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DIAL 2367

ARGENTINE - Chronique d’un enfant livré à lui-même

samedi 1er avril 2000, mis en ligne par Dial

Interview d’un enfant travailleur de la rue en Argentine, parue dans Desafios Urbanos, juillet-août 1999, Córdoba (voir aussi les autres dossiers : DIAL D 2365, 2366, 2368 ; 2369 et 2370).


Il s’appelle Xavier, paraît plus jeune que son âge réel et vit à Villa El Libertador. Cheveux noirs frisés, yeux vifs, il porte un pull-over rouge passablement décoloré et un petit sac à dos. Il n’a jamais été incarcéré et peut-être n’a-t-il jamais utilisé une arme. Mais il s’avance sur les marges et, par moments, à en juger par ses réponses, il semble s’être engagé sur un chemin sans retour. Peut-être est-il un assassin en puissance, mais, aujourd’hui, il est surtout une victime. Et personne, ni L’État, ni la société, ne fait quoi que ce soit pour renverser cette situation.

Quel âge as-tu ?

Quatorze ans.

Que fais-tu ?

Je travaille dans la rue à vendre des revues et à laver des vitres.

Pourquoi ?

Parce que je dois nourrir ma famille.

As-tu des frères et des soeurs ?

Oui, deux. Un de neuf ans et une autre de 7 ans.

Et tes parents ?

Bon, mon papa est en tôle et maman est à la maison parce qu’elle souffre de tension et elle est boîteuse, elle a un problème au pied.

As-tu d’autres parents, un oncle ou des cousins, qui puissent t’aider ?

Non, depuis que mon papa a été mis en tôle, nous n’avons plus vu personne.

Tes frère et sœur vont à l’école ?

Oui, le matin. Et, l’après-midi, celui de 9 ans m’aide dans mon travail.

Ta maman fait quelque chose ?

Non.

Que fais-tu pendant ton temps libre ?

Je rejoins mes amis.

Et tes amis, qu’est-ce qu’ils font ?

On se met à prendre quelque chose, on se shoote.

Toujours ?

Presque toujours.

Pourquoi pas toujours ?

Parce qu’il y a des fois où nous n’avons pas d’argent.

Et toi, tous les jours, tu apportes de l’argent chez toi à la maison ?

Parfois. Quand je travaille bien. Il y a des fois où je ne fais rien.

Et comment fais-tu pour nourrir ta famille ?

Est-ce que je sais ? Nous avons des amis, je demande de l’argent, j’achète à crédit.

Quelle famille aurais-tu aimé avoir ?

Est-ce que je sais ? Comme tout le monde, avec un père et une mère. Que mon papa travaille et que nous allions à l’école.

As-tu une petite amie ?

Non, je n’ai pas le temps de penser à cela.

Comment fais-tu pour t’habiller ?

Ben, des fois, je vais voler, parce que je n’ai pas de quoi rien qu’en vendant revues et livres.

Et ton frère aussi ?

Oui, des fois.

Et ta maman aussi ?

Oui, aussi.

Ta maman, qu’est-ce qu’elle te dit ?

J’essaie qu’elle ne se rende pas compte parce que, comme elle est à moitié malade, j’ai peur qu’il lui arrive quelque chose.

Tu aimes beaucoup tes frère et sœur et ta maman ?

Oui.

Et ton papa ?

Lui aussi. Mais il en a pour un bout de temps avant de purger sa peine.

Les gens te marginalisent ?

Oui, parce que, quand je me drogue, je présente mal. Comment dire ?... Je deviens dingue, je donne un mauvais exemple.

Raconte-moi tes journées, du matin jusqu’au soir.

Le matin, je me lève vers 7 heures, je prends le thé et je conduis mes petits frères à l’école. Et je m’en vais travailler. Je passe toute la journée ici et là, je reviens le soir. A midi, je mange un sandwich dans le centre-ville et l’après-midi j’achète des criollos [1]. Je rentre à la nuit et je donne de l’argent à ma mère pour qu’elle fasse quelque chose à manger et après je sors avec des amis faire le couillon.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2367.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Desafios Urbanos, juillet-août 1999.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

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[1Type de pain (NdT)

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