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ÉQUATEUR - Reconstruire les communautés : une forme de résistance

Luis Ángel Saavedra

mercredi 15 avril 2015, mis en ligne par Dial

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Si les rapports de force entre communautés locales et entreprises d’exploitation minière sont rarement à la faveur des premières, il arrive que les plus faibles, Indiens et paysans, en ayant recours à différentes tactiques et « ruses » réussissent à retourner la situation en leur faveur. C’est ce dont témoigne cet article de Luis Ángel Saavedra publié par Noticias Aliadas le 2 octobre 2014.


Des communautés amazoniennes s’appuient sur les droits constitutionnels pour récupérer leurs territoires donnés en concession à des entreprises minières.

À Tundayme, paroisse située dans la cordillère du Condor, dans le sud de l’Amazonie équatorienne, les communautés indiennes et paysannes ont décidé de réoccuper les territoires des communautés abandonnées ou expulsées par la force, pour résister ainsi à l’avancée de gigantesques projets miniers. Les premières actions ont été un succès, cependant une riposte agressive est à redouter venant du gouvernement et des entreprises concernées.

Le 12 mai dernier des travailleurs de l’entreprise minière EcuaCorriente (ECSA), escortés par une cinquantaine de policiers ont détruit l’église et l’école de la communauté de San Marcos, située à Tundayme. Avec cette destruction, la transnationale minière croyait qu’elle avait fait disparaître totalement San Marcos, du moins en apparence.

ECSA, qui appartient à l’entreprise chinoise Railway Construction Corporation et au groupe Nonferrous Metals, a signé en mars 2012 avec le président Rafael Correa le contrat de concession pour la mise en exploitation du projet Mirador, dans la province amazonienne de Zamora Chinchipe, limitrophe du Pérou. Grâce à ce contrat, ECSA accède à des réserves de cuivre pour 5 milliards de livres, traitera 60 000 tonnes par jour et investira 1,4 milliard de dollars durant les cinq premières années. De son côté l’État équatorien devrait percevoir 52% des bénéfices, dans lesquels sont inclus les 12% de Taxe à la valeur ajoutée, l’Impôt sur le revenu, les utilités et les royalties. ECSA a proposé de verser 100 millions de dollars de royalties anticipées qui, à ce jour, n’ont pas été non versées.

Depuis plus de 10 ans ECSA, profitant d’un contrat d’exploration, a prétendu effacer de la carte la communauté de San Marcos, constituée d’Indiens shuar et de colons paysans. Pour y parvenir, ECSA n’a pas hésité à déplacer la population à grand renfort de mensonges, d’achats forcés de terre et, dans le cas de ceux qui n’avaient pas de titres de propriété, d’expulsions pures et simples.

Selon un rapport de la Commission œcuménique des droits humains (CEDHU), même l’entreprise reconnaît que la procédure d’acquisition de terres n’a pas été régulière.

« Le dossier de négociation des terres du projet Mirador, du 28 janvier 2010, élaboré par un ancien gérant des Relations communautaires de l’entreprise EcuaCorriente et le coordinateur des familles paysannes affectées, admet que, alors qu’en 2006 le gouvernement municipal d’El Pangui avait évalué l’hectare de terre à 1 000 dollars, l’entreprise a négocié en proposant 400 dollars l’hectare dans certains cas et 3 000 dollars dans d’autres, provoquant ainsi un malaise entre les familles » affirme la CEDHU, citant des rapports de l’ECSA.

« Le miracle de San Marcos »

« Une seule maison est restée debout, celle de Doña Julia. Nous y avons installé [la statue de] San Marcos [Saint Marc]. San Marcos y est donc, en quelque sorte, réfugié. Dans cette maison nous avons célébré les premières messes avec l’évêque de Zamora, et c’est ainsi qu’a commencé l’histoire de la récupération du territoire » raconte à Noticias Aliadas Luis Sánchez, président de l’association Cóndor Mirador (ASCOMI).

En effet, ce que les Indiens et paysans appellent maintenant « le miracle de San Marcos », commence par la destruction de l’église car ils se sont rendu compte à ce moment-là que cela ne se serait pas produit s’ils avaient été une communauté indienne reconnue et, en tant que telle, régie par les droits collectifs.

Avec l’appui de la Fondation régionale de conseil en droits humains (INREDH), ASCOMI a initié un processus d’auto-reconnaissance en tant que communauté Shuar, respectant tous les attendus constitutionnels en matière d’autodéfinition en tant que peuple indien et considérant que tout le territoire concédé à ECSA est la propriété ancestrale de la nation shuar. Les Indiens, comme les colons paysans, décidèrent d’enregistrer leurs terres sous un titre de propriété collective.

« De cette façon l’entreprise ne pourra plus négocier séparément et convaincre les plus faibles ; désormais elle devra affronter la communauté et la communauté lui dira non ! » déclare Sánchez.

