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DIAL 2807

ARGENTINE - Benetton en Patagonie : pas de couleurs, mais des douleurs

Alejandro Tesa

lundi 16 mai 2005, par Dial

Les hectares de la multinationale se chiffrent presque à un million en Argentine, mais le petit nombre que Tierras Sud Argentino, entreprise contrôlée par Benetton, a pris au couple Curinano-Nahuelquir a un charme particulier : l’éclat de l’or. Lorsqu’on est puissant, il devient même possible d’envisager de donner ce que l’on ne possède pas...

Article de Alejandro Tesa, paru dans Pastoral Popular (Chili), mars 2005.


Les affaires judiciaires sont complexes pour le profane ; celle-ci est simple. Le 31 mai 2004, un tribunal d’Esquel - dans la Patagonie argentine - après un procès que les avocats de Benetton rendirent confus, prononça son jugement : les terres occupées par Rosa Nahuelquir et Atilio Curinano ne leur appartenaient pas, elles étaient la propriété de Tierras Sud Argentino, entreprise d’élevage contrôlée par l’empire lainier italien.

« S’ils ne nous rendent pas la terre, la lutte que nous commençons ne va pas en rester là. Elle n’est pas seulement pour nous, mais pour le reste de nos frères qui se trouvent dans la même situation et n’osent pas suivre cette voie », déclara aussitôt la femme dépouillée de la terre que ses ancêtres connaissaient depuis des siècles.

Les représentants de Benetton-Tierras Sud Argentino quittèrent en silence le tribunal. Un petit rassemblement les vit partir. Lui aussi silencieux. Quelques jours auparavant, le même tribunal - en réponse à une requête de l’entreprise d’élevage - avait estimé que le couple mapuche [1] n’avait pas mis en place une association illicite pour usurper ces terres, un peu plus de 500 hectares. Vraiment rien en comparaison du pouvoir que représentent les 900 000 hectares des requérants étrangers.

En terre de moutons, la mère de l’agneau

Début mai 2003, a été créée, toujours en Argentine, une entreprise : Minera Sud Argentina S.A. Rien d’extraordinaire en cela ; le pays a un énorme potentiel minier. Il a filtré alors que cette entreprise exercerait ses activités dans la province d’Esquel. Curieux hasard : dans les environs des terres disputées aux Curinaco-Nahuelquir, à proximité desquelles les habitants du canton ont dénombré plus de 10 prospections.

Là, on recherche de l’or. Il y a un petit problème, cependant : la population de la zone a repoussé, lors d’un plébiscite, en termes catégoriques (85% des habitants) l’exploitation aurifère. La raison en est simple : le procédé d’extraction utilise le cyanure, qui est un violent poison, et contaminerait les cours d’eau et la végétation, mettant aussi en danger la vie animale et la vie humaine elle-même. Les éternels soupçonneux pensent que c’est pour cette raison que Benetton a offert aux Mapuche du secteur 2 500 hectares – « de première qualité » - pour qu’ils les travaillent à leur guise. Bien sûr : un petit peu plus loin de la zone qui les intéresse. L’agence chargée de gérer les relations publiques de la multinationale - de mauvaises langues affirment que ses spécialistes sont ceux-là mêmes qui « gérèrent » l’image d’un certain Videla, dictateur, dans un (vain) effort pour le rendre sympathique - s’empressa de « brouiller les cartes » et d’affirmer : « Benetton dans les affaires minières ? Allons donc ! Ce sont des médisances de ‘ces gens-là’ ». « Ces gens-là » est l’expression d’un sous-entendu : rebelles, anarchistes, gauchistes, économistes antimarché. Ils ne croient pas à la libre entreprise.

La campagne dura peu. Dans le Journal officiel de la République argentine du 15 mai 2003, on peut lire que la société anonyme Minera Sud Argentina débute légalement ses activités. Et, autre hasard, son domicile est le même que celui de l’entreprise « des couleurs » . Ce qui n’est pas le fruit du hasard, malgré la meilleure volonté du monde, est le fait suivant : le vice-président de Tierras Sur Argentino est également le président du comité directeur de la firme minière. Il s’appelle Diego Perazzo.

United colors of Benetton

A partir de leurs problèmes judiciaires et extra-judiciaires avec les gens d’Esquel en général, et avec les paysans mapuche en particulier, c’est beaucoup d’argent que dépensèrent Luciano Benetton et consorts pour - comme voulut le faire Rafael Videla - « améliorer leur image ». Les stratèges proposèrent la donation de ces 2 500 hectares, refusés. 2 500 hectares, cela peut paraître énorme en Europe - en fin de compte, de petits pays - mais en Patagonie, cela ne constitue jamais qu’un grand jardin potager.

