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DIAL 2883 - Dossier : Peuples indigènes

AMÉRIQUE DU SUD - Proclamation des peuples indigènes du Grand Chaco (Argentine, Bolivie, Paraguay)

jeudi 1er juin 2006, mis en ligne par Dial

Répartis dans trois pays - l’Argentine, la Bolivie et le Paraguay -, dont les frontières ont été tracées sans tenir compte des limites territoriales de leurs peuples, des représentants des populations indigènes habitant le Grand Chaco se sont réunis à Buenos Aires et ont publié au terme de leur rencontre une déclaration en date du 21 avril 2006, dont nous publions ci-dessous le texte intégral. La terre au sens territorial et culturel, comme bien collectif et non pas comme propriété privée, est au centre des revendications de ces peuples. Les peuples originaires du Grand Chaco refusent d’être considérés comme des intrus sur leurs propres terres et de voir les intérêts des grandes entreprises l’emporter sur les leurs.


Nous, hommes et femmes, nous sommes des indigènes.

Nous sommes présents, nous authentiques représentants des peuples Wichi, Tobo Qom, Moqoit, Pilaga, Guarani, Ava Guarani, Sanapana et Enxet Sud. A partir de notre identité de peuples indigènes, nous partageons les sentiments et besoins des autres peuples frères de la région.

Nous sommes des citoyens et des citoyennes argentins, boliviens et paraguayens. Nous habitons la région du Grand Chaco américain depuis des temps immémoriaux.

C’est parce que des sujets urgents nous préoccupent que nous avons laissé nos époux ou nos épouses, nos fils et nos filles, et que nous avons voyagé sur des milliers de kilomètres pendant plusieurs jours, au prix d’un grand sacrifice, jusqu’à cette ville de Buenos Aires où nous sommes.

C’est parce que nous partageons une même région géographique et que nous avons une histoire commune que nous nous sommes réunis pendant ces trois jours.

Nous sommes ici parce que nous avons beaucoup de choses à dire à ceux qui gouvernent grâce à nos votes, ainsi qu’à tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté qui voudront nous écouter. Nous estimons que notre parole ne retentira pas en vain, que nos préoccupations seront partagées, que nos revendications seront entendues, que les propositions que nous présentons en vue d’une vie meilleure pour nos communautés, seront acceptées par ceux qui, aujourd’hui, nous gouvernent.

Depuis toujours le Grand Chaco est notre foyer. Cette région couvre prés d’un million de kilomètres carrés dont 50% se situent sur dix provinces d’Argentine, 35% dans trois départements du Paraguay et 15% dans trois départements de Bolivie.

Une grande diversité de vie y règne. Malgré l’aridité de la plus grande partie du territoire, le Chaco compte davantage de plantes comestibles à l’hectare que la forêt amazonienne.

On y trouve de grands espaces de bois originels, de vastes plaines et collines, de nombreuses espèces dont beaucoup aujourd’hui sont en danger d’extinction.

Il y a aussi de grands fleuves qui traversent la région comme le Pilcomayo et le Bermejo, des lagunes d’eau douce, des marais et des étangs emplis d’une infinité de poissons.

Et, par dessus tout, il y a dans le Chaco plus de trente peuples originaires, avec une grande diversité de langues et d’expressions culturelles et spirituelles très riches, que nos hommes, nos femmes et nos anciens, se chargent de maintenir vivantes et de transmettre.

Cette immense variété culturelle et biologique constitue notre patrimoine ancestral, mais c’est aussi le patrimoine de tous car, même ceux qui ne vivent pas dans la région en tirent profit, de même que les déséquilibres qui s’y produisent les touchent directement.

Historiquement, nous peuples originels du Grand Chaco sud-américain, nous avons été démembrés du fait des processus liés à la délimitation des Etats nationaux, les frontières des pays ont été tracées sans prendre en compte les limites territoriales de nos différents peuples pré-existants. La région du Chaco a été et reste périphérique par rapport aux centres politiques nationaux (Buenos Aires, La Paz et Asunción) . La présence de l’Etat y est faible.

C’est une région à dominante rurale et nous qui l’habitons nous conservons des liens étroits avec l’environnement qui constitue notre source principal de vie.

Tout au long de son histoire, le Chaco a vécu de multiples processus d’émigration, mais il a également reçu des flux migratoires extérieurs sous forme d’établissements de groupes humains, la plupart du temps sur des terres que, nous indigènes, avons toujours revendiquées comme nôtres.

