scandaleux est celui de Benito Galeano (journal ABC, 18 nov. 1997), qui avait offert sa terre à 12 dollars l’hectare alors qu’elle lui fut payée 120 dollars, c’est-à-dire dix fois plus qu’elle ne valait (2 706 165 dollars).

Deux fois volés

Le concept de territoire dépend du sens que nous donnons à l’humain, à la terre, à la nature et à la relation entre ces éléments. De même, l’interaction et la signification de tous ces éléments définissent tant notre culture que celle des indigènes. Nous savons également que la culture indigène trouve ses racines dans la communauté et c’est pourquoi la terre est un bien collectif. Ne pas reconnaître aux indigènes leurs droits sur leur territoire, tout particulièrement sur le territoire des ancêtres, implique la destruction non seulement de leur culture, mais encore de leur organisation communautaire. En un mot, la destruction de leur vie.

Voici cinq cents ans que les premiers habitants de ces terres en ont été injustement spoliés et se sont, pour la majorité d’entre eux, retrouvés réduits en esclavage. L’actuelle fraude commise par l’INDI lors de l’achat de terres pour les communautés indigènes et la totale impunité dont les coupables bénéficient, signifient pour les indigènes une seconde spoliation de leurs terres, comme si la première n’avait pas suffi. Ces nouvelles violations sont nées en même temps que l’on reconnaissait aux premiers propriétaires leurs droits sur les terres de leurs ancêtres. Et le plus scandaleux est que ces violations, vols et fraudes sont camouflés sous couvert - et dans le cadre - d’une apparente légalité.

Souhaitons que cette enquête soit confiée à ceux de nos compatriotes qui se sont mis au service d’une nouvelle justice. Que l’on parvienne enfin à ce que la Constitution de 1992 a reconnu aux peuples indigènes : « Les peuples indigènes ont le droit de posséder la terre en quantité et en qualité suffisante pour qu’ils puissent conserver et développer leurs formes particulières de vie. L’État leur fournira gratuitement ces terres que nul ne pourra saisir, diviser, transférer, prescrire. Elles ne pourront ni servir de garantie pour des obligations contractuelles, ni être louées ; elles seront, également, exemptées de tout tribut. » (Constitution nationale, chap. V, art. 64).


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2286.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ACCIÓN, novembre1998.
 
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[11 000 guaranis = 2,50 FF au 30 juin 1996 (NdT).

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