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DIAL 2885

AMÉRIQUE LATINE - Pour un commerce juste entre les peuples

Campaña Continental de Lucha contra el ALCA et Comunidad Web de Movimientos Sociales

jeudi 1er juin 2006, mis en ligne par Dial

Le Traité de commerce entre les peuples (TCP), proposé par le président de Bolivie Evo Morales, est une réponse au modèle néolibéral fondé sur la déréglementation, la privatisation et l’ouverture inconsidérée des marchés. Il s’agit d’un modèle d’intégration basé sur la coopération, la solidarité et une volonté commune pour avancer vers un réel développement. Le TCP veut sauvegarder l’indépendance et la souveraineté des pays. Il prend ainsi le contre-pied des traités de libre-échange (TLC) que les Etats-Unis signent avec différents pays d’Amérique latine. Le TCP est présenté par Evo Morales comme une proposition complémentaire de l’ALBA (Alternative bolivarienne pour notre Amérique) mise en avant par le président du Venezuela Hugo Chávez et dont l’un des objectifs est d’éliminer l’ALCA (ou ZLEA, Zone de libre-échange des Amériques) mise en avant par le président G. W Bush pour l’ensemble du continent. Un accord concernant à la fois l’ALBA et le TCP a été signé à La Havane par les présidents Evo Morales, Hugo Chávez et Fidel Castro, le 29 avril 2006.

L’article ci-dessous a été publié par la revue Gloobal le 16 avril 2006, sous la responsabilité conjointe de la Campaña Continental de Lucha contra el ALCA et la Comunidad Web de Movimientos Sociales.


Il n’est plus acceptable qu’un petit groupe de nations puissantes nie aux pays pauvres le droit d’élaborer leurs propres modèles de développement en fonction de leurs besoins internes, et essaie de dicter une politique économique « mondiale » qui ne règlera pas nos problèmes de développement, comme le soulignent les rapports mêmes de la Banque mondiale.

Dans les années 90, on nous a dit qu’avec les politiques dites du « Consensus de Washington » [synthèse des thèses néolibérales], les pays pauvres se rapprocheraient des pays riches. Or on voit aujourd’hui qu’il s’est produit exactement le contraire : les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres. Pour cette raison, les peuples d’Amérique latine ont commencé à prendre leur destin en main et ils sanctionnent par les urnes les artisans des politiques de capitulation menées pendant presque vingt ans.

TLC : la mort des campagnes

Pour les pays signataires du Traité de libre commerce (TLC) avec les Etats-Unis, la réalité apparaît bien éloignée des chants des sirènes des économistes néolibéraux. Le Mexique est le pays qui se prête le mieux à une évaluation des effets du « libre-échange » puisqu’il a signé en 1994 l’Accord de libre-échange des Amériques (ALENA) avec les Etats-Unis et le Canada.

Si l’ALENA a entraîné une augmentation des exportations, les études montrent qu’il a également eu pour conséquence d’éliminer une grande partie de la petite et moyenne industrie, elle qui créait de vrais emplois ; il a démantelé les chaînes de production existantes sans en créer de nouvelles et renforcé la dénationalisation du secteur exportateur de la grande industrie.

Mais c’est peut-être dans les campagnes que cette politique de « libéralisation du commerce » produit les résultats les plus néfastes. Certains auteurs évoquent purement et simplement la « destruction de la campagne mexicaine ». Autrefois autosuffisant et exportateur d’aliments de base, le Mexique importe aujourd’hui 40% des céréales et oléagineux qu’il consomme : entre 1994 et 2000, ses importations de riz ont augmenté de 242%, celles de maïs de 112%, celles de blé de 84%, celles de soja de 75%, celles de sorgo de 48% et, concernant le bétail, les importations de viande de bœuf se sont accrues de 247%. En conséquence, les huit dernières années ont vu disparaître 1 million 800 000 emplois agricoles et l’exode rural exploser, non seulement les flux saisonniers à destination des zones irriguées, mais aussi les migrations vers les villes et, surtout, vers les Etats-Unis. La masse de cet exode est évaluée à cinq millions de Mexicains, mais le problème a été « résolu » par les Etats-Unis avec la construction d’un mur le long de la frontière.
Un article de presse sonnait récemment l’alarme : « Dans leur grande majorité, les milliers de producteurs doutent de pouvoir rester à la campagne. Les gagnants de l’opération sont moins de mille, contre des millions de perdants. »

Prenons simplement un exemple : les Etats-Unis ont approuvé en mai 2002 la Loi sur la sécurité alimentaire et l’investissement rural 2002-2011, qui se traduit par une augmentation de presque 80% des aides directes à l’agriculture, avec une enveloppe qui dépasse 180 milliards de dollars sur dix ans.

Qu’est-ce que le TCP et à quoi vise-t-il ?

