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DIAL 3336

EL SALVADOR - « Une Église pauvre pour les pauvres » : méditation du SICSAL sur la béatification de Monseigneur Óscar Arnulfo Romero

vendredi 24 juillet 2015, mis en ligne par Dial

Ce communiqué a été diffusé par le Service international chrétien de solidarité avec les peuples d’Amérique latine « Óscar Arnulfo Romero » (SICSAL) à l’occasion de la béatification, le 23 mai 2015, d’Óscar Romero, l’archevêque de San Salvador mort assassiné le 24 mars 1980.


23 mai 2015.

Le procès de béatification de Monseigneur Óscar Arnulfo Romero a surmonté toutes les difficultés et a atteint son point culminant avec la cérémonie à San Salvador.

Le Pape François qui, depuis les débuts de son pontificat a exprimé son désir de promouvoir « une Église pauvre pour les pauvres », nous propose maintenant un modèle de pasteur et d’Église cohérent avec cet idéal. Après 35 ans de régression que nous avons vécus dans l’Église avec une grande majorité de cardinaux, évêques et prêtres conservateurs qui favorisaient un modèle d’Église sacramentaire, la béatification arrive comme une « bonne nouvelle » avec tout son sens biblique et elle semble être un « miracle » du « saint » que l’on est en train de « béatifier ».

Nous nous en réjouissons, car cela confirme ce que déjà, au niveau de la population, nous proclamions : « Monseigneur Romero est un saint ». Les origines de SICSAL remontent précisément à 1980, peu de mois après son assassinat, quand Mgr Sergio Méndez Arceo et d’autres évêques clairvoyants ont créé notre organisation ; depuis lors Mgr Romero a été l’inspirateur et le guide de notre travail en faveur de la libération, de la justice et de la paix.

Depuis lors, nous rêvons et travaillons pour une Église plus évangélique, plus proche de ces premières communautés des Actes des Apôtres (Actes 2, 42-46 ; 4, 32-36) et nous croyons que maintenant le Pape François nous offre une excellente occasion : La Pentecôte, disait Mgr Romero, « c’est l’anniversaire de l’Église parce que c’est le jour où est née l’Église » (14 mai 1978) ; alors la coïncidence de ces éléments : date, béatification, type d’Église souhaitée par François et proposée par Romero, nous confirment le modèle ecclésial qui doit « se refonder », qui doit « renaître » en cette Pentecôte : « Une Église pauvre pour les pauvres ».

Caractéristiques de la sainteté d’Óscar Arnulfo Romero

Quand il s’agit de béatifier ou de canoniser une personne, ce qui va être examiné, c’est son amour. L’amour est la sainteté et la mesure de la sainteté. Si un homme sait se détacher de lui-même et aimer, il est saint ; si un homme parle beaucoup de sainteté mais ne sait pas aimer, il n’est pas saint. Mgr Romero (13 mai 1979)

Comme nous l’avons dit, Mgr Romero a toujours été un saint pour le peuple humble et pauvre, pour les organisations chrétiennes et pour une grande partie de la population. Quel type de sainteté découvrons-nous chez lui ?

Certainement les caractéristiques traditionnelles de la sainteté :

Intégrité et cohérence de la vie, c’est ce qui est hors de doute. S’il avait eu une quelconque faille personnelle, ses ennemis n’auraient pas tardé à la mettre en lumière pour le dénigrer ; mais ils ne l’ont jamais fait parce qu’ils n’ont jamais rien trouvé. D’autre part, à la base de sa vie chrétienne et sacerdotale, il y avait avant tout une personnalité humble, simple et d’une grande maturité, parce que, comme il l’a dit lui-même, « avant d’être un chrétien, nous devons être très humains. » (3 décembre 1978)

Un homme de prière : ceux qui ont été près de lui rendent témoignage de la constance et de l’intensité de sa prière. Lui-même en témoigne dans ses homélies, c’était l’un de ses thèmes préférés : « Je veux recommander la nécessité de trouver cet unique nécessaire, la nécessité de prier » (homélie du 17 juillet 1977). Mais la prière de Mgr Romero n’est pas une prière aliénante : « La religion ne consiste pas à prier beaucoup ; la religion consiste en cette garantie d’avoir mon Dieu près de moi parce que je fais le bien à mes frères. La garantie de ma prière n’est pas de dire beaucoup de mots ; la garantie de ma prière est très facile à connaître : comment je me comporte avec le pauvre ? Parce que là se trouve Dieu. » (5 février 1978)

