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DIAL 2780

HAITI - Priorité au paiement de la dette, au mépris des besoins urgents de la population

Camille Chalmers

mardi 1er février 2005, par Dial

En payant à la Banque mondiale des arriérés de 52,6 millions de dollars, le gouvernement d’Haïti témoigne de la priorité accordée au réglement de la dette dans un pays écrasé par la pauvreté. Le service de la dette de Haïti a plus que doublé de 1996 à 2003. Malgré différents appels en faveur de son annulation, la pression des institutions internationales est continue pour que la dette soit honorée. Les accords conclus dans le monde actuel aboutissent à renforcer la subordination des économies des pays pauvres au système de l’économie mondiale et à renforcer le pouvoir des multinationales.

Texte rédigé en janvier 2005 par Camille Chalmers, directeur exécutif de la Plate-Forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif, PAPDA.


Le 4 janvier 2005 le gouvernement intérimaire a versé à la Banque mondiale des arriérés d’un montant de 52,6 millions de dollars US, soit 1 946 200 000,00 gourdes (près de 2 milliards de gourdes). Il n’est pas nécessaire d’être un expert pour avoir une idée des immenses travaux qui auraient pu être exécutés au bénéfice de notre pays avec cette somme colossale au regard de la taille de nos finances publiques. Ce geste attendu depuis de longs mois par les Institutions financières internationales (IFI) semble avoir décidé les bailleurs de fonds à finalement commencé à honorer une partie de leurs promesses d’aide d’urgence proclamées à grand renfort de tapage médiatique pendant et après la Conférence de Washington des 18 et 19 juillet 2004.

Ce versement effectué par les autorités actuelles montre, encore une fois, que la gestion des fonds publics ne répond pas au souci que l’on pourrait supposer primordial de répondre aux besoins d’une population qui, dans sa grande majorité, est accablée par la pauvreté, l’analphabétisme, l’accès insuffisant aux soins de santé primaire et à l’éducation. Dans le budget 2004-2005 de l’actuel gouvernement, 22% des dépenses publiques seront consacrées au paiement du service de la dette, ce qui constitue en termes relatifs la priorité numéro un de la politique actuelle.

La décision de continuer à payer une dette illégale, illégitime et criminelle dans la situation actuelle que traverse notre pays paraît particulièrement absurde et irresponsable. Notre pays est de loin le plus pauvre de l’hémisphère et les chiffres disponibles sur l’exercice fiscal 2003-2004 montrent un processus de dégradation alarmant. Nous sommes un pays en régression économique rapide. Notre pays vit une profonde et longue crise politique et institutionnelle et de surcroît pendant l’année 2004 nous avons été frappés par des catastrophes naturelles de grande ampleur détruisant presque complètement les localités de Fonds-Verettes, de Mapou et la ville des Gonaïves. L’une des principales villes du pays a été totalement détruite occasionnant plus de 350 000 sinistrés. Ces ravages ont eu des effets économiques dévastateurs sur la production agricole de nombreuses régions dans les départements du Nord, du Nord-Ouest et de l’Artibonite, augmentant l’insécurité alimentaire, le chômage de centaines de milliers de citoyens et citoyennes plongés dans la détresse et le désespoir. Comment peut-on, dans une telle conjoncture, oser demander à notre pays d’honorer le service d’une dette qui correspond à des sommes qui, au moins en partie, ont été pillées et utilisées à des fins d’enrichissement personnel ?

Comment peut-on expliquer que les fonds promis solennellement en juillet 2004 dans le cadre d’un programme mettant en évidence la nécessité d’un soutien financier massif et urgent n’ont jamais été décaissés tout au cours du deuxième semestre de l’année ? Comment qualifier cette « générosité » qui tarde à se concrétiser pendant six longs mois et qui ne se réveille que grâce à la stimulation du versement des 52 millions le 4 janvier dernier ?

Soulignons que le cynisme qui se dégage dans le cadre des relations de notre pays avec les Institutions financières internationales est un élément consubstantiel du marché de l’aide internationale qui ne sert qu’à maintenir la dépendance des pays du Sud et qui prolonge un mécanisme de pillage de nos ressources. Rappelons que le volume des liquidités versées annuellement par les pays du Sud représente souvent 7 à 8 fois le montant total de ce qui est mal nommé « aide publique au développement ». Haïti, malgré sa situation économique déprimée, est devenue un exportateur net de capitaux vers la Banque mondiale au cours des dernières années.

Préférence aux transnationales

Dans un communiqué publié le 8 janvier 2005, soit 4 jours après le paiement reçu d’Haïti, la Banque mondiale annonce que 73 millions de dollars ont été décaissés pour Haïti. Du montant accordé 61 millions seront consacrés à la
« gouvernance économique ». Nous constatons que la fameuse « générosité » se manifeste en priorité dans le secteur qui concerne en fait le processus de privatisation des principales entreprises publiques. Il est significatif que le premier décaissement, en dépit d’une déclaration très confuse de James Wolfhenson, ne concerne pas la création d’emplois, ni l’appui aux petites et moyennes entreprises, ni l’accès aux services sociaux de base, mais en fait la mise en place des procédures de passation de marché visant à accélérer le processus de transfert de capitaux vers les entreprises transnationales. Étonnante priorité, surprenante générosité dans un contexte d’effondrement économique et d’urgence humanitaire. La Banque mondiale opère dans un contexte dominé par les intérêts des grandes puissances et des firmes transnationales qui ont, au cours des deux dernières décennies, acquis un volume important de capitaux venant des processus de privatisation du patrimoine de nos pays. Ces privatisations sont souvent entachées de corruption et d’interminables scandales financiers.

