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DIAL 2677

BRÉSIL - La politique étrangère du président Lula

Horacio Verbitsky

samedi 1er novembre 2003, mis en ligne par Dial

Le président Lula a eu l’occasion de s’exprimer clairement sur les grandes lignes de sa politique étrangère au cours d’un entretien qu’il a accordé, en compagnie du président argentin Kirchner, à Horacio Verbitsky pour le quotidien argentin Pagina 12 du 19 octobre 2003. Nous en publions les principaux extraits.


Se tourner d’abord vers l’Amérique latine

« …Nous sommes en train de faire un pas définitif pour consolider le Mercosur et montrer au monde qu’il existe d’autres alternatives que la dépendance à l’égard des pays riches qui agissent souvent comme si nous étions des pays de seconde catégorie. L’Argentine et le Brésil ont besoin de leur relation avec les États-Unis et l’Europe, mais nous avons beaucoup plus, vraiment beaucoup plus à faire entre nous. Étant donné l’importance politique et économique des deux pays nous pouvons être un bon exemple et inciter d’autres pays à se tourner vers l’Amérique du Sud et à moins regarder au-delà des mers. Historiquement, l’Amérique du Sud a regardé vers l’Europe et les États-Unis. Cela a pu être important. Mais avec la mondialisation, avec l’avance technologique des pays développés, avec les subventions que ces pays payent, nous sommes obligés d’être davantage sud-américains, davantage latino-américains et nous devons essayer de trouver toutes les formes possibles d’aide mutuelle pour croître ensemble. C’est mon idée fixe. Je ne me suis jamais résigné à ce que durant 500 ans mon pays ait tant regardé du côté du vieux continent et si peu vers les pays avec lesquels nous avons une frontière commune, qui sont nos amis et nos frères. À cause de cela, la priorité de ma politique étrangère est l’intégration de l’Amérique du Sud et, à l’intérieur de cela, notre relation avec l’Argentine, étant donné son importance (…) Au Brésil et en Argentine, il y a des gens auxquels notre discours sur l’intégration ne plaît pas. Kirchner et moi, nous sommes prêts à ne pas permettre que l’intégration soit seulement commerciale. Il faut qu’elle soit culturelle, politique, et, pour cela, nous devrons faire un échange d’artistes argentins et brésiliens, de jeunes de chaque pays qui vont visiter l’autre. »

Une monnaie commune

« Il nous faut progresser avec précaution, pour ne pas porter atteinte à ce que nous voulons renforcer. À moyen terme, la création d’un Parlement du Mercosur [1] est ce qui va fixer toutes les règles pour que nous puissions faire tous les grands accords nécessaires. En même temps, la création d’un Institut monétaire pour que nous puissions mettre en place, à un moment donné et avec l’aide de Dieu, une monnaie unique (…) Nous allons en discuter sérieusement pour que, lorsque nous annoncerons la possibilité de créer une monnaie commune, ce ne soit pas une plaisanterie mais quelque chose de très sérieux. Pour cela, nous devons également porter fraternellement attention au Paraguay, qui a un nouveau gouvernement, qui a la volonté de faire des choses et qui a besoin de l’aide du Brésil et de l’Argentine. C’est de notre responsabilité d’aider la relance de l’économie du Paraguay, si nous voulons diminuer la contrebande et le trafic des armes. Le président Nicannor Duarte est prêt à faire tous les sacrifices nécessaires pour que le Paraguay se développe et n’ait pas besoin d’activités souterraines pour survivre. Nous avons à discuter avec beaucoup d’attention avec nos compagnons d’Uruguay, qui souvent ne sont pas d’accord, pour établir cette cohabitation tranquille et adulte. »