Un dévot de la Très Sainte Vierge : Mgr Romero est né le 15 août, commémoration de l’Assomption de Marie. Nous pouvons dire que depuis lors, il portait cette empreinte mariale dans son esprit. Et il le faisait avec beaucoup de maturité : « Marie, tellement importante pour vous peuple de Dieu, est une laïque ; Marie n’est ni prêtre, ni religieuse ; Marie est une épouse, Marie est une mère de famille, Marie est une femme séculière. Elle serait assise ici sur les banquettes de la cathédrale comme l’une de ces femmes qui m’écoutent et moi, je ne la distinguerais pas. Mais son cœur plein de ce charisme prophétique absorbait les paroles du grand prophète, Jésus-Christ son fils. » (15 juin 1979) Sa théologie mariale est une vision historicisée de Marie : « Marie se fait salvadorienne et incarne le Christ dans l’histoire d’El Salvador. Marie prend le nom de chacune d’entre vous et mon nom à moi pour incarner l’histoire de votre famille et de ma famille dans la vie éternelle de l’Évangile. Marie s’identifie à chacun de nous pour incarner le Christ dans notre propre vie individuelle. Heureux sommes-nous si vraiment pour nous c’est en cela que consiste la dévotion à la Vierge. C’est pourquoi, le Concile a recommandé aux prédicateurs de faire très attention à ne pas encourager une fausse idée de la dévotion à la Vierge qui malheureusement nous a séparés des protestants, parce que quelques catholiques sont arrivés à faire de la Vierge une idolâtrie, une mariolâtrie. La vraie doctrine est que Marie n’est pas une idole. L’unique Sauveur est Dieu Jésus-Christ ; Marie est l’instrument humain, la fille d’Adam, la fille d’Israël, l’incarnation d’un peuple, sœur de notre race, mais qui à cause de sa sainteté a été capable d’incarner dans l’histoire la vie divine de Dieu. Alors, le véritable hommage qu’un chrétien peut lui rendre, c’est de faire comme Elle l’effort d’incarner la vie de Dieu dans les vicissitudes de notre histoire transitoire. » (24 déc. 1978)

Fidèle à l’Église, à la papauté et au magistère. Ces fidélités étaient des points forts de la personnalité de Mgr Romero qui était de formation traditionnelle : c’est pourquoi en assumant la charge d’archevêque il choisit comme devise : « Sentir avec l’Église ». Dans les dernières années, malgré les difficultés qu’il rencontra avec d’autres évêques, malgré l’incompréhension du Pape et de la Curie vaticane, il resta fidèle à ce principe d’obéissance absolue à l’institution : « Frères, la plus grande gloire d’un pasteur est de vivre en communion avec le Pape. Pour moi, le secret de la vérité et de l’efficacité de la prédication, c’est d’être en communion avec le Pape. Et quand je trouve dans son magistère des pensées et des gestes dans la ligne de ceux dont a besoin notre Église, cela me remplit de joie. » (2 mars 1980) « Je rends grâce à Dieu parce que j’ai voulu caractériser toute ma vie sacerdotale par une solidarité et une fidélité au Saint Père, au représentant du Christ. Mes yeux sont fixés sur lui, jamais je ne pense à le trahir. » (25 mars 1979)

Pauvreté et austérité dans sa vie : au début de son épiscopat, quelques puissantes familles voulurent lui offrir une maison dans un quartier de la haute société mais il refusa cette proposition et il alla vivre dans la sacristie de l’Hôpital pour cancéreux La Divine Providence. Il en a exposé les raisons dans ses homélies : « Le Christ est la richesse absolue de l’homme. Pour gagner le Christ, il faut tout perdre. » (18 novembre 1977) « Grâce à Dieu nous n’adorons pas la richesse et nous n’en n’avons pas besoin ; quand nous avons tout dans le Dieu unique qui a créé les choses de la terre, nous nous sentons infiniment plus développés et riches que ceux qui croient que leurs richesses consistent dans l’or et les choses de la terre. » (4 septembre 1979) « La pauvreté évangélique allie l’attitude d’ouverture confiante à Dieu avec une vie simple, sobre et austère qui écarte la tentation de la cupidité et de l’orgueil. » (Puebla 1149. 11 novembre 1979)

Caractéristiques d’une sainteté originale

En plus des caractéristiques d’une sainteté traditionnelle, Mgr Romero présente quelques aspects qui font de lui un saint différent, un saint spécial, un saint difficile à comprendre et, à l’évidence, difficile à suivre.

Sainteté prophétique : sans aucun doute ce fut là une caractéristique très spéciale, spécifique et novatrice chez Mgr Romero. L’annonce et la dénonciation qu’il a faites pendant ses trois ans comme archevêque l’ont catapulté au niveau mondial. Nous rencontrons difficilement, depuis les prophètes de l’Ancien Testament, un prophète doté d’autant de force. Il était conscient de sa capacité prophétique. « Responsabilité prophétique que vous, vous avez comme peuple de Dieu et moi, comme responsable hiérarchique. Au nom et avec l’autorité du Christ, le grand prophète, vous et moi formons, dans les limites de notre propre vocation, la mission prophétique de l’Église. » (15 juin 1979) « C’est l’œuvre de Dieu et pour cela, nous n’avons pas peur de la mission prophétique dont le Seigneur nous a chargés. J’imagine déjà que quelqu’un va dire : “Ah ! Il se prend pour un prophète”. Ce n’est pas que je me croie prophète, c’est que vous et moi, nous sommes un peuple prophétique, c’est que tout baptisé a reçu une participation dans la mission prophétique du Christ… Je n’ai jamais cru que j’étais prophète au sens d’être unique au sein du peuple, parce que je sais que vous et moi, le peuple de Dieu, nous formons le peuple prophétique. Mon rôle est uniquement d’exciter dans ce peuple son sentiment prophétique que moi, je ne peux pas lui donner, mais que l’Esprit lui a donné. » (14 juillet 1979)

