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DIAL 2648
BRÉSIL - L’histoire d’un procès interminable. Deux propriétaires ruraux face à la justice pour l’assassinat du syndicaliste Joáo Canuto
Frère Henri Burin des Roziers et Luzia Canuto de Oliveira Pereira
lundi 16 juin 2003, mis en ligne par
Dial informe régulièrement ses lecteurs sur l’impunité dont jouissent de grands propriétaires ruraux pour des assassinats de petits paysans. Le syndicaliste João Canuto, ancien maire de Rio Maria, est une des victimes dont nous avons souvent parlé. Le meurtre a eu lieu dans l’État du Pará le 18 décembre 1985. Le jugement vient seulement d’avoir lieu, mais les deux commanditaires reconnus coupables ont été laissés en liberté... Nous publions à ce sujet trois communiqués provenant du Frère Henri Burin des Roziers pour la Commission pastorale de la terre et de Luzia Canuto de Oliveira Pereira pour le Comité Rio Maria, qui donnent les éléments essentiels de cette histoire de l’injustice.
Un procès trop longtemps attendu
João Canuto de Oliveira, père de 6 enfants d’âge mineur, membre des Communautés ecclésiales de base, militant du Parti communiste du Brésil, a été le premier président du syndicat des paysans de Rio Maria. Il a été assassiné de 18 coups de feu par deux tueurs à gage quand il revenait du syndicat, le 18 décembre 1985. Son assassinat a été articulé par un groupe de grands propriétaires ruraux de la région parmi lesquels les accusés Adilson Carvalho Laranjeira, ex-maire de Rio Maria, et Vantuir Gonçalvez de Paula, lesquels vont être jugés à Belém, les 22 et 23 mai prochains [1].
L’enquête de la police a duré huit ans (86-93), le ministère public a mis trois ans pour demander qu’ils soient poursuivis en justice (93-95) et le juge n’a commencé à instruire le procès qu’en 1997, lorsque la Commission interaméricaine de droits de l’homme de l’Organisation des états américains (OEA) a menacé de condamner le gouvernement brésilien pour l’excessive lenteur de l’enquête et de la marche du procès, condamnation qui, de fait, a eu lieu en 1999. La décision du jugement par le Tribunal de jury n’a été prise que le 17 mai 2001 et la désignation de la juridiction compétente, la capitale Belém, le 25 février 2002.
Tout ceci a été possible grâce à la pression de la société civile, nationale et internationale, articulée par le Comité Rio Maria dont Luzia Canuto, fille de João Canuto, est la présidente. Le Comité a surmonté, tout au long de ces 18 ans, en dépit des menaces et des persécutions, les nombreux obstacles mis pour entraver la marche du procès. Cela a été possible grâce également au courage de nombreux témoins, à la compétence et au dévouement des avocats du Réseau d’appui de São Paulo, Brasília, Belém et sud du Pará et aussi grâce au travail de quelques procureurs et juges réellement au service de la justice.
Il est important de rappeler l’histoire de la famille Canuto. En avril 1990 trois fils de João Canuto ont été séquestrés : José et Paulo ont été tués. Orlando, grièvement blessé, a réussi à s’échapper ; par la suite Orlando a été président du syndicat, en 2000 il a été élu conseiller municipal de Rio Maria et en 2002 président du Conseil municipal. Le successeur de João Canuto comme président du syndicat, Expedito Ribeiro de Souza, a été assassiné le 2 février 1991 et le successeur d’Expedito, Carlos Cabral Pereira, gendre de João Canuto, blessé le mois suivant. Le directeur du syndicat, Braz de Oliveira, a aussi été assassiné en 1990.
Dans le sud du Pará, de 1980 jusqu’à aujourd’hui, ont été assassinés plus de 400 travailleurs ruraux par ordre des propriétaires ruraux en raison de conflits de terre. Mais un seul propriétaire rural, Jerônimo Alves de Amorim, a été jugé et condamné, le 06 juin 2000, à dix neuf ans et demie de prison comme commanditaire de l’assassinat du syndicaliste Expedito Ribeiro de Souza, et malgré cela il accomplit sa peine en traitement domiciliaire, pour raison de santé, dans sa luxueuse résidence, avec tous les privilèges possibles. Dans le cas du massacre d’Eldorado do Carajás, le 17 avril 96, au cours duquel ont été assassinés 19 paysans sans terre et blessés 64, seulement 2 officiers, sur les 154 policiers militaires accusés, ont été condamnés lors du dernier jury de 2001 et malgré cela ils continuent en liberté [2] !
Tout ceci montre clairement l’importance de ce nouveau jugement. (...)
