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DIAL 2344

AMÉRIQUE LATINE - Aggravation de la guerre civile sous l’effet du narcotrafic

Farban Haq

mercredi 1er décembre 1999, mis en ligne par Dial

Texte de Farban Haq, 6 novembre 1999, IPS. Voir introduction DIAL D 2333.


Selon des analystes politiques, l’accroissement du trafic de cocaïne en Colombie à cause de la demande grandissante en l’Europe et en raison des problèmes de la production de coca au Pérou, a intensifié le conflit entre le gouvernement, les rebelles de gauche et les paramilitaires de droite.

Des fonctionnaires qui ont tenté de mettre fin à 40 ans de guerre civile pensent que la lutte pourrait empirer dans les prochains mois car les profits de la drogue permettent à toutes les parties en conflit d’acheter des armes et quelques groupes tentent de faire échouer le fragile processus de paix.

Rafael Pardo, ex-ministre de la défense et président de la Fondation Milenia, groupe de recherche à Bogota, affirme que l’un des facteurs qui a permis l’augmentation des profits du narcotrafic a été l’apparition d’un champignon qui s’attaque à une espèce de plants de coca au Pérou.

Comme conséquence, les cartels de la drogue ont transféré plus de production dans les plantations en Colombie où on estime qu’il y a 100 000 hectares de coca.

Pardo a expliqué que ceux qui profitent le plus de la production, ce sont d’une part les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) qui assurent le contrôle et prélèvent des impôts sur la plus grande partie de la production de coca de la région sud-ouest du pays, et d’autre part les paramilitaires de droite qui assurent le contrôle de la région nord.

« Les FARC se sont beaucoup accrues ces quatre dernières années », a signalé Pardo, qui a été ministre de la défense pendant la présidence de César Gaviria entre 1991 et 1994, et a tenté aussi de négocier la paix avec les groupes rebelles.

Le gouvernement colombien et des fonctionnaires des États-Unis, qui veulent que Washington donne une aide militaire de 2 000 millions de dollars à Bogota dans les trois prochaines années pour combattre le narcotrafic, affirment que les FARC ont acquis, entre autres, des missiles terre-air et des moyens de transports aériens.

Francisco Santos, éditeur du journal El Tiempo et membre fondateur du « País Libre », groupe de militants agissant contre les prises d’otage, a indiqué que, de leur côté, « les paramilitaires ont beaucoup augmenté » et ils assurent le contrôle des principales zones de production de cocaïne dans la région du Nord.

Santos affirme que les cartels de la drogue ont aidé toutes les parties en conflit à acheter des armes, mais aujourd’hui le principal intérêt des forces rivales est de s’assurer qu’aucun d’entre eux ne parvient à assurer le contrôle du pays.

« Les narcotrafiquants financent tous les protagonistes de cette guerre, de gauche et de droite, (créant ainsi) une sorte de chaos », a-t-il observé. Cela fait que tous ont intérêt à « aider chacune des parties à générer le chaos et, probablement, à boycotter les négociations de paix », a-t-il averti.

« Les dialogues de paix, encouragés par le président Andrés Pastrana qui est au gouvernement depuis un an, n’ont commencé à avancer que depuis quelques semaines » a-t-il déclaré.

Le gouvernement et les FARC ont renoué les négociations le 24 octobre, et ils ont établi une liste de douze points pour venir à bout de la guerre.

Pardo a ajouté que le gouvernement a organisé aussi, grâce en partie à Cuba, plusieurs séries de négociations avec le groupe de gauche Armée de libération nationale (ELN) afin de commencer les négociations de façon sérieuse avant la fin de l’année.

Des analystes ont remarqué cependant que le facteur de la drogue peut compliquer le processus de paix car le trafic colombien, qui représente environ 80 % de la production mondiale de cocaïne, a attiré l’attention des États-Unis.

« Les États-Unis n’ont une politique claire ni par rapport à l’Amérique Latine ni par rapport à la Colombie », et leur souci principal est le narcotrafic, a expliqué Pardo.

En outre, étant donné que l’année électorale approche aux États-Unis, « je ne crois pas que Washington adopte une position trop définie », a-t-il ajouté.

Le président des États-Unis, Bill Clinton, a fait l’effort d’adopter une position ferme contre les drogues, c’est pourquoi Pastrana a demandé à Washington 7 milliards de dollars pour la lutte contre la production en Colombie pour les prochaines années.