Le 21 août, le Conseil de développement des peuples et nationalités de l’Équateur (CODENPE) a délivré le document par lequel il reconnaît juridiquement cette communauté. Immédiatement le gouvernement paroissial de Tundayme a signé un accord avec Salvador Quishpe Lozano, le préfet du gouvernement provincial de Zamora Chinchipe, pour créer une pépinière forestière et un potager communautaire, dans le cadre d’un projet plus global d’agriculture, d’élevage, de reboisement et tourisme.

« La diversification agricole et l’interculturalité sont la base de la souveraineté alimentaire dans la province. C’est pour cette raison que je me réjouis de participer à ce projet avec le gouvernement paroissial et les producteurs ; tous les membres travaillent quotidiennement et il faut les encourager » a déclaré Quishpe, lors de la signature de l’accord le 16 septembre dernier.

Grâce à une minga [1] communautaire, ils ont créé une pépinière à côté de la maison de doña Julia et espèrent récupérer les terres pour des cultures communautaires. « C’est le premier miracle de San Marcos, puis viendront d’autres miracles, comme la reconstruction de l’église et de l’école », témoigne Sánchez.

Pour l’instant, ECSA s’est contentée d’exprimer « sa préoccupation concernant la création des pépinières communautaires ». C’est ce qu’elle a fait savoir aux autorités locales. Désormais l’entreprise minière aura plus de difficultés à procéder à des expulsions et, dans les prochains mois, on verra si la stratégie des Indiens et des paysans donne des résultats, s’ils réussissent à freiner l’avancée de la multinationale minière ou si cette dernière, par des subterfuges juridiques, réussit à expulser de nouveau la communauté.

Les Shuar récupèrent leur territoire

Au même moment, le 14 août, la communauté shuar Numpaim, installée sur la même paroisse de Tundayme, s’apuyant sur la Constitution qui reconnaît la justice indienne, a pris la décision de reprendre possession de son territoire ancestral, concédé aux compagnies minières nommées « Patricia » et « Raúl Castro » qui opéraient sur des territoires concédés à ECSA.

L’activité de petites et moyennes exploitations minières sur des territoires concédés à une multinationale est une pratique courante car les grandes entreprises évitent ainsi d’affronter directement les communautés. Ces petites exploitations minières, généralement de capitaux locaux, s’installent avec l’assentiment des communautés et s’étendent ensuite à un point tel que celles-ci ne peuvent plus en freiner l’avancée car les autorités locales (maires, dirigeants politiques, etc.) ont tendance à favoriser les demandes des compagnies minières plutôt qu’à défendre les droits de leurs populations.

En Équateur la compétence de la justice indienne est reconnue en matière de résolution de tout type de conflits, à l’exception de ceux qui mettent en péril la vie des personnes. S’appuyant sur cette reconnaissance, et après l’échec de multiples démarches entreprises par la communauté pour faire annuler les concessions accordées en territoire shuar, les Indiens décidèrent que les instances communautaires shuar pouvaient émettre une résolution destinée à récupérer le territoire ancestral.

Après l’approbation de la résolution, la communauté de Numpain a expulsé les exploitations minières et a pris possession des territoires. Ils ont informé de cette résolution, et des bases constitutionnelles sur laquelle elle était fondée, toutes les autorités locales ; transformant la résolution en un cas de débat sur les compétences respectives de la justice ordinaire et de la justice indienne. Cette situation a freiné l’incursion militaire qui se préparait pour récupérer le territoire concédé à la compagnie minière.

Alors que les militaires ont encerclé Numpaim et que les autorités métisses locales ne savent pas comment aborder ce cas, les Indiens ont déjà pris plusieurs résolutions qui prévoient la restitution des machines à leurs propriétaires, la restauration de la flore sur les sites affectés et la reconstruction de la communauté. Ces résolutions ont reçu l’appui des organisations nationales indiennes car celles-ci considèrent que « c’est une récupération légitime, non violente, qui s’appuie sur le droit indien ». C’est ce qu’a fait savoir un communiqué, émis le 13 septembre 2014, par la Confédération des nationalités indiennes de l’Équateur (CONAIE) et l’Assemblée des peuples du sud.

Qu’il s’agisse de San Marcos ou de Numpaim les communautés ont utilisé des mécanismes de résistance créatifs et qui sont garantis par la Constitution de l’Équateur, ce qui a pris par surprise les compagnies minières et les autorités. Une nouvelle étape de confrontation est à prévoir, mais cette fois-ci les Indiens et les paysans savent qu’ils disposent de cartes jouant en leur faveur.

« Maintenant ils ne peuvent plus répliquer par des expulsions violentes comme ils le faisaient précédemment, maintenant nous pouvons défendre nos droits devant la Cour constitutionnelle, ou devant des instances internationales, et non plus au niveau local, où les autorités et les juges obéissent à ECSA » considère Sánchez.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3321.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 2 octobre 2014.

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[1Travail collectif.

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