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DIAL 2702

HAITI - Une dérive sans fin ?

Nancy Roc

lundi 16 février 2004, mis en ligne par Dial

Quel avenir pour Haïti ? Entre la position de ceux qui demandent la démission d’Aristide, et ceux qui souhaitent son maintien au pouvoir tout en réclamant de lui les mesures jugées indispensables au rétablissement de la paix intérieure, il est bien difficile de prévoir qui l’emportera. Chaque jour livre son lot de violences. Haïti a-t-elle atteint un point de « non-retour » ? Nous publions ci-dessous le point de vue de Nancy Roc, en date du 12 février 2004, diffusé par AlterPress.


(...) Le chaos

Voici le mot clé qui caractérise la crise haïtienne depuis près de quatre ans et qui risque de devenir le trait dominant du futur du pays. En effet, à force de se réfugier derrière l’éventualité d’un chaos incontrôlable si Aristide quittait le pouvoir, la communauté internationale et les Etats-Unis en pleine année électorale, risquent de se trouver embourbés une nouvelle fois dans la poudrière haïtienne. Nous l’avons dit et écrit en maintes fois : le chaos avait déjà été instauré par le régime lavalassien et l’impuissance ou indifférence de la communauté internationale à agir en Haïti de façon rapide, efficace et de concert avec les forces saines du pays, n’ont fait qu’empirer la situation. Une fois de plus, dans une déclaration faite sur TV5 le week-end écoulé, l’expert indépendant des Nations unies pour les droits de l’homme, Louis Joinet, a dit craindre, une catastrophe humanitaire en Haïti en cas de non-résolution de la crise. Vu le pourrissement de la situation, M. Joinet croit que la meilleure solution serait la démission de Jean Bertrand Aristide. Concernant l’insurrection du front de résistance pour le renversement de Jean Bertrand Aristide, ci-devant « armée cannibale », Louis Joinet pense que « c’est l’histoire de l’arroseur arrosé ». L’expert international rappelle que l’armée cannibale qui était soutenu par le régime de Jean Bertrand Aristide s’est retournée contre le pouvoir après la découverte du cadavre mutilé et criblé de balles de son chef, Amiot Métayer, le 23 septembre dernier. Un assassinat qui est intervenu, souligne Joinet, à un moment où les pressions internationales pour réclamer l’arrestation du fugitif Amiot Métayer s’accentuaient [1].

Toutefois, l’histoire de l’arroseur arrosé risque de s’étendre d’Aristide aux acteurs de la communauté internationale qui se verront, à un moment donné ou à un autre, obligés d’intervenir en Haïti. Contrairement aux plans de la CARICOM (Communauté des Caraïbes), celle-ci se verra peut-être et rapidement réduite au rôle d’intermédiaire diplomatique ou de simple régulateur régional. Les propos de Koffi Annan, secrétaire général de l’ONU le 9 février dernier, annoncant l’accroissement « très prochainement » de l’engagement des Nations unies en Haïti, n’écartent pas la possibilité d’une « réactivation » de la mission de l’ONU en Haïti comme en 1994. A ce sujet, l’analyse de Pascal Chaigneau, directeur du Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS à Paris) et docteur en science politique est édifiante : selon lui, les Etats-Unis ont voulu Aristide et ils l’ont eu. Ils ne l’ont pas encore lâché. Ils continuent à être les premiers bailleurs de fonds. L’administration Bush n’a envoyé aucun signal permettant de décoder qu’ils laissaient tomber Aristide. Le parti d’Aristide (…) est en crise, mais aucun élément lourd ne nous autorise à penser que les Etats-Unis lâchent Aristide et jouent une autre carte. De là à intervenir pour restaurer la situation, c’est tout à fait vraisemblable, mais sous une casquette multilatérale, vu le contexte électoral actuel aux Etats-Unis. L’hypothèse la plus crédible serait la réactivation de la Mission des Nations unies pour Haïti, après un vote au Conseil de sécurité [2].

Haïti face à la guerre civile ?

Nous ne voulions pas y croire, pourtant son spectre nous nargue : la guerre civile. Ce mardi 10 février, on apprenait que le gouvernement avait repris le contrôle des villes de St Marc, Grand-Goâve et Dondon. Toutefois, le secrétaire d’Etat à la sécurité publique, Jean-Gérard Dubreuil a avoué, lors d’une conférence de presse commune avec Jocelerme Privert et Mario Dupuy, que « la police n’est pas préparée pour la guerre. » Rappelons que suite aux événements du 5 février, le gouvernement américain a accusé les autorités haïtiennes de contribuer assez souvent à la violence en « mélangeant la police aux gangs, aux ’’brutes’’ ». Combien de temps durera l’apparente accalmie qui semble se rétablir depuis le mercredi 11 février ?