Tout était prêt à Rome : « Voyez comme ils sont bons chez Benetton ; ce qu’il se passe, c’est qu’avec ces Indiens il n’y a pas moyen de s’entendre » ; c’est alors que le soigneux montage s’écroula et qu’il apparut clairement que ce dont il s’agissait, c’était d’une spoliation. « Ils ne peuvent faire donation de ce qui n’est pas à eux » dit, à Rome également, le couple Curinanco-Nahuelquir.

Marco Calabria a parlé avec eux dans le bureau de la rédaction de la revue Carta, en présence de Gustavo Macaya, leur avocat, et Mauro Millàn, de l’association 11 octobre.

C’est clair : les Mapuche sont des gens peu fiables. Qu’est-ce que c’est cette manière de refuser, comme ce fut le cas au XVIème et au XIXème siècle, la première vague mondialisatrice des Espagnols ? ; de persévérer dans leur refus d’intégrer les Etats-Nations proposés par les Argentins et les Chiliens au prix de trahisons et de massacres entre le XIXème et le XXème siècle ?, et maintenant en pleine globalisation contre le terrorisme, de lever à nouveau le poing face aux multinationales ?

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Chili : Des Mapuche ont dénoncé assassinats et tortures devant l’OEA

Pour assassinats, tortures et astreintes illégitimes, des organisations mapuches ont déposé plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) de la OEA (Organisation des Etats américains). « Par exemple, l’assassinat du jeune Mapuche de 17 ans, Alex Lemún, assassiné par des carabiniers, celui de 4 Mapuche tués par balles dans la commune de Tirúa par la police des recherches, ou, suite à une lâche attaque, celui d’une vieille femme qui est machi (autorité spirituelle mapuche) par des éléments de la police », ont-elles indiqué.
L’intervention de la délégation mapuche a eu lieu en présence de plusieurs observateurs internationaux des droits humains, d’agences d’informations et même de représentants du gouvernement du Chili, qui avaient demandé à être présents sans intervenir.

La délégation (mapuche), pilotée par Adolfo Millabur, délégué de la Coordination des organisations et identités territoriales, en qualité de pétitionnaire, avec Manuel Santander, porte-parole du Conseil de toutes les terres, et Nancy Yánez, avocate, ont sollicité de la Commission de la OEA, la mise en place de rapports thématiques et l’envoi d’une mission au Chili afin que soient établis un diagnostic et une surveillance sur les situations dénoncées, ainsi que soient accélérés les cas déjà enregistrés par la CIDH. Concernant les violations des droits individuels et des libertés fondamentales, la délégation a exposé une série de cas, comme le procès des 144 dirigeants du Conseil de toutes les terres, le cas pehuenche [2] et la Centrale hydroélectrique Ralco. De même elle exposa le cas des autorités traditionnelles mapuche, les lonko Pascual Pichùn et Aniceto Norin, condamnés par la loi antiterroriste, dans un double procès, pour « menaces terroristes » ; celui de la poursuite judiciaire des enfants du lonko Pichùn ; celui du dirigeant Victor Ancalaf, condamné pour incendie terroriste dans le conflit du barrage Ralco ; celui des dirigeants Marcelo Catrillanca et José Nain, condamnés pour délit d’incendie, entre autres.

La Segunda, mars 2005


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2807.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Pastoral Popular (Chili), mars 2005.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1“Mapuche” : les Indiens de culture et langue mapuche sont originaires de la région Arauco dans le Chili actuel (au sud de la ville de Concepción). Par déformation d’un mot mapuche, les Espagnols les nommèrent Araucans et leur pays Araucanie (Note Dial).

[2Pehuenche : mot mapuche pour désigner les Indiens des vallées interandines. Refusant la domination des colons espagnols, les Mapuche migrèrent vers l’est et le sud, franchissant les Andes et se répandant dans la pampa, araucanisant les Indiens Pehuenche et Pampas. Pour les Espagnols tous ces Indiens étaient des Araucans. Mais cette dispersion des Araucans explique que les problèmes actuels des communautés mapuche se retrouvent aussi bien en Argentine (texte 1) qu’au Chili (texte 2) (Note Dial).

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