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DIAL 2407

PANAMA - Le Panama affronté au Plan Colombie

Mgr Carlos María Ariz, Hector Endara Hill

dimanche 1er octobre 2000, mis en ligne par Dial

Les pays frontaliers avec la Colombie (Panama, Venezuela, Brésil, Pérou et Équateur) manifestent de plus en plus leurs craintes face au conséquence que va avoir sur leur propre territoire la mise en œuvre du Plan Colombie. Le financement de sa partie la plus « militaire » est assuré par les États-Unis (cf. DIAL D 2374 et 2381). Déjà, sont signalés des mouvements de population en provenance de Colombie, venant s’installer en Équateur. Il faut dire que ce pays-ci est le plus sensible puisque c’est dans la province colombienne de Putumayo, frontalière avec l’Équateur, que doivent se faire des fumigations systématiques et à grande échelle contre les cultures de la coca. Le Brésil vient de lancer l’opération Cobra dont le but est d’installer des bases de contrôle dans sept villes frontalières pour empêcher le passage clandestin de guérilleros et de paysans colombiens. De vives inquiétudes s’expriment aussi au Panama comme en témoigne la déclaration ci-dessous en date du 11 septembre 2000, émanant du président de la Pastorale sociale-Caritas de la Conférence épiscopale panaméenne, Mgr Carlos María Ariz, et du coordinateur national de cette même institution, Hector Endara Hill.


1. Il existe certainement dans le Plan Colombie des éléments-clés auxquels nous n’avons pas accès et c’est le cas, hélas, de la grande majorité de la population colombienne et des pays qui seront affectés. Cependant, il existe des situations claires que nous ne pouvons pas simplement ignorer, même si nous le voulions, sans devenir complices par omission. Le contenu essentiel du Plan correspond, c’est un fait, à des opérations de caractère militaire. Plus de 60 % des 1 300 millions de dollars investis par le gouvernement des États-Unis correspondent à la partie militaire de ce plan. Il y a beaucoup de précédents qui montrent que ce genre d’investissement ne respecte pas les innocents - ni les gens, ni l’environnement - quand sont déployés les moyens militaires.

2. Le Panama est déjà impliqué, contre sa volonté, dans la problématique colombienne. Ainsi :

a) Les réfugiés et les déplacés qui fuient la situation en Colombie, qui viennent au Panama, et que nous sommes obligés d’accueillir par humanité.

b) La violence continuelle qui affecte les Panaméens vivant dans les villages de la frontière, signalée d’innombrables fois par les membres de l’Église locale.

c) Le trafic d’armes qui passe par le Panama et qui utilise le Panama.

d) Le gouvernement du Panama a demandé une partie des 1 300 millions de dollars que les États-Unis ont donnés à la Colombie.

3. Le gouvernement des États-Unis veut entraîner le Panama dans le conflit militaire qu’il encourage et auquel il participe maintenant en Colombie. Le Panama doit éviter, coûte que coûte, d’être impliqué dans ce conflit militaire. Le Panama ne doit pas permettre que les États-Unis, en utilisant l’argument que notre pays « n’est pas isolé, mais qu’il fait partie du continent », parvienne à nous impliquer ou à faire que nous impliquions nous-mêmes notre patrie.

4. Au Panama, nous devons être conscients de la nécessité d’empêcher tout trafic de drogue, mais pas seulement parce que cela affecte la Colombie ou les États-Unis, mais parce que le trafic de drogue détruit notre propre peuple et corrompt nos propres institutions. Il est évident que les États-Unis utilisent maintenant le trafic de drogue pour intervenir sur le continent, comme ils utilisaient auparavant la guerre froide ou la lutte contre le communisme, non comme une raison, mais bien comme un prétexte pour continuer à produire des armes, pour continuer à les vendre, pour militariser les pays et intervenir chez eux.

5. Rien ne doit servir d’excuse au gouvernement du Panama pour engager le peuple du Panama dans un conflit militaire étranger, exacerbé par l’interventionnisme nord-américain, ou pour militariser le pays. Le peuple du Panama ne croit pas à la guerre comme solution aux problèmes, même quand il s’agit du narcotrafic.

6. Le conflit du narcotrafic doit être résolu par les États-Unis sur leur propre territoire ; ils ont les moyens technologiques, plus qu’il n’en faut, et les moyens militaires pour empêcher que tout ce narcotrafic entre dans leur pays et y circule ; les États-Unis n’ont aucune raison pour faire en Colombie ou au Panama ce qu’ils ne veulent pas faire sur leur propre territoire et avec leurs propres citoyens. Personne n’aurait l’idée de faire des fumigations dans les rues de New-York parce qu’il s’y consomme beaucoup de drogue. Nous avons le devoir éthique de nous solidariser avec le peuple nord-américain qui souffre du fléau de la drogue, et en partant du même principe, nous avons le devoir éthique de rejeter le militarisme que la politique du gouvernement nord-américain impose au Plan Colombie.

7. Il y aura production et vente de drogue tant que les États-Unis ne payeront pas les prix justes pour le café, les bananes, le sucre et tous les autres produits traditionnels des pays du tiers-monde. Les politiques de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale font aussi partie du contexte social, politique et économique qui a forgé la situation de violence que la Colombie vit aujourd’hui.

8. Nous ne pouvons pas oublier le contexte historique des relations qui ont été la règle dans la politique des États-Unis avec les pays du continent. L’analyse des avantages et des désavantages dans cette relation fait pencher largement et rapidement la balance en faveur de la politique nord-américaine. Le profit que représente l’industrie de la guerre pour les grands groupes producteurs de tout type d’armement aux États-Unis accompagne la politique extérieure de ce pays.

9. Le drame humain des personnes déplacées par la violence en Colombie est une situation qui dure depuis de nombreuses années. Il s’agit de plus de deux millions de Colombiens qui, fuyant la violence, se sont vus forcés à errer dans des conditions infra-humaines et dans des endroits où n’existent pas la moindre garantie ni les conditions pour une vie digne. C’est ainsi qu’ils arrivent à la frontière de notre pays. Qui peut minimiser les conséquences terribles et énormes du Plan Colombie en matière de déplacement d’êtres humains vers notre frontière commune ?

10. Ce ne devrait être un secret pour personne que l’appauvrissement et les injustices sociales sont à la base de la situation violente en Colombie. Il y a de nombreuses années, à travers les médias internationaux, les images des gamines étaient diffusées dans le monde, ces milliers de garçons et de filles colombiens qui avaient pour seul refuge les dangereuses rues de la ville de Bogota. Avec toute l’injustice du monde, au niveau international également, on a stigmatisé tous les Colombiens comme des voleurs. Il est évident que ces généralisations absurdes n’ont trouvé d’écho que chez les personnes à l’esprit faible et au cœur endurci.

11. La réalité d’aujourd’hui nous dit que la « vague » de gamines et d’agressions, que l’on attribuait avant aux Colombiens, a augmenté en progression géométrique et déferle sur tout le continent, comme résultat de l’impulsion majeure donnée à un système économique dont la meilleure lettre d’introduction est l’accumulation des profits, l’accaparement vorace et l’individualisme féroce.

12. En tant que membres de l’Église, qui sert et travaille dans la communauté panaméenne, nous réclamons une paix juste, qui soit le résultat du respect intégral des droits humains, de la justice, de la vérité et de la tolérance. Nous prions pour la paix et nous la réclamons, une paix qui satisfasse pleinement les besoins de base de toute la population, en Colombie, au Panama et dans tout le continent.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2407.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Conférence épiscopale panaméenne, septembre 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

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