A la différence de l’école de pensée capitaliste, le TCP introduit dans le débat sur l’intégration commerciale les principes de complémentarité, de coopération, de solidarité, de réciprocité, de prospérité et de respect de la souveraineté des pays. En ce sens, il incorpore des objectifs absents des programmes d’intégration commerciale proposés par le Nord, comme la réduction effective de la pauvreté, la préservation des communautés indigènes et le respect de la nature.

Aux termes du TCP, le commerce et l’investissement ne sont pas des fins en soi mais des outils de développement ; il n’a donc pas pour objectif la libéralisation absolue des marchés et l’allégement des Etats mais la défense de l’intérêt des peuples, c’est-à-dire le renforcement des petits producteurs, des micro-entreprises, coopératives et initiatives communautaires, de manière à faciliter l’échange de marchandises avec les marchés étrangers.

Le TCP n’a pas été pensé pour un petit groupe d’exportateurs mais il se veut un maillon d’un nouveau modèle économique destiné à améliorer les conditions de vie des Boliviens (revenus, santé, éducation, eau, culture) et à promouvoir un développement durable, équitable, égalitaire et démocratique qui permette la participation consciente des citoyens aux décisions collectives. Alors que les accords de libre-échange se négocient dans le secret, le TCP est indissociable de la participation et de la consultation actives de nos mouvements sociaux au sein desquels, grâce à notre instrument politique, la Bolivie a commencé à être gouvernée pour les Boliviens. Le TCP a pour but de reconstruire l’Etat, et non de le détruire.

L’intégration économique défendue par les pays riches privilégie la « liberté de marché » par opposition aux fonctions de réglementation des Etats, et nie aux nations les plus faibles le droit de protéger leurs secteurs productifs. Les accords de libre-échange constituent une entrave qui nous empêchera de sortir du néolibéralisme et de prendre des mesures souveraines telles que la nationalisation des hydrocarbures. Une des clauses de l’ALCA (Accord de libre-échange des Amériques) et des accords de libre-échange dit que le règlement des différends entre les Etats et les entreprises sera confié à des tribunaux d’arbitrage par-dessus les Etats nationaux.

Dans le souci de l’intérêt national, le projet de TCP propose un modèle d’intégration commerciale entre les peuples qui limite et réglemente les droits des investisseurs étrangers et des transnationales en fonction du rythme de développement de notre production nationale. « Associés mais pas propriétaires », telle est la devise du président Evo Morales. C’est pourquoi ce projet vise en partie à favoriser des accords entre des entreprises publiques des différents pays dans le but de leur consolidation mutuelle.

Le TCP n’interdit pas d’employer des mécanismes de développement de l’industrialisation, pas plus qu’il n’empêche de protéger les segments du marché intérieur nécessaires à la préservation des secteurs les plus vulnérables. Si les accords de libre-échange doivent entraîner la mort des campagnes sous la pression des produits subventionnés venus du Nord, le TCP favorisera la défense des économies rurales et la souveraineté alimentaire de nos pays. Le TCP reconnaît aux peuples le droit de définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires, de protéger et réglementer leur production agricole nationale pour éviter que leur marché intérieur soit inondé par des excédents d’autres pays, et de privilégier le bien collectif au détriment des droits de l’agro-industrie par le contrôle de l’offre et la régulation des importations.

Parallèlement, selon le TCP, les services essentiels relèvent d’entreprises publiques en leur qualité de fournisseurs exclusifs régis par les Etats. La négociation de tout accord d’intégration doit tenir compte du fait que, dans leur majorité, les services de base sont des biens publics qui ne peuvent être mis sur le marché. Pour cette raison, lors du IVe Forum de l’eau qui s’est tenu au Mexique, la délégation bolivienne a défendu l’accès à l’eau en tant que droit fondamental et non en tant que question purement commerciale.

Le TCP inscrit le développement dans une perspective indigène. Les traités commerciaux conçus dans le Nord facilitent le développement et l’expansion à l’échelle mondiale d’un système capitaliste fondé sur l’exploitation illimitée des ressources naturelles et humaines motivée par l’appât permanent du gain et l’accumulation de richesses individuelles, vision qui débouche inévitablement sur la dégradation de l’environnement. Les actions de pollution et de prédation menées aux seules fins de l’obtention de bénéfices mettent en péril la vie des groupes humains les plus en contact avec la nature, c’est-à-dire les communautés indigènes.

Les accords de libre-échange induisent la fragmentation puis la disparition des communautés indigènes non seulement parce qu’ils contribuent à la destruction de leur habitat mais aussi parce qu’ils les poussent à une concurrence acharnée et dans des conditions égales avec les grandes entreprises du Nord.

