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ARGENTINE - Les esclaves de la violence (par Adolfo Pérez Esquivel)

vendredi 1er décembre 2006, mis en ligne par Francis Gély

A partir d’une violente querelle entre syndicats ouvriers qui a fait récemment la une de l’actualité en Argentine, Adolfo Pérez Esquivel montre dans ce message comment la violence s’est installée dans tous les secteurs du monde et de la société. Les guerres, les conflits interethniques et les tensions sociales, politiques, économiques, idéologiques, culturelles, religieuses et même sportives, sont les aspects les plus visibles de la violence, mais il ne faut pas oublier les formes plus silencieuses et plus cruelles de la violence comme la faim, la pauvreté, la destruction de l’environnement, l’exploitation des enfants, la discrimination, les tensions raciales et la concentration de la richesse qui favorisent la spirale de la violence.

Partout, les pouvoirs dominants, qui veulent imposer la violence comme l’unique chemin possible pour résoudre les problèmes de société, sont devenus eux-mêmes les esclaves de cette violence. Pourtant, tout le monde devrait être convaincu que les conflits ne peuvent être résolus que par la raison et le dialogue.

C’est l’éducation qui seule est capable de changer les comportements personnels et collectifs de la jeunesse pour parvenir un jour à créer une société plus juste dans un monde de paix et de non violence.


Buenos Aires, le 21 novembre 2006.

La République argentine est en thérapie intensive car elle souffre depuis quelque temps de la fracture de la pensée et de la perte des valeurs éthiques, sociales et culturelles. Tout ceci endommage profondément la vie et le développement du peuple et de la démocratie et affecte le respect des droits humains.

La violence s’est enkystée dans la vie quotidienne et il est vraiment triste de voir des travailleurs s’affronter entre eux. Les derniers événements qui se sont produits à San Vicente, pendant le transfert des restes de Juan Domingo Péron, témoignent de la grande détérioration des rapports sociaux.

La violence naît de la peur et du manque de sécurité à l’intérieur de soi-même et dans les divers secteurs sociaux, politiques et culturels, mais aussi de la confusion, du manque d’objectifs clairs et des mécanismes du pouvoir dominant qui veut imposer la violence comme l’unique chemin possible par lequel il faut passer pour changer les choses.

J’ai bien des fois signalé qu’il fallait à tout prix « désarmer la raison armée ». Les consciences armées pensent que la violence est la seule solution à leurs problèmes. Il est nécessaire de faire tomber les murs de l’intolérance. Pourtant les exemples sont nombreux dans un monde où sévissent les guerres, les conflits armés et les tensions sociales, politiques, économiques, idéologiques et religieuses.

Et ce ne sont pas là les uniques formes de violence. Il en existe d’autres plus silencieuses et plus cruelles qui touchent toute l’humanité. Je veux parler de la faim, de l’augmentation de la pauvreté, de la destruction du milieu ambiant, de l’exploitation de enfants et de toutes les autres formes de soumission, mais aussi de la concentration de la richesse en peu de mains, de la discrimination et des problèmes raciaux et culturels dons sont victimes les peuples. Regardons notre pays, l’Argentine, où sévissent les disputes, les violences et les tensions intérieures comme si on avait perdu toute orientation.

Nous devons être conscient que toute société est le résultat de ceux qui la composent et, après une brève analyse de la situation, nous pouvons constater que tous les indicateurs sont préoccupants. Les dirigeants syndicaux devraient être emmenés d’urgence sur le fauteuil du psychiatre car ils oublient leurs objectifs et leur rôle, et ils se livrent à des affrontements stériles qui ne construisent rien. La CGT comme la UOCRA donnent le spectacle triste et violent de gens armés qui détruisent le mausolée où reposeront les restes de Péron et d’Evita. Tout ceci a terni un acte historique et mis en évidence l’intolérance, le désir de s’affronter et le manque de responsabilité des dirigeants syndicaux.