Ce qu’il faut comprendre aujourd’hui, c’est que l’insurrection de ces derniers jours n’est certainement pas le fruit d’un mouvement spontané mais bien celui d’une réflexion longuement préparée et planifiée. Le gouvernement avait-il raison de dire que l’opposition avait un « bras armé » ? Si c’est le cas, une fois de plus, ses mensonges constants ne nous auront pas permis de voir venir le danger. En effet, au lieu d’accuser constamment l’opposition sans preuve, les autorités auraient dû prendre leurs responsabilités et fournir des preuves au public haïtien que ladite opposition pourrait effectivement riposter de manière plus dure. Ceci n’a jamais été fait et aujourd’hui, ce sont encore les innocents qui paient. De son côté, la Convergence, à notre grand étonnement, a félicité le peuple haïtien pour son courage dans son mouvement insurrectionnel !… Mais, Micha Gaillard a apporté un bémol a cette prise de position en précisant à l’AFP : « nous distinguons le mouvement populaire, que nous soutenons et qui demande le départ de Jean Bertrand Aristide, des forces insurrectionnelles armées auxquelles nous ne nous identifions pas. » Ceci dit, de nombreuses questions restent posées aujourd’hui quant à la non-implication absolue de l’opposition dans cette insurrection. Les actions des partisans du RAMICOS, proche de l’opposition, ne sont pas faites pour nous rassurer… A ce sujet les médias internationaux font de plus en plus état de la possibilité de l’opposition de répondre au régime d’Aristide par d’autres moyens que la lutte pacifique. Quant a Pascal Chaigneau, il va bien plus loin. Selon lui, « le danger, c’est que ce pays est habitué à des cyclologies de violence ». Ce ne serait pas la première fois que l’on assisterait à des dérives. Le risque, c’est la milicianisation de l’opposition, pour faire face aux milices du parti Lavalas d’Aristide. Il y a donc un réel risque d’escalade de la violence en Haïti [3].

Malgré la catastrophe qui se profile à l’horizon, Washington continue de privilégier les efforts diplomatiques plutôt qu’une intervention directe. Tant du côté de Richard Boucher, porte-parole du ministère des affaires étrangères, que de celui de Donald Rumsfeld, secrétaire américain à la défense, les propos sont clairs : « il faut une solution politique et cela ne peut être obtenu que par le dialogue, la négociation et des compromis » a affirmé le premier cette semaine, alors que le second précisait ce 10 février qu’il « n’existe aucune intention (d’intervenir) à l’heure actuelle, ni aucune raison de penser à une intervention américaine » [4].

Le chaos redouté par les Américains est en train de s’intensifier et la dégradation politique du pays a largement contribué à la mauvaise image qui reste de l’intervention américaine en 1994 pour restaurer Aristide au pouvoir, tant dans une large partie de la classe politique que dans l’opinion américaines. Aujourd’hui, plus que de craindre l’anarchie, les américains semblent ne pas vouloir se mêler davantage à notre politique désastreuse. En témoigne la déclaration d’un haut responsable américain qui a requis l’anonymat : « la situation est telle en Haïti que des forces étrangères courraient le risque d’être accusées par le gouvernement comme par l’opposition de faire le jeu du camp adverse », a-t-il souligné. On se lave donc les mains de notre destin aussi tragique qu’il puisse se profiler à l’horizon aujourd’hui. Pire, on semble nous pousser vers la catastrophe. Le retrait du personnel diplomatique américain non nécessaire et l’avertissement du département d’Etat cette semaine envers ses citoyens vivant en Haïti, ne sont-ils pas annonciateurs de jours encore plus sombres ? (...)


L’UNICEF s’inquiète du sort des enfants

L’UNICEF est particulièrement préoccupé par le sort des quelque 1,2 million d’enfants vivant en extrême vulnérabilité. Plus la violence augmente, plus il devient difficile pour les enfants d’aller à l’école, de recevoir les soins de santé, et d’obtenir une nourriture et un logement adéquats. Les enfants, en particulier les filles, qui vivent ou travaillent dans les rues des centres urbains courent plus de risques. La fréquentation des enfants et des jeunes dans les écoles reste problématique dans plusieurs zones à cause de l’insécurité sur les routes et dans les écoles.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2702.
 Traduction Dial.
 Source (francais) : AlterPress, 12 février 2004.

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[1Alterpresse, Haïti, « La police a du pain sur la planche », 9 février 2004.

[2Propos recueillis par Laure de Charrette, le 8 février 2004

[3Propos recueillis par Laure de Charrette, le 8 février 2004.

[4Washington veut intensifier les efforts diplomatiques, pas intervenir, AFP et le Figaro Magazine, le 11 février 2004.

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