L’Amérique du Sud

« Après mon discours d’intronisation, Fidel Castro m’a dit : « Tu n’as pas parlé d’Amérique latine. » J’ai passé quinze ans de ma vie à parler d’Amérique latine. Lorsque j’ai assumé la présidence et commencé à penser à l’intégration de l’Amérique du Sud, j’ai réalisé que le Brésil a des frontières avec tous les pays, sauf l’Équateur et le Chili. Aussi, l’Amérique du Sud est ma maison, mon champ. L’Amérique latine, le Mexique, l’Amérique centrale ont aussi d’autres centres d’intérêts. Il me semble que l’Amérique du Sud est celle qui est la plus proche de réaliser le rêve de l’intégration de l’Amérique latine. Toutefois, il est impossible de penser le développement de l’Amérique du Sud sans penser à son lien avec l’Amérique latine. Il y a une vingtaine de jours, j’étais avec Fox [2], et maintenant Fox doit venir en Argentine parce que nous voulons travailler à un plan d’intégration entre l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale, jusqu’au Mexique, pour profiter de tous les espaces disponibles pour faire des affaires, pour faire de la politique, parce que le Mexique occupe une position intéressante et qu’il est en train de s’orienter vers l’Amérique du Sud et de connaître l’importance du Mercosur. »

Présence au Conseil de sécurité de l’ONU

« Nous revendiquons l’idée d’intégrer de façon permanente le Conseil de sécurité parce que c’est une dette des Nations unies à l’égard du Brésil depuis 1945. Si nous l’obtenons, nous travaillerons d’un commun accord avec les pays d’Amérique du Sud et surtout avec l’Argentine. Nous ne voulons pas exprimer une position personnelle mais celle de l’ensemble des ces pays et des forces politiques. »

Les relations avec les États-Unis

« Nous maintenons actuellement et nous voulons maintenir des bonnes relations avec les États-Unis, mais nous défendons aussi notre indépendance, notre souveraineté, nos entrepreneurs et nos travailleurs, nos intérêts. Comme je l’ai dit dans mon discours au Sénat, il y a plus qu’une intégration entre l’Argentine et le Brésil, il y a une société partagée. Nous ferons ensemble tout ce qui est possible, comme nous venons de le faire en Bolivie, où deux de nos compagnons, un Argentin et un Brésilien, sont allés rechercher une solution pacifique au conflit. Ce sont des exemples pratiques, concrets. »

La Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA)

« La ZLÉA est un sujet très sensible au Brésil parce que c’est un sujet populaire. Les syndicalistes, l’Église, les sans-terre, les gens sont préoccupés par la ZLÉA. La position du gouvernement est très cohérente : plus le Mercosur sera fort , plus grandes seront les chances d’arriver à un bon accord pour la ZLÉA. Les États-Unis représentent 70% du produit intérieur brut du continent, et l’hégémonie technologique. Et cependant ils ne font aucune concession, comme l’Union européenne a fait avec le Portugal, la Grèce et l’Espagne, pour aider à ce que les pays moins développés puissent avoir un minimum de compétitivité. Nous voulons négocier, mais nous voulons aussi défendre nos gens, notre industrie, notre commerce. Nous voulons négocier en matière agricole, mais ils ne veulent pas. Eux veulent négocier en matière d’achats gouvernementaux, nous, non. Dans les domaines où il n’y a pas accord, nous en discutons à l’OMC. La première décision des Nord-Américains a été que tout ce qui intéresse les États-Unis soit discuté à l’OMC. Donc, nous aussi nous disons que tout ce qui intéresse le Brésil nous allons en discuter à l’OMC (…) J’ai vingt ans d’expériences de négociations dans le mouvement syndical, et il y eut des moments très difficiles. Parfois, une petite victoire réclame des mois de négociations. Il ne faut jamais perdre sa tranquillité. Les États-Unis et l’Europe sont très importants pour l’Argentine et le Brésil, il nous faut maintenir les meilleures relations possibles, mais ils doivent comprendre qu’il n’est pas possible de continuer à subventionner leurs producteurs agricoles. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2677.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Pagina 12, 19 octobre 2003.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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[1Marché commun du Sud, regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, avec la Chili et la Bolivie comme membte associés.

[2Président du Mexique.

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