Quelque 1,5 milliard de dollars de ce total seront investis dans le secteur militaire, afin de remplacer la police par des militaires, dans la lutte contre la production locale et le trafic de drogue, a expliqué Pardo.

La demande d’aide de Pastrana a été entendue en Washington.

« Il n’y aura pas de paix en Colombie tant que les organisations de narcotrafic et le marché noir continueront à financer les groupes illégaux de mon pays », a averti Pastrana au mois de septembre pendant son séjour aux États-Unis, où il participait à l’Assemblée générale des Nations Unies.

« Nous devons lutter surtout contre la contrebande des produits industriels en Colombie, qui est la façon de laver l’argent de la drogue et d’étouffer les industries du pays. Et aussi nous devons arrêter l’arrivée des produits chimiques indispensables à la fabrication des narcotiques », a expliqué Pastrana aux Nations Unies.

Les démarches de Pastrana ont reçu l’appui de la Maison Blanche, qui s’est engagée à lui donner 290 millions de dollars d’aide pendant cette année fiscale, et a promis 2 milliards de plus pour les prochaines années, à partir de la visite du président colombien.

Les États-Unis ont déjà envoyé quelque 200 conseillers militaires, supposés apprendre à améliorer la stratégie des forces armées dans la lutte contre les drogues.

Ce fait a inquiété les groupes défenseurs des droits de l’homme, qui accusent l’armée colombienne et les paramilitaires de droite de commettre de graves abus.

Dans le Rapport mondial de 1999, la principale organisation des droits de l’homme siègeant aux États-Unis, Human Rights Watch, affirme que les militaires colombiens sont toujours suspectés de commettre des atrocités contre la population civile. Or, la Colombie « montre peu d’intérêt pour enquêter ou punir les coupables », ajoute-t-elle. José Miguel Vivanco, directeur d’Human Rights Watch, a écrit mercredi à Pastrana pour dénoncer le fait que deux officiers de la Neuvième brigade de l’armée, impliqués dans l’assassinat du sénateur Manuel Cepeda en 1994, exercent toujours leurs fonctions.

Vivanco demande dans sa lettre : « Comment est-il possible que ces individus non seulement soient en activité, mais que, en plus, ils travaillent dans le service des Renseignements généraux ? »


Une forte augmentation des surfaces de coca

Des experts ont remarqué que l’augmentation de 222 % des cultures de coca en Colombie, entre 1995 et 1998, met en relief une politique antidrogue variable, liée aux compromis internationaux, qui met l’accent sur les problèmes de production sans s’attaquer à la commercialisation.

L’organisation Action andine, qui groupe des chercheurs sur des thèmes de la drogue dans les pays de cette région, a signalé que les cultures de coca en territoire colombien sont passées de 45 550 hectares en 1995 à 101 200 hectares en 1998, bien que ce pays ait été celui qui a éradiqué la plus grande superficie de coca durant ce laps de temps.

Cette augmentation notable a été reconnue par le directeur de la police antidrogues, le colonel Leonardo Gallego. Celui-ci a affirmé que dans les départements de Cauca à l’ouest du pays, de Nariño au sud, et de Nord de Santander au nord-est, l’augmentation des cultures illicites a dépassé les 100 %.

Cependant, Gallego a indiqué que la région où l’augmentation est la plus évidente est en Putumayo, au Sud de la Colombie. Dans cette région, on est passé de 12 000 hectares en 1997 à quelque 35 000 actuellement.

En 1998, la police antidrogues a éradiqué près de 45 000 hectares de plantations de coca et on détruira cette année quelque 38 000 hectares.

Ricardo Vargas, chercheur d’Action andine en Colombie, a affirmé que l’augmentation des cultures illicites est le résultat d’une stratégie erronée qui « ne s’attaque pas aux profits du narcotrafic, véritables promoteurs de l’affaire ». Vargas a dit à IPS que si on analyse « historiquement ce problème », on constate que la demande de la feuille de coca dans les quatre années dernières s’est maintenue entre 270 000 et 300 000 tonnes ; entre-temps, ce sont uniquement les zones où elle est produite qui ont changé. (...)

Les experts affirment que les véritables trafiquants de drogues sont « en train de faire la fête » avec l’augmentation des prix des stupéfiants. La cotation du kilo de cocaïne-base est passée de quelque 400 dollars il y a deux ans, à 800 et 1 000 dollars actuellement.

Yadirra Ferrer,

Santafe de Bogotá, octobre 1999, IPS


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2333.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, novembre 1999.
 
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