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ÉTATS-UNIS - La chasse aux pauvres : le divertissement idéal

Jorge Majfud

mercredi 24 juillet 2019, mis en ligne par Françoise Couëdel

Lundi 15 juillet 2019.

En juin 2019, le président Donald Trump a annoncé le début des rafles pour chasser les immigrants illégaux dans les dix plus grandes villes des États-Unis, à partir du 14 juillet de cette année.

Le fait que les grandes villes aient été choisies plutôt que les zones de grandes plantations, dont les récoltes seraient impossibles sans les immigrants illégaux, s’explique très probablement par un phénomène que nous avons signalé précédemment : aux États-Unis, les minorités (noirs, latinos, asiatiques) sont sous-représentées politiquement, non seulement parce que les immigrants illégaux ne votent pas mais parce que le vote des citoyens de ces groupes vaut bien moins que le vote des blancs dans un état ultraconservateur, ce qui remet en question la nature démocratique de tout le système politique et électoral, sans compter le système économique et financier.

Pour la raison historique de la marginalisation de la propriété de la terre et en raison des nécessités actuelles, les minorités concentrées dans les grandes villes le sont dans les secteurs des services, qui se trouvent dans les États les plus peuplés, qui ont autant de sénateurs que n’importe lequel des États faiblement peuplés, bastions des conservateurs depuis le XIXe siècle ; pour totaliser le même chiffre de population que la Californie (40 millions) ou New York (20 millions), deux bastions progressistes et plus réceptifs aux immigrants de tout type, il faut additionner plus de dix États conservateurs (l’Alaska gigantesque n’atteint pas le million). Néanmoins, chacun de ces grands États ne compte que deux sénateurs tandis qu’une douzaine d’États conservateurs et faiblement peuplés en ont vingt-quatre. Le Texas est l’exception inverse, mais pas dans sa dynamique interne.

À cette réalité structurelle il faut ajouter, entre autres caractéristiques, que les gouvernements dits populistes ont coutume d’user d’effets spéciaux lorsqu’ils prennent des décisions spectaculaires et symboliques alors qu’ils pourraient faire de même avec plus de discrétion. Les populistes de gauche jouent souvent cette même carte avec leurs ennemis les plus puissants qui sont les empires de différentes couleurs. Les populistes de droite jouent la même carte en attaquant et diabolisant les gouvernements des pays pauvres, quand ceux-ci prétendent à l’indépendance, ou les secteurs les plus faibles d’une société comme les immigrants ou les travailleurs pauvres. Les immigrants non seulement ne votent pas mais, en outre, leur pouvoir économique et médiatique est négligeable.

Dans le cas des populistes de droite, expression des intérêts de ceux d’en haut, ils alimentent les frustrations de ceux d’en bas pour qu’ils lynchent ces indésirables encore plus bas qu’eux : c’est pour le moins une lâcheté au carré. Sans oublier que les fanatiques post humanistes (les fanatiques sont ceux d’en bas qui défendent les intérêts de ceux d’en haut contre leurs propres intérêts, non pas ceux d’en haut qui simplement défendent leurs intérêts propres) ; eux, ont coutume de brandir un autre symbole contradictoire, celui de la croix, en déchirant leurs vêtements, se frappant la poitrine, prétextant qu’ils sont les adeptes de cet homme qui prêchait l’amour de tous les hommes sans exception et s’entourait de marginaux. Cet homme que le pouvoir impérial de l’époque et ses indispensables complices locaux ont crucifié aux côtés d’autres criminels.

Un certain nombre d’études ont montré que plus sont grandes les différences économiques et sociales qui séparent ceux d’en haut de ceux d’en bas plus est important l’espace médiatique accordé aux problèmes de l’immigration et de la criminalité. La situation est similaire qu’il s’agisse des pays du centre ou des pays périphériques, des pays riches ou des pays pauvres. Il faut ajouter un autre symptôme que l’on retrouve dans les exposés des étudiants universitaires : le débat (la meilleure « verbalisation sociale ») est présenté, avec son axiome et son corollaire dès le début, comme « le problème de l’immigration » et non comme « le défi » ou « la grande opportunité de l’immigration ».

Même si le président Donald Trump a perdu les élections en 2016, il a accédé à la Maison-Blanche, grâce à un système électoral inventé au XVIIIe siècle pour protéger les États esclavagistes du sud, et avec un discours d’un racisme, semblable à celui entendu en Europe, à peine voilé par l’excuse éternelle et lâche de la légalité qui, comme nous l’avons analysé précédemment, a été encouragé et respecté quand il convenait aux groupes au pouvoir. Avec des exceptions remarquables, héroïques, toujours grâce à des défenseurs sociaux diabolisés. Le racisme ni ne se crée ni ne se détruit, il ne fait que se transformer.

La date du 14 juillet 2019 a été choisie comme début des rafles d’immigrants illégaux – arbitraire mais en cohérence avec la psychologie des fascistes qui affectionnent les décisions intempestives et symboliques (de médiatisation facile) – contre un groupe spécifique de ceux d’en bas diabolisés, désignés comme « les autres » : simples citoyens juifs, musulmans ou immigrants. Évidemment, pas n’importe quels immigrants illégaux mais les plus pauvres et les plus désespérés et ceux qui ont la peau la plus sombre. Les autres immigrants illégaux, s’ils sont blancs passent inaperçus ou si elles sont blanches, peuvent aller jusqu’à devenir la Première Dame, bien que les parents aient été (de plein gré ou de par leur vocation d’alpiniste), membres du parti communiste dans un pays d’Europe. Preuve encore que les immigrants font le travail que les autres citoyens ne veulent pas faire.

Le tribalisme, la horde fasciste, raciste, misogyne et le refus de l’égalité des droits pour les autres prendront fin. Nous ne savons pas quand mais je suis convaincu que ce sera une réaction globale à tout ce qui a été gagné au cours des siècles derniers, que ce soit beaucoup ou peu ; cela cache un conflit prévisible entre ceux de moins en moins nombreux, qui possèdent de plus en plus, et ceux qui se sentent de plus en plus marginalisés et n’en comprennent pas la raison, qui sont devenus, dans le meilleur des cas, de dociles esclaves consuméristes. C’est un processus historique qui ne peut pas se prolonger indéfiniment : une catastrophe incontrôlée va exploser que personne ne souhaitera, pas même ceux d’en haut, tellement habitués à étendre leurs privilèges lors de chaque crise contrôlée, comme celle qui va advenir en 2020.

Les vieillards puissants qui gouvernent le monde ont un avantage existentiel : ils ne cueilleront pas les fruits de leur haine et de leur cupidité. C’est la raison pour laquelle le long terme leur importe peu, même s’ils ressassent le contraire. Ils croient surtout s’être offert une demeure luxueuse au royaume de Dieu, en répartissant des aumônes, et en priant, l’air contrit, cinq minutes chaque jour. Pour eux et pour ceux d’en bas « le temps vaut de l’or », un mythe qui tombe de lui-même si on considère seulement qu’aucune montagne d’or ne peut leur acheter du temps. Comme ils ne peuvent pas thésauriser du temps ils amassent de l’or, en détruisant la vie des plus faibles et des plus désespérés, des plus jeunes, qui sont de loin ceux qui jouissent de plus de temps que d’or. Quelque chose de difficilement pardonnable.


Jorge Majfud est un écrivain uruguayo-états-unien, auteur de Crisis y otras novelas (« Crises et autres romans »).

Traduction française : Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/200996.

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