De même, dans la province argentine de Missiones, durant la campagne pour l’élection des Constituants lors la Réforme Constitutionnelle provinciale, les hommes de main du gouverneur Rovira ont brûlé deux églises et ont menacé la population qui s’opposait à sa réélection. De même, la répression s’est aussi déchaînée dans la province de Salta et dans quelques autres provinces contre les peuples indigènes.

Le plus curieux dans toutes ces querelles syndicales et politiques, c’est que tous se disent péronistes. Cette incapacité à parvenir à un consensus et à rassembler toutes les forces vives d’un pays qui se trouve dans de très sérieuses difficultés, devient presque surréaliste. Ceux qui ont provoqué ces actes de violence ont rendu un bien triste hommage à un mouvement populaire, le Péronisme, qui a marqué l’histoire du pays.

Mais, ces actions violentes ne concernent pas seulement les syndicats. La violence s’installe aussi dans les stades de football. C’est pourtant là un spectacle populaire où l’on devrait pouvoir vivre des moments de joie et de détente, qui se transforme en lieu d’agression et de pugilat avec la destruction des installations sportives. Des groupes de forcenés déchargent toute leur colère et leurs frustrations dans les stades. De plus, la violence s’est installée aussi dans la vie quotidienne, dans les familles, dans les couples, entre les parents et les enfants et chez les enfants contre leurs parents. Il semblerait qu’on ne puisse ni contrôler ni dominer cette violence.

J’insiste et je ne me lasse pas de répéter que certaines études sociologiques signalent qu’un enfant, depuis l’âge de 4 ans jusqu’à son adolescence, voit à la télévision 40 mille scènes de violence. Même les dessins animés pour enfant sont remplis de cette culture de violence.

Pourtant, la Liberté et la Paix commencent par la reconnaissance du droit du prochain. S’il n’existe pas une capacité de dialogue, de respect mutuel et d’acceptation de la diversité, il est impossible de construire une société plus juste et plus fraternelle pour tous. Ceux qui recourent à la violence et la pratiquent constamment sans jamais chercher à résoudre les conflits par la raison et le dialogue dans le respect des droits de chacun et des droits du peuple, finissent par devenir des esclaves soumis à leur propre pouvoir de domination, mais aussi les sujets d’une plus grande spirale de violence qui les empêche de trouver les chemins pour résoudre les conflits.

Il faut absolument analyser la situation actuelle et créer de nouvelles politiques publiques et sociales capables de changer les conditions dans lesquelles vivent nos sociétés qui se massifient chaque jour davantage, ce qui provoque les pertes d’identité et de valeurs propres. Les sociétés actuelles sont toutes dominées par la pensée unique.

Je ne crois pas que l’augmentation actuelle de la violence soit fortuite. Elle nous mène obligatoirement à la fragmentation sociale et à l’affrontement social. Il existe pourtant la possibilité de sortir de cet état de fait avec des politiques volontaristes, stimulées par les secteurs politiques et économiques qu’il est nécessaire d’analyser et d’utiliser.

C’est l’éducation qui demeure l’axe fondamental pour transformer cette culture de violence en culture de Paix en renforçant le social et le culturel. Les Nations Unies et l’UNESCO ont proclamé en 2000, la « Décennie de la Culture de Paix et de Non Violence pour les Enfants du Monde ». Malgré cela, depuis 5 ans, on a très peu avancé dans cette direction, que ce soit dans les milieux enseignants, dans les moyens de communication et plus fondamentalement dans les familles.

Dans une rencontre de Prix Nobel de toutes les disciplines sur l’Enseignement Supérieur, à l’Université Polytechnique de Barcelone, José Saramago a dit ceci : « L’école n’éduque pas, elle instruit ; ce qui éduque, c’est la famille ». Beaucoup de pères confient l’éducation de leurs enfants à l’école et ne rectifient pas les effets apportés par les media comme la télévision dans la formation de leurs enfants. Les comportements personnels et collectifs des jeunes d’aujourd’hui sont le résultat de ce qu’ils reçoivent. « On reconnaît l’arbre à ses fruits ».


Introduction et traduction de Francis Gély.

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