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AMÉRIQUE LATINE - Démocratie néolibérale

Angel Guerra Cabrera

lundi 28 septembre 2020, mis en ligne par Françoise Couëdel

10 septembre 2020.

L’interdiction prononcée à l’encontre d’Evo Morales de présenter sa candidature au mandat de sénateur et la condamnation à huit ans à l’encontre de Rafael Correa, assortie d’une interdiction à vie de participer à la vie politique, prononcées toutes deux le 7 septembre, confirment que les néolibéraux jouent à la démocratie uniquement jusqu’à ce qu’ils commencent à perdre les élections. Je me réfère, évidemment, à la démocratie formelle chaque fois que le néolibéralisme est l’antithèse de la démocratie représentative, participative, génératrice de pouvoir populaire, comme celle qui se pratique à Cuba et au Venezuela. Des exemples flagrants de cette incompatibilité sont l’imposition, dans des pays supposés démocratiques, – au nombre desquels le Chili de la concertation, évidemment, héritière enthousiaste de la politique économique de Pinochet et aussi celui du Mexique de la transition « démocratique » –, des Traités de libre échange (TLC) avec les États-Unis, évidemment contraires aux intérêts du peuple et destinés à approfondir la sujétion de nos peuples à l’Empire. À partir de l’instauration du TLC et des privatisations, s’est renforcée comme jamais la tyrannie du marché sur des millions d’individus, à qui la maffia médiatique a occulté l’appauvrissement de leurs vies qui découle de ces politiques et pour l’application desquelles ils n’ont jamais été consultés.

Je n’userai pas de cet espace limité pour argumenter contre l’inconsistance juridique des mesures illégitimes imposées à Evo et à Correa par des juges vénaux ou agissant sous la contrainte. Ces simulacres judiciaires sont de la même famille que les coups d’État contre le président Zelaya (Honduras, 2009), Lugo (Paraguay, 2012), Dilma Roussef (Brésil, 2016) et Evo Morales (Bolivie, 2019). Tous ont été justifiés par les moyens de communication hégémoniques ; dans certains cas promus, ou approuvés, par les parlements et même validés par les organes qui administrent la « justice », comme ce fut le cas du Brésil.

Ils s’apparentent en partie aux attaques médiatiques qui ont lynché le kirchnerisme en Argentine et qui ont grandement facilité le gouvernement prédateur de Macri et l’acharnement judiciaire contre Cristina Fernandez de Kirchner et sa famille. En outre, le montage calomnieux du Juge Moro pour empêcher la candidature de Lula à la présidence, a déroulé le tapis rouge à la privatisation du riche gisement pétrolifère Presal et favorisé l’irruption de Bolsonaro.

Ces actions, dans lesquelles intervient l’appareil de l’administration de la justice, pour poursuivre ou inhabiliter des personnages politiques d’extraction populaire, se sont tellement répétées, qu’elles ont donné naissance à un mot anglais qui les qualifie de lawfare (guerre judiciaire). Évidemment, un cas scandaleux a été celui de la tentative de retirer son immunité à López Obrador. Mais soyons clair, le lawfare n’est qu’une ligne d’action, très importante, sans aucun doute, au sein du répertoire des violations que la droite a perfectionnées au fil du temps pour interrompre les processus de changement ou éviter qu’adviennent ou reviennent au gouvernement des candidats qui en font la promotion.

Paola Pabón, Virgilio Hernández et Christian González, d’éminents militants du mouvement de la Révolution citoyenne, en Équateur, sont des cas exemplaires de poursuite judiciaire uniquement pour des motifs politiques. Les trois ont été accusés de rébellion armée suite à un important soulèvement indien en Équateur, en octobre 2019, qui a fait plus de mille prisonniers et 11 morts. En effet ils ont soutenu les revendications du mouvement mais sans participer à son organisation et en appelant à faire connaître par la voie politique leurs revendications auprès de l’Assemblée nationale.

Les « preuves » présentées contre les trois ne sont que des tweets, l’un d’eux de Paola appelant au non exercice de la violence, et en fait leurs contenus relèvent du droit à désapprouver. Paola, préfète élue de la province de Pichincha a été détenue à l’aube, et sa maison violement saccagée. Les trois ont été condamnés à une peine de prison préventive, jusqu’à ce que le 25 décembre de la même année elle soit commuée en mesures alternatives, de présentation hebdomadaire au tribunal et port d’un bracelet électronique, grâce à la pression exercée par une résolution de la Commission interaméricaine des Droits humains. L’accusation a aussi été réduite à rébellion car le terme d’« armée » mettait les juges dans l’embarras. Mais ces derniers jours le jugement se poursuit et Paola doit désormais se présenter au tribunal trois fois par semaine au lieu d’une tant que durera l’investigation. Dans un entretien extraordinaire [1]dans lequel elle manifeste la sincérité et les conviction qui la caractérisent Paola affirme : il s’agit là aussi des intérêts transnationaux qui… n’étaient pas compatibles avec nos régimes progressistes, et les ambassades des États-Unis ont joué un rôle dans ces processus que nous avons baptisé Nouveau Plan condor. Ce n’est donc plus uniquement le cas Paola Pabón, ce n’est pas le cas Lula, ou le cas Rafael Correa. Le problème est qu’il ne s’agit plus d’États démocratiques et, avec le temps, on racontera, on écrira comment ont agi les régimes néolibéraux autoritaires à l’époque qui est la nôtre en Amérique latine.


Twitter de l’auteur : @aguerraguerra

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/208847.

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