A ce sujet il convient de mettre en garde le gouvernement provisoire contre toute tentation de privatisation rapide des entreprises publiques. Il ne revient pas aux autorités actuelles de prendre des décisions aussi importantes qui modifient les structures économiques de notre pays. S’il est normal que le gouvernement actuel engage des études visant à améliorer l’efficacité et la rentabilité des entreprises publiques, seul un gouvernement élu sera en mesure de décider sur ces dossiers à la suite de larges consultations avec les acteurs et usagers concernés. La Commission nationale intérimaire des marchés publics devrait avoir une composition équilibrée pour éviter que certains soient à la fois juge et partie dans l’évaluation des offres des acquéreurs potentiels.

Les appels d’offre de la Banque mondiale

Il faut souligner, à l’attention du public haïtien, qu’il s’agit d’un accord
« d’ajustement structurel et d’appui à la réforme de la gestion économique » comme l’indique le communiqué de la Banque mondiale. L’annexe 2 de l’accord signé précise que le gouvernement devra obligatoirement recruté des
« consultants internationaux spécialisés dans la passation des marchés ». Pour ce qu’il s’agit de la « réforme » de la CAMEP (Centrale autonome métropolitaine d’eau potable), de l’AAN (Autorité aéroportuaire nationale), de l’APN (Autorité portuaire nationale), de l’EDH (Electricité d’Haïti) et de la Téléco (Télécommunication) le gouvernement s’engage à recruter des cabinets internationaux pour effectuer un audit financier. Dans l’esprit de la rationalisation des dépenses publiques, a-t-on vérifié qu’aucune firme haïtienne ne dispose des compétences requises pour effectuer ce travail d’audit ? Les firmes haïtiennes qui opèrent dans le domaine financier ne sont pas éligibles dans le processus d’appels d’offres défini par la Banque mondiale. Comment justifier cette exclusion ?

Les documents signés avec la Banque mondiale mettent en évidence les véritables objectifs des Institutions financières internationales dans le cadre du marché de l’aide publique au développement. Les prêts sont souvent accordés afin de permettre aux pays endettés de continuer à verser les montants du service de la dette, accélérer le processus d’intégration subalterne de nos économies au système mondial et renforcer le pouvoir des entreprises transnationales.

Quel modèle de développement ?

La Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA) condamne le versement des 52,6 millions de dollars décidés par le gouvernement actuel qui a tiré plus de 40 millions de dollars US de nos réserves pour honorer des arriérés. Les améliorations évoquées dans la gestion des finances publiques ne seront guère profitables à l’économie nationale quand des ressources croissantes sont absorbées par le paiement de la dette. Le service de la dette externe a plus que doublé entre 1996 et 2003 et notre pays a déjà remboursé plusieurs fois les dettes qu’on lui attribue. Nous condamnons le modèle de développement imposé par les grandes puissances et les Institutions financières internationales qui enferment nos pays dans le piège de l’endettement continu et des déséquilibres macro-économiques comme ceci est douloureusement vécu aujourd’hui par nos voisins de la République Dominicaine qui se voient dans l’obligation de consacrer 40% de leurs revenus fiscaux au paiement de la dette externe. Le peuple haïtien s’est déjà prononcé en faveur d’une annulation totale de notre dette externe à travers la campagne Jubilée 2000. Plus de 135 000 citoyens et citoyennes de notre pays ont signé la pétition mondiale de l’année 2000 exigeant l’annulation de la dette des pays pauvres. Cette revendication a été publiquement appuyée par de nombreuses institutions internationales. Le Vatican s’est prononcé à plusieurs reprises dans le même sens réclamant une annulation totale de la dette externe de notre pays.

Il y a urgence

Nous pensons qu’il faut profiter de cette période dite de « transition » pour apporter une solution définitive à ce problème de la dette qui représente un frein pour le processus de développement national. Nous demandons un arrêt immédiat des versements effectués au titre du service d’une dette que le peuple haïtien n’a jamais contractée. Nous demandons aussi la mise en place d’un audit citoyen sur les 30 dernières années de financement international permettant de faire la lumière sur de nombreux aspects qui demeurent obscurs. Cet audit permettra d’établir les responsabilités, d’identifier les principaux responsables du pillage et d’engager un processus de récupération des biens mal acquis au profit du Trésor public. Un moratoire d’au moins une dizaine d’années devrait prendre place et tout ce qui est budgétisé au titre du paiement du service de la dette doit être immédiatement investi dans les secteurs suivants : éducation, santé, nutrition, infrastructures rurales dans le cadre d’une vaste offensive contre la pauvreté et ses causes structurelles.

Nous considérons que la cessation de paiement, l’annulation de notre dette externe et l’audit citoyen sont des instruments qui nous permettront véritablement d’amorcer un nouveau départ dans les relations entre l’Etat et la population haïtienne. La construction de la citoyenneté exige la mise en place de mécanismes de participation et de transparence dans l’orientation et la gestion des dépenses publiques. Les nouvelles relations de confiance que nous voulons construire ne seront viables qu’à ce prix. Nous invitons les dizaines de milliers de personnes et d’organisations qui se sont mobilisées pour la campagne pour l’annulation de notre dette externe et tous ceux et toutes celles qui s’intéressent au processus de démocratisation de notre pays de se mobiliser pour dire non au pillage de nos ressources. Les gestes comme ceux du 4 janvier sont une insulte à la misère du peuple haïtien et ne doivent plus se répéter. Non à la dette, non à la corruption, oui à la transparence. La vie avant la dette.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2780.
 Source (francais) : Plate-Forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif, PAPDA, janvier 2005.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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