Le TCP remet en question le bien-fondé de la théorie de la « croissance économique » et de la culture du gaspillage à la mode occidentale, à l’aune desquelles le niveau de développement économique d’une nation est mesuré par rapport à la capacité de consommation de ses habitants. C’est pourquoi il propose une autre logique pour les relations entre les êtres humains, à savoir une forme de cohabitation distincte qui ne s’appuie pas sur la concurrence et l’accumulation de biens au prix d’une exploitation et d’un épuisement de la main-d’œuvre et des richesses naturelles. Le TCP reprend les fondements de la culture indigène et pose les principes suivants : complémentarité et non-concurrence ; harmonie avec la nature par opposition à l’exploitation irraisonnée des ressources ; défense de la propriété collective contre la privatisation extrême ; encouragement de la diversité culturelle face à la monoculture et à l’uniformisation du marché qui contribuent à l’homogénéisation des modes de consommation.

Le TCP défend la production nationale

Selon la logique néolibérale, le plus important réside dans la réduction des dépenses de l’Etat par la libre concurrence des fournisseurs de biens et services. Or ce raisonnement ne résiste aucunement face aux répercussions qu’a sur la production nationale la libéralisation des marchés publics au profit d’entreprises étrangères, et il ne tient pas compte des effets multiplicateurs de l’apport de ressources dans l’économie d’un pays. Vouloir réduire les dépenses budgétaires pour économiser quelques millions ne justifie pas que l’on se prive d’un mécanisme de développement de l’économie nationale amplement exploité par les pays industrialisés.

Par conséquent, aux termes du TCP, les pays qui participent à un processus d’intégration solidaire sont invités à donner la priorité aux entreprises nationales en en faisant les fournisseurs exclusifs des organismes publics. Il ne faut pas oublier que, un peu partout dans le monde, et malgré leur quasi-démantèlement au cours des dernières années, les Etats nationaux constituent les principaux acheteurs de biens et services. Indépendamment des accords, la proposition bolivienne établit des listes de fournisseurs prioritaires, notamment de groupes ethniques, de coopératives et d’entreprises communautaires, pour éviter une concurrence ruineuse et insoutenable avec les puissantes transnationales.

Avec son projet de Traité de commerce entre les peuples (TCP), la Bolivie se propose d’instaurer une véritable intégration qui transcende les sphères du commerce et de l’économie ; elle se donne pour principe d’aboutir à un développement endogène juste et durable sur la base de règles communautaires, en prenant en considération les disparités existant entre les pays sur les plans de la population, de la superficie, de la production, de l’accès à l’infrastructure et aux ressources, et de l’histoire, dans l’esprit des deux propositions d’intégration les plus élaborées à cet égard que sont l’Alliance sociale continentale (ASC) et l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, plus connue sous le sigle ALBA.

Les dix principes du TCP

1 - Le Traité de commerce entre les peuples (TCP), proposé par le président Evo Morales, est une réponse au délitement du modèle néolibéral fondé sur la déréglementation, la privatisation et l’ouverture inconsidérée des marchés.

2 - Aux termes du TCP, le commerce et l’investissement ne sont pas des fins en soi mais des outils de développement ; il n’a donc pas pour objectif la libéralisation absolue des marchés et l’affaiblissement des Etats mais la défense de l’intérêt des peuples.

3 - Le TCP propose un modèle d’intégration commerciale entre les peuples qui limite et réglemente les droits des investisseurs étrangers et des transnationales en fonction du rythme de développement de notre production nationale.

4 - Le TCP n’interdit pas d’employer des mécanismes de développement de l’industrialisation, pas plus qu’il n’empêche de protéger les segments du marché intérieur nécessaires à la préservation des secteurs les plus vulnérables.

5 - Le TCP reconnaît aux peuples le droit de définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires, de protéger et réglementer leur production agricole et animale nationale pour éviter que leur marché intérieur soit inondé par des excédents d’autres pays.

6 - Selon le TCP, les services essentiels relèvent d’entreprises publiques en leur qualité de fournisseurs exclusifs régis par les Etats. La négociation de tout accord d’intégration doit tenir compte du fait que, dans leur majorité, les services de base sont des biens publics qui ne peuvent être mis sur le marché.

7 - Le TCP pose les principes suivants : complémentarité et non concurrence ; harmonie avec la nature par opposition à l’exploitation irraisonnée des ressources ; défense de la propriété collective contre la privatisation extrême.

8 - Aux termes du TCP, les pays qui participent à un processus d’intégration solidaire sont invités à donner la priorité aux entreprises nationales en en faisant les fournisseurs exclusifs des organismes publics.

9 - Avec son projet de Traité de commerce entre les peuples (TCP), la Bolivie se propose d’instaurer une véritable intégration qui transcende les sphères du commerce et de l’économie ; elle se donne pour principe d’aboutir à un développement endogène juste et durable sur la base de règles communautaires, en prenant en considération les disparités existant entre les pays.

10 - Le TCP propose une autre logique pour les relations entre les êtres humains, à savoir une forme de cohabitation distincte qui ne s’appuie pas sur la concurrence et l’accumulation de biens au prix d’une exploitation et d’un épuisement de la main-d’œuvre et des richesses naturelles.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2885.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Gloobal, 16 avril 2006.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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