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DIAL 2662

URUGUAY - Trente ans après le coup d’État. Le premier rapport officiel sur les violations des droits humains pendant la dictature

Andrès Gaudin

lundi 1er septembre 2003, mis en ligne par Dial

Le premier rapport officiel sur les violations des droits humains pendant la dictature qui sévit en Uruguay de 1973 à 1985 vient de paraître. Il est l’oeuvre d’une Commission pour la paix créée en 2000 par le président Battle. La Commission reconnaît l’insuffisance de son travail en raison de la réticence des forces armées à livrer des renseignements. À noter qu’un sondage récent effectué par l’Université catholique du pays indique que 70 % des personnes interrogées entre 18 et 29 ans sont incapables de donner le nom d’un seul dictateur. De plus, à ce jour, aucun violateur des droits humains sous la dictature n’est sous les verrous. Article de Andrès Gaudin (Montevideo), paru dans Noticias Aliadas, 15 juillet 2003.


Il s’est écoulé 30 ans depuis le coup d’État militaire, qui a été commémoré le 27 juin. Néanmoins, aucun coupable des crimes commis par la dictature militaire qui a gouverné le pays de 1973 à 1985 n’est sous les verrous. De plus, le premier rapport officiel sur la violation des droits de l’homme durant ces 12 ans, a ouvert un profond débat dans la société.

D’un côté ce sont les gouvernements et les secteurs conservateurs qui considèrent le travail fait par la Commission pour la paix – créée par le président Jorge Battle en octobre 2000 – comme un point final, et de l’autre les parents des disparus, morts ou torturés qui reconnaissent certains aspects positifs du rapport, porté à leur connaissance le 10 avril, tout en considérant cela comme insuffisant.

Selon le président Battle « nous sommes arrivés à connaître la vérité sur une période sinistre » et « à partir de maintenant, nous sommes en condition pour construire un grand pays ». Un autre point de vue, celui du député Zelmar Michelini – fils du sénateur du même nom assassiné en 1976, en Argentine – qui dit que « le rapport manque de tout, mais surtout de sérieux ».

La Commission pour la paix a admis que son travail a été insuffisant. Le groupe de travail s’est heurté à la réticence des forces armées et de la police à délivrer des informations. L’unique apport provenant de sources militaires et policières s’est limité à ce qu’ont déclaré quelques officiels de leur propre initiative. En n’ayant ni pouvoirs coercitifs ni judiciaires, la Commission pour la paix s’est bornée à les écouter et on a seulement inclus dans le rapport final la « version » des faits que les violateurs des droits de l’homme furent disposés à donner.

« On ne doit pas confondre version et vérité », signale la Commission pour la paix, précisant que le seul but était d’établir « la vérité possible ».

La Commission pour la paix indique qu’« elle ne peut ni ne doit confirmer cette information et se limite à la transmettre en termes généraux, soulignant que les Uruguayens méritent, à ce stade, une explication plus claire et convaincante sur le sort des dépouilles », faisant référence aux corps des disparus.

La réaction des forces armées face au rapport ne fut pas une surprise. Le 18 mai, le chef de l’armée, le général Carlos Daners, a soutenu que « l’armée n’a jamais porté atteinte à la patrie », et a réaffirmé que les militaires « ne se soumettraient pas à la justice civile ». Déjà, l’année précédente, Daners avait fait connaître sa position. « L’armée ne va demander pardon pour aucun de ses actes. De plus, il n’y a plus aucun renseignement à apporter, il n’existe aucune tombe de disparus », a-t-il dit finalement.

Le document de 66 pages fut le produit de 30 mois de travail de la Commission pour la paix, auxquels participèrent des représentants du pouvoir exécutif, du parti « Blanco », du « Frente Amplio », du Service de paix et justice (SERPAJ) et de la Centrale des travailleurs PIT-CNT (Plénière intersyndicale des travailleurs-Convention nationale des travailleurs).

Le rapport ne parle à aucun moment du terrorisme d’État bien qu’il décrive des faits commis par des agents de l’État, ni ne signale par son nom le Plan Cóndor, la coordination répressive des dictatures du Cône Sud [1] des décennies 70 et 80, même s’il ne peut pas éluder quelques références. La Commission pour la paix a confirmé qu’en Argentine ont disparu 158 Uruguayens, au Chili 10, au Brésil 1, au Paraguay 2, et en Colombie, qui ne fait pas partie du triangle, 1.

Parmi les faits les plus aberrants, il faut insister sur l’élimination des cadavres des victimes. Les dépouilles de 25 personnes considérées comme disparues durant les années de la dictature, selon le rapport, « ont été exhumées » en décembre 1984 – 3 mois avant l’ascension de Julio Maria Sanguinetti (1985-90 et 1995-2000), le premier président constitutionnel après la dictature -, et brûlées « dans des fours de fabrication non professionnelle, alimentés par divers combustibles, et finalement dispersées dans le Rio de la Plata ».

La Commission pour la paix revient aussi sur les antécédents des personnes assassinées, et affirme que la majorité d’entre elles ne faisaient pas partie d’organisations armées. « La date de leur mort s’est vérifiée après que la guérilla (du Mouvement de libération nationale-Tupamaros) ait été mise en déroute (en 1973) et quand ses membres furent arrêtés », affirme-t-elle.

Face à cette version, l’Association des mères et parents des Uruguayens détenus-disparus soutient que le refus des gouvernements civils postérieurs à la dictature de permettre l’accès aux casernes pour faire des recherches sur les dénonciations « apparaît aujourd’hui comme un acte de complicité sans circonstance atténuante ».

Parmi les apports du rapport est « l’intime conviction que les violations des droits humains, que la torture et la détention illégitime dans des centres clandestins jusqu’aux cas les plus graves de disparitions », ont été exécutés par des agents de l’État qui agirent en marge de la loi et avec des méthodes répressives elles aussi illégales.

De même, le rapport suggère au pouvoir exécutif de reconnaître la catégorie légale « d’absence pour disparition forcée ». L’appel à cette catégorie permettrait, grâce à un mécanisme sommaire admettant comme preuve suffisante les conclusions de la Commission pour la paix, aux familles des victimes de surmonter les obstacles en matière civile et de droits de succession.

D’autres recommandations incluent un hommage à la mémoire des victimes, l’étude critique de la période de la dictature dans les écoles primaires et secondaires, l’incorporation à la législation pénale des catégories de torture, génocide et disparition forcée, ainsi qu’une réparation faite aux parents des victimes.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2662.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 15 juillet 2003.

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[1Nom donné aux pays méridionaux de l’Amérique du Sud qui forment un triangle allongé : Argentine, Chili, Uruguay, Paraguay et parfois, par extension, le Brésil y est inclus en raison de sa partie sud.

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