Dans les trois pays, la région du Chaco a subi un modèle économique prédateur marqué par l’exploitation des ressources naturelles essentiellement sous forme d’extraction, l’introduction de techniques de production inappropriées à son écosystème et sans prise en considération des modalités de gestion et d’utilisation des ressources naturelles telles que nous les pratiquons, nous, peuples indigènes.

Dans cette région c’est sur nos territoires ancestraux que nous vivons. Nous y avons construit nos maisons et établi nos regroupements en communautés. Nous avons trouvé dans ses bois et ses rivières notre nourriture et les médicaments pour nos enfants. Nous y élevons nos animaux, nous y cultivons le maïs, le manioc et toutes les plantes qui servent à notre alimentation, et nous y cueillons les fruits sauvages.
Mais c’est avec une forte préoccupation que nous observons ces derniers temps que notre territoire subit une nouvelle invasion de plus en plus puissante.

On nous endort avec des promesses de titres de propriété qu’on ne nous remet jamais, alors qu’on continue à vendre nos terres et à menacer de nous déloger.

Gouvernements et particuliers continuent à oublier, méconnaître, ignorer, violer nos droits. Nos cultures sont dominées, discriminées et exclues. On continue à soumettre, piller et détruire nos communautés et nos territoires à travers de grandes entreprises qui investissent beaucoup d’argent et en emportent encore plus.

Les regroupements d’entreprises qui sèment du soja transgénique et les entreprises sucrières brûlent nos forêts, les scieries s’emparent du bois et les compagnies pétrolières du pétrole et du gaz.

Gouvernements et politiques parlent d’intégration, mais ils sont en train de désintégrer les communautés locales et plus particulièrement les nôtres.

Les animaux que l’on trouvait en abondance dans les forêts sont en train de disparaître, l’air et l’eau sont pollués par le pétrole, par les avions qui projettent des produits chimiques agricoles et par les déchets miniers. Les rivières se vident de leurs poissons et débordent par suite de la déforestation, provoquant ainsi de graves inondations comme celle que subit actuellement Tartagal ainsi que d’autres régions du Chaco.

C’est avec amertume que nous voyons aussi que, nous, peuples originaires du Chaco, sommes considérés comme des intrus sur nos propres terres et que beaucoup de communautés aujourd’hui sont confrontées à l’expulsion de leurs territoires. En l’absence de terres et de travail, beaucoup de nos frères et sœurs se voient dans l’obligation d’émigrer vers des centres urbains où ils vivent en périphérie, la plupart du temps hors de leur pays et région d’origine avec ce que cela induit de perte de liens familiaux, culturels et spirituels.

Les communautés qui ne sont pas expulsées affrontent de graves difficultés pour disposer d’espaces territoriaux suffisants, de qualité et adaptés au développement de notre vie économique et culturelle.

Nous soutenons la parole des femmes indigènes du Grand Chaco et nous dénonçons : l’absence d’attention portée à la santé des indigènes, la manipulation des dirigeants et des institutions communautaires, les politiques clientélistes et assistantialistes qui ne produisent qu’une plus grande dépendance, la discrimination dans l’éducation comme conséquence du non-respect de notre propre cosmovision.

C’est parce que la situation est devenue insoutenable et menace notre survie culturelle et physique que nous sommes venus jusqu’ici et que nous réclamons de façon urgente une réponse à nos revendications :

Régularisation concernant nos terres. Restitution et titres de propriété définitifs des territoires des communautés indigènes.

Respect de notre dignité en tant que peuples originels, de notre cosmovision, de notre culture, de nos organismes et de nos règles.

Application effective de la convention 169 article 75 17 de la Constitution argentine, de la loi nationale 1257 en Bolivie, du chapitre V de la

Constitution nationale du Paraguay et des lois nationales en général.

Consultation et participation, transparente et honnête à travers nos organisations de base légitimes dans les étapes de formulation, application et suivi des lois, plans et programmes d’appui aux communautés indigènes.

Mise en place de programmes intégraux de santé ; avec des professionnels indigènes reconnus sur le terrain des différentes formes de médecine traditionnelle.

Mise en place, à tous les niveaux du système éducatif, d’une éducation bilingue et interculturelle avec des programmes de professionnalisation spécifiques et l’intégration d’enseignants indigènes.

Que les gouvernements de l’Argentine, de la Bolivie et du Paraguay prennent des mesures à l’encontre des grandes entreprises responsables de la pollution et du désastre écologique.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2883.
 Traduction Dial.

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