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DIAL 2823

BRÉSIL - « Sauvons le Parti des travailleurs ! »

Frei Betto

jeudi 1er septembre 2005, par Dial

Suite à des graves pratiques de corruption, le Parti des travaileurs traverse une crise si profonde qu’elle ne permet pas de présumer son avenir. Elle atteint le gouvernement lui-même. Frei Betto, un ami de Lula, explique pourquoi, selon lui, tout doit être fait pour sauver ce parti. Article paru le 2 août 2005 dans ADITAL.


Les initiales du PT ne signifient pas Parti de la Triche, de la Tromperie ou du Trucage. C’est le Parti des Travailleurs, qui tout au long de ces vingt-cinq années d’existence a manifesté qu’il possédait beaucoup de vertus et quelques vices. Il apparaît maintenant, aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique, comme un parti « égal aux autres » et « fait de la même farine ».

L’horreur de l’Inquisition au Moyen âge, et les cas récents de pédophilie n’éclipsent pas l’histoire de l’Eglise, baignée par le sang des martyrs et portée par tant de figures exemplaires comme François d’Assise, Bartolomé de Las Casas et Mère Teresa de Calcutta.

Le fait que quelques dirigeants du PT aient agi en contradiction avec l’éthique et les principes du parti ne signifie pas que l’ensemble de sa direction soit de connivence et encore moins l’ensemble de ses militants, gens pauvres en général, chômeurs, femmes de ménage, travailleurs, petits agriculteurs, étudiants et professions libérales.

Excès, trahisons et corruptions se produisent malheureusement dans toutes les institutions. Jusqu’à Jésus, qui eut Judas dans son groupe.
Le PT ne mérite pas d’être mis aux ordures dans les égouts découverts par le député Robert Jefferson. Il a besoin d’être préservé et épuré comme l’a bien perçu le président Lula en soutenant les CPI (Commission parlementaire d’enquêtes), en démissionnant le ministre José Dirceu et en intervenant dans la direction du parti, accélérant le changement de ses membres par des ministres de grande compétence et fiabilité, comme Tarso Genro (éducation), Ricardo Benzoni (travail) et Humberto Costa (santé).

Je ne me suis jamais affilié au PT, mais j’ai pris part à son histoire, je l’ai soutenu devant les communautés ecclésiales de base et les mouvements populaires. Comme citoyen, je constate qu’il est viscéralement engagé dans l’avenir du pays. Si le PT faisait naufrage avec ses dirigeants indemnes de tout soupçon, quel autre horizon devrait canaliser les espoirs des pauvres ? Le parti est beaucoup plus grand que ses dirigeants accusés d’agir illicitement dans le trafic des campagnes électorales.

Dans une nation dans laquelle 10% des plus riches contrôlent 42% de la richesse et, à l’autre extrémité, 10% des plus pauvres se répartissent à peine 1% du revenu national, le PT a été la référence pour des changements en faveur de la justice sociale, malgré le frein représenté par l’actuelle politique économique du gouvernement.

L’hypothèse de l’éclatement du PT, lancée par des secteurs rétrogrades de la politique brésilienne, est une menace pour la stabilité démocratique. Sans le PT, les mouvements populaires perdront leur représentation politique. Il est vrai qu’ils pourraient la déléguer à d’autres partis progressistes, mais aucun d’eux n’a de ramifications suffisantes dans le pays ni ne suscite l’enthousiasme et la confiance dont le PT jouit à l’extérieur.

Sans le PT sur la scène politique brésilienne, le mouvement populaire serait orphelin, sans canal pour s’exprimer, ce qui pourrait conduire au désenchantement à l’égard de la politique institutionnelle et aboutir à de graves déviations. Des centrales syndicales et des mouvements de travailleurs sans terre pourraient céder à la tentation de se transformer en alternatives partisanes, en évacuant leurs slogans spécifiques. Les mouvements sociaux se sentent peut-être incapables de contenir la révolte de leurs militants en recherche de voies alternatives, non institutionnelles, pour les changements sociaux. Mais personne ne peut garantir que de telles alternatives aboutissent dans le respect des limites de l’état de droit.

La lutte armée n’intéresse aujourd’hui au Brésil que deux secteurs : les fabricants d’armes et l’extrême droite, nostalgique des temps où le canon faisait loi. Toutefois, il ne peut pas être demandé à 53,9 millions de pauvres qu’ils aient une patience infinie. Bien que le gouvernement fédéral continue à mettre en oeuvre des politiques sociales innovantes, comme « Faim zéro » et, à l’intérieur de ce programme, la Bourse familiale, le microcrédit, le PRONAF (Programme national de renforcement de l’agriculture familiale), l’assurance pour les récoltes, la délimitation des terres indigènes, le coopératisme et l’augmentation de l’emploi formel, il en manque encore beaucoup pour que soient atteints les engagements historiques du PT, comme la réalisation effective des réformes agraires et du travail.

Personne ne sort indemne d’une crise. Celle qui afflige maintenant le pays et, dans l’œil de l’ouragan, le PT, devra servir à la nouvelle direction du parti - celle qui est provisoire et celle qui sera choisie en septembre – pour repenser ses mécanismes internes de contrôle, ses principes éthiques et ses critères de financement des campagnes, son processus d’affiliation, de formation politique des militants et de qualification des dirigeants, sa vision stratégique d’un Brésil moins inégal et plus développé.

Le parti est le garant d’un immense espoir, centré maintenant sur le gouvernement de Lula. Pire que toutes les roublardises, c’est voir la peur, face aux pressions du marché financier, vaincre cet espoir. Ce n’est pas la corruption qui menace le plus le PT, c’est le danger que le parti n’accomplisse pas son rôle historique d’agent de transformation sociale. Comme l’a dit Lula à la place de la Bastille à Paris, il se grandit celui qui sait penser en grand. Si le PT pense seulement aux prochaines élections, aveugle face aux changements que lui-même a interrompus, il finira par s’éteindre comme une étoile sans éclat. Il entraînera avec lui l’espérance de millions de personnes. Il restera le désespoir au sein duquel germent les mauvaises semences de la politique : le fascisme, le fondamentalisme et le terrorisme.

Sauvons le PT, en le libérant de qui ne le mérite pas. Il s’agit de sauver la démocratie brésilienne. Et que la leçon nous serve à tous : quand on n’a pas la clairvoyance de voir qui sont nos adversaires, nous courons le danger de nous comporter comme eux.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2823.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : ADITAL, 2 août 2005.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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