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AMÉRIQUE CENTRALE - 199 années de colonialisme interne

Ollantay Itzamná

lundi 28 septembre 2020, mis en ligne par Françoise Couëdel

9 septembre 2020 - Dans les sept pays qui constituent la région de l’Amérique centrale y compris Belize et Panamá, coexistent au total environ 60 peuples originels. Parmi eux, 60 se trouvent au Guatemala, 6 au Honduras et ainsi de suite (sans compter les peuples qui ont été présents à partir du XVIe siècle).

Le 15 septembre 1821, des descendants d’Espagnols (les créoles) dans la Province du Guatemala (constituée à l’époque par ce qui est actuellement le Honduras, le Salvador, le Nicaragua, le Costa Rica et le Guatemala), se sont autoproclamés « indépendants » du pouvoir de la Couronne espagnole alors affaiblie.

À cette époque les créoles de la région étaient représentés par quelques familles, parmi lesquelles la famille Aycinena était une des plus puissantes. Et c’est ainsi qu’ils déterminèrent la nature, l’organisation, la structure, les finalités, les relations… de l’État indépendant de l’Union centraméricaine.

Qu’a signifié et que signifie pour les peuples originels l’indépendance créole de 1821 ?

Même si cette proclamation d’indépendance sui generis, « sans qu’ait été gaspillé un seul gramme de poudre », était déjà quelque chose de comique, mais le plus burlesque de cet acte politique est écrit, rédigé ni plus ni moins qu’à l’article 1 de l’Acte d’indépendance qui dit : Déclarer l’indépendance … « pour prévenir les conséquences qui seraient redoutables dans le cas où le peuple lui-même la proclamerait de fait ».

Et l’article 12 indique « Que l’éminent Conseil à qui revient la conservation de l’ordre et de la tranquillité, est tenu de prendre les mesures les plus actives pour les maintenir dans toute la capitale et les villages voisins ».

L’indépendance créole de 1821 a été de toute évidence un acte politique déguisé et volontaire de subordination des peuples, des familles indiennes qui, à cette époque-là représentaient 90% dans le cas du Guatemala, et qui s’insurgeaient contre des tributs et des servitudes abusifs que leur imposaient les créoles.

Las familles créoles proclament leur « indépendance » pour que les peuples ne le « fassent pas par eux-mêmes ». Une fois proclamée leur « indépendance » les créoles « imposent l’ordre, asservissant les peuples manu militari » …

C’est là la tromperie de « l’indépendance créole » du point de vue des peuples. De cette façon, pas même en 199 ans de vie républicaine, les Indiennes et les Indiens n’ont pu accéder au statut de citoyenneté qui garantirait leurs droits.

En d’autres termes en 199 ans consécutifs les Indiennes et les Indiens, scolarisés ou non célèbrent tous les 15 septembre l’anniversaire de leur condition de colonisés dans les républiques créoles indépendantes. Ce que Fanon, Casanova, Mignolo appellent colonialisme interne…

Les familles créoles ont organisé et se sont réparti le pouvoir dans cet État nouvellement créé des provinces unies d’Amérique centrale, en suivant les délimitations territoriales établies par la Couronne. Et les peuples indiens furent répartis comme parties intégrantes du capital naturel des pays en question. Différenciés les uns des autres comme Guatémaltèques, Honduriens, Salvadoriens… sans que soit prises en compte leurs racines culturelles ou leur appartenance à un même peuple indien.

L’unité politique de l’Amérique centrale a succombé en moins de deux décennies englouties par l’insatiable voracité créole. C’est ainsi que se sont dressées des frontières culturelles symboliques entre les républiques actuelles d’Amérique centrale pour affaiblir et contrôler les peuples soumis.

Depuis lors, indiens ou pas se regardent ou pas, se discriminent entre eux comme « étrangers » les uns aux autres, uniquement par ce que leurs patrons leur ont imposé les marques de nationalité différente sur leur carte d’identité… alors que les patrons vivent en bonne coexistence sous la protection et avec le soutien de SICA( Système d’intégration centre américain), PARLACEN (Parlement centraméricain …etc.

Pour les peuples indiens, les deux siècles du colonialisme interne républicain ont été plus mortifères que la colonisation espagnole. Au cours de la République créole, libéraux et conservateurs, brandissant la Loi, l’épée et la Bible, ont démantelé les terres collectives des peuples indiens acquises au cours des trois siècles de la Colonie espagnole et dans de nombreux cas en ont fait des propriétés privées individuelles aux mains des métis ou des ladinos.

Depuis lors, les aborigènes sont devenus des « Indiens », paysans sans terre, journaliers sous-alimentés… et dans l’actualité de séduisants décors de musées/restaurants, vêtus de tenues indiano-coloniales, pour satisfaire l’industrie du tourisme.

Les Indiennes et les Indiens d’Amérique centrale, de même que dans le reste de Abya Yala [1] dans les faits ne sont ni reconnus ni traités comme des citoyens. Encore moins comme des sujets indépendants. On les a obligés à abandonner leurs racines culturelles ou à être objets de folklore, en leur imposant une éducation métisse créole, en leur promettant la citoyenneté, mais les états deux fois centenaires ne les ont jamais intégrés ou reconnus comme citoyens de plein droit.

En ce sens, les 199 années de colonialisme interne sont une occasion de ratifier les luttes libertaires jusqu’à reconstruire les autonomies territoriales/politiques authentiques au sein de nouveaux états plurinationaux, ou une émancipation totale, si besoin est.


Ollantay Itzamná est un défenseur latino-américain des droits de la Terre-mère et des droits humains.

Traduction française : Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://ollantayitzamna.com/2020/09/09/pueblos-de-centroamerica-199-anos-de-colonialismo-interno/.

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[1Abya Yala est le nom choisi en 1992 par les nations indiennes d’Amérique pour désigner l’Amérique au lieu de le nommer d’après le nom d’Amerigo Vespucci – NdlT.

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