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FILM - CUBA - Melaza, de Carlos Lechuga (2012)

Françoise Couëdel

lundi 23 juin 2014, mis en ligne par Françoise Couëdel

 Avec Yuliet Cruz, Armando Miguel Gomez, Luis Antonio Gotti, Ana Gloria Buduen.
 Durée : 80 minutes.
 Coproduction : Cuba, Panamá, France.
 Sortie (France) : avril 2014.

Dans le petit village de Melaza, dans une zone de plantations de cannes à sucre vivent, ou plutôt survivent Mónica, sa fille d’une première union, Aldo, son nouveau compagnon, et sa mère handicapée. C’est un couple amoureux, mais leur maison est si exiguë qu’elle permet peu d’intimité au couple qui doit cacher ses ébats dans une centrale sucrière à l’arrêt. Cette usine, Mónica a pour mission d’en faire tourner quotidiennement les machines et d’envoyer les statistiques sur leur état de marche, au cas où elle serait remise en fonction. Aldo, lui, enseigne aux quelques gamins de l’école du village les rudiments de la natation dans un bassin… sans eau, et le maniement du fusil, avec des armes factices, en cas d’intervention ennemie.

La vie a déserté le village, quelques jeunes gens se réunissent pour écouter, sur la place mal éclairée, des mélodies du passé. Un avion largue du ciel des paquets de journaux, Granma probablement, que personne ne semble ramasser, une camionnette passe, diffusant des messages de propagande en faveur de la révolution, la radio annonce que quelques usines à sucre vont rouvrir, mais celle de Melaza n’en fait pas partie. Le temps est comme suspendu et les possibilités d’un emploi décent quasiment inexistantes. À la boutique du village, les denrées arrivent au compte-goutte et ne sont délivrées que sur présentation de la « libreta », le carnet de rationnement, encore en usage à Cuba.

Alors comment améliorer l’ordinaire sinon par des pratiques considérées illégales ? Mónica, Aldo, la fillette et la belle-mère quittent régulièrement la maison pour « pique-niquer », poussant la voiture de l’handicapée : cette escapade n’est destinée qu’à permettre à un couple adultère de passer, dans leur maison, un moment d’intimité, moyennant une petite compensation financière. La police qui a repéré le manège leur impose une lourde amende qu’ils sont dans l’incapacité de payer sans avoir recours à des moyens tous aussi illégaux, au risque d’aggraver leur situation.

La lenteur de l’action, les dialogues désabusés des protagonistes, leurs silences transmettent au spectateur le découragement que vit le couple qui ne voit pas ce que la révolution leur a apporté. Quelques instants de tendresse et de complicité nous laissent espérer cependant que leur couple résistera.

Les enfants du village, dans leur costume de petits « pionniers » saluent le drapeau, chante l’hymne cubain, avant d’entrer à l’école, symbole de ce qui fut une des réussites des débuts de la révolution : la scolarisation de tous les enfants sans discrimination. Mais la fille de Mónica fait l’école buissonnière. Radio Melaza diffuse la propagande officielle mais personne n’y prête attention. Autant de signes qui révèlent le malaise d’une société à bout de souffle.

La centrale sucrière fermée est le symbole de la destruction d’un pan de l’économie, qui fut un temps prospère. Après l’embargo, décrété en 1961 par les États-Unis, après la nationalisation du secteur sucrier et l’arrêt définitif de leur importation du sucre cubain, le secteur sucrier a périclité. L’Union soviétique, se substituant aux États-Unis, importa alors le sucre cubain, à des taux préférentiels, mais cessa ses importations et toute aide économique au moment de l’effondrement du bloc soviétique.

Les plantations à l’abandon vont être envahies progressivement par le marabú, un arbuste épineux qui prospère et qu’il est très difficile d’éradiquer. La plupart des usines à sucre vont fermer et les machines être progressivement paralysées. Aucune réforme du secteur agricole n’a permis la substitution de l’agriculture de plantation par une agriculture vivrière, si bien que les denrées alimentaires sont majoritairement importées des États-Unis, payables à la commande, en dollars, grâce à l’entremise de pays tiers. La pénurie est permanente même si le Venezuela, le Chili, le Canada tentent en partie d’y remédier.

Le film est une dénonciation amère, sans virulence, mais réaliste, d’une révolution qui s’essouffle, de la précarité dans laquelle vivent les habitants des zones rurales qui rêvent, tout comme Aldo, d’aller à La Havane, croyant que les opportunités y seront plus nombreuses. Rien de moins sûr ! Seule note optimiste dans ce film assez désespéré, l’amour, la tendresse que se témoignent Aldo et Mónica et qui leur permettra peut-être de résister aux aléas du quotidien.

On est loin de l’atmosphère des films de Gutiérrez Alea, critiques certes, mais illuminés par la sensualité et l’humour de certaines scènes.

L’affiche du film représente Mónica, renversée la tête en arrière, comme engluée dans cette pâte visqueuse qu’est la mélasse, résidu du raffinage du sucre, symbolique de ce qui reste de l’économie sucrière déliquescente.

Melaza est le premier long métrage de Carlos Lechuga, jeune réalisateur, formé à Cuba, à l’école de San Antonio de los Baños. Le film a été présenté, en 2012, en première mondiale au 34e Festival international du Nouveau Cinéma latino-américain de La Havane, au Film Festival de Rotterdam, en 2013, au 
Festival de Málaga.

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