Xinguara, 8 avril 2003
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Une victoire... partiale
Les deux commanditaires de l’assassinat de João Canuto de Oliveira, ancien maire de Rio Maria, Adilson Laranjeira, et le propriétaire terrien Vantuir de Paula, ont été condamnés par unanimité par le Tribunal de jury populaire de Belèm, le 23 mai 2003, à 19 ans et 10 mois de réclusion. Mais ils sont sortis libres, avec le droit de recourir en liberté contre la décision ! La salle du jury était comble lorsque le juge Roberto Moura, président du Conseil de sentence, formé de 7 jurés, a proclamé la décision. Ce fut une explosion de joie ! La foule, à l’intérieur du tribunal comme à l’extérieur, criait, pleurait, chantait, dansait, embrassant Madame Géraldina, veuve de João Canuto, et ses enfants. Il y avait là 500 paysans et représentants des organisations populaires du sud de l’État du Pará et d’autres régions, campant depuis deux jours devant le Palais de justice. Étaient présents également les autorités fédérales : secrétaire des droits de l’homme du gouvernement fédéral, procureur fédéral des droits du citoyen, président de la chambre des députés, parlementaires de l’État et fédéraux ; artistes de renommée nationale de l’organisation « Droits humains » ; observateurs internationaux d’Amnesty International, de la Fédération internationale des droits de l’homme, de l’Ordre des avocats des Hauts de Seine, de la Fédération internationale des Chrétiens contre la torture ; président national de la Commission pastorale de la terre ; supérieurs des Dominicains et Dominicaines du Brésil.
C’EST UNE VICTOIRE ! MAIS C’EST UNE VICTOIRE LIMITÉE, INCOMPLÈTE, PRÉOCCUPANTE, DANGEREUSE !
Les deux criminels condamnés sont sortis libres et resteront en liberté jusqu’à ce que leur recours contre la décision de condamnation soit jugé. Cela peut durer des années et les condamnés et leurs comparses ne vont pas rester inactifs. (...)
Xinguara, 26 mai 2003
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Une victoire préoccupante
Le Comité Rio Maria et la Commission pastorale de la terre du sud du Pará manifestent leur préoccupation à propos de la décision du juge Roberto Moura président du jury qui a condamné à Belém le 23 mai 2003, les deux commanditaires de l’assassinat de João Canuto, de les laisser en liberté jusqu’à ce que leur recours contre cette décision soit jugé. Cette préoccupation est partagée par la famille de João Canuto, par les milliers de personnes, de représentants d’organisations des droits humains, d’organisations sociales, principalement rurales qui ont accompagné directement ou indirectement ce jugement.
Bien qu’ils aient été condamnés à l’unanimité à 19 ans et 10 mois de réclusion, l’ancien maire de Rio Maria, Adilson Laranjeira et le propriétaire terrien Vantuir de Paula, sont sortis libres du Palais de justice et resteront probablement libres de nombreuses années ! Le juge a fondé sa décision sur le fait que les deux condamnés étaient délinquants primaires. Mais il aurait pu décréter la prison immédiate car la condamnation, à l’unanimité, avait été accompagnée de circonstances aggravantes et les témoins ainsi que d’autres personnes courent de toute évidence des risques de menaces et de mort. L’un des témoins a d’ailleurs été menacé par un parent d’un condamné à la sortie du tribunal. Malheureusement le juge Roberto n’a pas décrété la prison immédiate.
Ce recours ou ces recours peuvent durer des années avant d’être jugés. Les deux officiers de la PM, condamnés en mai 2002 à Belèm à respectivement 255 et 144 années de prison pour l’assassinat de 19 paysans sans terre à Eldorado do Carajás, dans le même État du Pará, restent en liberté par décision du même juge Roberto Moura. Après plus d’un an, le premier recours de ces officiers devant le Tribunal de justice du Pará n’est toujours pas jugé. L’avocat des deux condamnés de l’assassinat de João Canuto a déjà déclaré à la presse que les recours qu’il allait faire allaient durer plus de cinq ans, avant d’être jugés !
Pendant tout ce temps il est évident que les deux condamnés et leurs complices, puissants et violents, ne vont pas rester inactifs. Ils vont tenter de faire taire d’une manière ou d’une autre la voix de ceux qui luttèrent et continuent à lutter pour la justice dans la région et pour que ce jugement et cette condamnation se réalise : témoins, membres de la famille Canuto, du Comité Rio Maria, de la Commission pastorale de la terre, du Syndicat des travailleurs ruraux. Pendant tout ce temps ils prépareront leur fuite pour le cas où la décision serait confirmée. Il est significatif de rappeler que des cinq condamnés ou emprisonnés pour les assassinats des syndicalistes de Rio Maria, quatre ont déjà réussi à s’enfuir : le sergent de la PM Edson Matos, Ubiratan Ubirajará, José Serafim Sales et le fazendeiro Jerônimo Alves de Amorim, lequel a par la suite été repris.
C’est pourquoi il est fondamental que les organisations nationales et internationales fassent pression de toute urgence sur les autorités judiciaires comme également le gouvernement fédéral pour que toutes les mesures possibles soient prises pour que le recours des condamnés soit jugé de toute urgence. Si les condamnés ne sont pas emprisonnés rapidement, ce jugement et cette condamnation seront une farce, une impunité camouflée qui déconsidérera encore plus la justice du Pará aux yeux du peuple.
La lutte continue ! Manifestez votre préoccupation à la présidente du Tribunal de justice du Pará, au ministre de la justice, au secrétaire des droits humains du gouvernement. Exigez que soient jugés de toute urgence les recours contre la décision de condamnation, au nom de la vie de tous ceux qui luttent dans cette région pour que justice soit faite dans le cas João Canuto et de tant d’autres à Rio Maria et dans le sud du Pará.
Xinguara, 2 juin 2003
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2648.
– Traduction Dial.
– Source : portugais.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.