Sainteté politique : un autre de ses grands talents a été de savoir éclairer avec sagesse les réalités sociopolitiques qui se vivaient en son temps : « À la lumière de la Parole divine qui révèle le projet de Dieu pour le bonheur des peuples, nous avons le devoir, chers frères, d’évoquer aussi les réalités ; regarder comment parmi nous se reflète ou se déprécie le projet de Dieu. Que personne ne prenne à mal qu’à la lumière des paroles divines que nous lisons dans notre messe, nous éclairions les réalités sociales, politiques, économiques, parce que, si nous ne le faisions pas, ce ne serait pas pour nous un christianisme. Je sais que nombreux sont ceux qui se scandalisent de ces paroles et qui veulent m’accuser d’avoir abandonné la prédication de l’Évangile pour me mêler de politique, mais moi je n’accepte pas cette accusation ; au contraire je m’efforce pour que tout ce qu’a voulu nous insuffler le Concile Vatican II, la réunion de Medellín et de Puebla, nous l’ayons non seulement par écrit sur du papier ou que nous l’étudions en théorie, mais que nous le vivions et le traduisions dans cette réalité conflictuelle qu’est prêcher comme il se doit l’Évangile… pour notre peuple... » (23 mars 1980)

Sainteté en fidélité au peuple : comme nous l’avons dit auparavant, si Mgr Romero fut fidèle à l’Église, il ne l’a pas moins été au peuple. « Je veux vous l’assurer, et je vous demande de prier pour que je sois fidèle à cette promesse, je n’abandonnerai pas mon peuple mais je prendrai avec lui tous les risques que mon ministère exige de moi… » (11 novembre 1979)

Sainteté dans la persécution et le martyre : la commission des théologiens a approuvé, au début de l’année, la reconnaissance de la mort « in odium fidei » et le Saint Père l’a ratifié ensuite. Car Mgr Romero a vécu la persécution et le martyre à cause de la haine de la foi, la haine de la justice, de la vérité et des pauvres : « Je crois aux rumeurs de ceux qui m’ont avisé cette semaine que moi aussi je devais faire très attention parce qu’il se tramait quelque chose contre ma vie. J’ai confiance dans le Seigneur et je sais que les chemins de la Providence protègent celui qui essaie de le servir. » (7 janvier 1979) « Qu’il est beau de pouvoir dire comme le Christ : “Tout est accompli”. Dans ma vie, je n’ai été qu’un poème du projet de Dieu et de ma propre réalisation. Je me suis réalisé tel que Dieu le voulait, j’ai suivi la vocation à laquelle Dieu m’a appelé. J’ai essayé d’être comme Dieu voulait que je sois. » (13 avril 1979) « Je complète ainsi ma consécration au Cœur de Jésus qui a toujours été source d’inspiration et de joie chrétienne dans ma vie. C’est pourquoi je mets aussi toute ma vie sous sa providence amoureuse et j’accepte avec foi en Lui ma mort aussi difficile qu’elle soit… Il me suffit pour me sentir heureux et confiant d’être assuré qu’en Lui se trouve ma vie et ma mort, que malgré mes péchés j’ai mis en Lui ma confiance et que je ne serai pas confondu. » (dernière retraite, 25 février 1980)

En cette grande solennité de ta béatification, Mgr Romero, nous réitérons notre engagement de suivre à ta manière les pas de Jésus de Nazareth dans une Église pauvre pour les pauvres.

Monseigneur Romero est vivant !

Mgr. Raúl Vera López (Mexique), président
Révérende Émilie Teresa Smith (Canada), présidente

Conseil de direction : Vidal Rivas (États-Unis), Maricarmen Montes (Mexique), Kora Martínez (Amérique centrale), Julín Acosta (Caraibes), Abilio Peña (Région bolivarienne), Gerardo Duré (Cône Sud), Antonio Segovia et Carolina García (État espagnol), Alberto Vitali (Europe), Sean Cleary (Asie-Océanie)

Membres honoraires : Mgr Alvaro Ramazzini (Guatemala), Mgr Heriberto Hermes (Brésil), Mgr Pedro Casaldáliga (Brésil), Prof. Zoraida Trinidad (République dominicaine)

Armando Márquez Ochoa (El Salvador), secrétaire.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3336.
 Traduction de Bernard & Jacqueline Blanchy pour Dial.
 Source (espagnol) : site du [SICSAL], 23 mai 2015.

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