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DIAL 2646

MEXIQUE - Le droit à la terre et les obligations de l’État. “La terre appartient à celui qui la travaille” (Emiliano Zapata)

dimanche 1er juin 2003, par Dial

La terre reste un problème majeur en Amérique latine. L’article ci-dessous permet de mieux comprendre les différents enjeux du « territoire », qui n’est pas exclusivement économique mais aussi culturel. Les diverses obligations de l’État concernant le droit à la terre sont liées aux traités internationaux. Article paru dans le bulletin hebdomadaire (7 avril 2003) du Centre Prodh (Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juarez, Mexique.


Pour les peuples indiens, la concrétisation de leurs droits humains est étroitement liée à la réalisation d’un droit jugé indissociable de leur culture et de leur identité : le droit à la terre, prise au sens large du terme, c’est-à-dire au sens du territoire. Ce droit est garanti par la Convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du travail), art. 14, qui stipule que les gouvernements ont pour obligation de reconnaître aux peuples intéressés leurs droits de propriété et de possession sur les terres qu’ils occupent depuis toujours, ainsi que d’instaurer les procédures appropriées pour répondre à leurs revendications territoriales.

Le droit à la terre est également évoqué, bien que d’une manière moins directe, dans d’autres instruments juridiques internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 25) ou le Pacte interaméricain des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) (art. 11), dans lesquels est reconnu le droit de toute personne à un niveau de vie décent qui lui assure, comme à toute sa famille, la santé et le bien-être, notamment de quoi se nourrir et se vêtir, un logement et une aide médicale. D’autre part, il est dit dans le PIDESC que, reconnaissant « le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim », les États parties au présent Pacte doivent adopter les mesures nécessaires « pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d’éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles ».

Pour les gens du monde rural, et en particulier pour les personnes qui appartiennent à un peuple indien, la seule façon d’atteindre un niveau de vie décent et en accord avec leur culture est d’avoir accès à la terre et aux moyens nécessaires pour la rendre productive. Il ne faut pas oublier que, au Mexique, la faim et la pauvreté dans les campagnes sont imputables, dans une grande mesure, au manque de terres et à l’absence de politiques qui favorisent la production agricole.

L’importance du droit à la terre ne réside pas uniquement dans l’utilité de cette ressource en tant que moyen de subsistance de base - source d’aliments, de richesses, de plantes médicinales, etc. - et en tant qu’espace de vie concret ; la terre au sens de territoire remplit en outre une fonction symbolique et affective fondamentale qui est celle de l’espace où s’inscrivent l’histoire et la mémoire collectives des paysans ; c’est le lieu où ont vécu leurs ancêtres ; c’est le référentiel de leurs valeurs premières, un lieu sacré, le siège de leurs liens affectifs ; en résumé, c’est l’espace où s’inscrivent leur culture et, par conséquent, leur identité.

Le rapport que les paysans entretiennent avec leurs terres ne se construit pas individuellement, mais collectivement ; autrement dit, la propriété et la possession du territoire ne reviennent pas à des individus, mais aux membres d’un peuple ou d’une communauté. Qui plus est, les notions de « propriété » et de « possession », telles qu’elles s’inscrivent dans la culture nationale, n’ont aucun sens pour les peuples indiens étant donné que la terre en tant que « mère » ou « être vivant » ne peut appartenir à personne.

La méconnaissance ou la sous-estimation de la signification que la terre revêt pour les paysans et les indigènes fait que, aujourd’hui, beaucoup d’États dans le monde rechignent à inscrire dans la constitution les droits de possession et de propriété que ces populations possèdent sur leurs territoires, et se déchargent des obligations qu’ils détiennent en tant que responsables de la réalisation du droit à la terre.
Comme tout autre droit humain, le droit à la terre implique pour l’État trois types d’obligations : respect, protection et garantie.

L’obligation de respect du droit à la terre signifie que l’État ne peut prendre aucune mesure qui ait une incidence sur les terres où les paysans et les indigènes vivent, sèment et se reproduisent, sur le plan social, économique et culturel. L’État se soustrait à cette obligation lorsque, par des décrets d’expropriation, il dépouille les paysans de leurs terres, sans les consulter et sans qu’ils puissent obtenir réparation du dommage. En général, les expropriations sont justifiées par des raisons dites d’ « intérêt national ». Le problème est que, dans les pays où la démocratie est limitée, l’ « intérêt national » se confond avec l’intérêt des élites économiques et politiques, de sorte que les peuples directement touchés sont également ceux qui en profitent le moins. C’est ce qui s’est passé avec les communautés indigènes du Chiapas, que l’on a expulsées dans le passé de leurs territoires pour construire des barrages qui permettent aujourd’hui d’éclairer les grandes métropoles du pays, alors que les villageois du Chiapas n’ont pas encore tous l’électricité chez eux.

L’ « intérêt national » est habituellement lié à ce que l’on appelle développement économique. Le problème est qu’il obéit à une vision étroite du développement. En d’autres termes, il ne prend pas en considération la vision globale du monde des différentes cultures dans leur globalité, quand il ne stigmatise pas les formes traditionnelles d’agriculture et de gestion des ressources.

L’expropriation n’est pas la seule illustration du manquement de l’État à son obligation de respect. Très souvent, le droit à la terre est bafoué sous la forme d’un « déplacement » ou d’une « réinstallation forcée » de communautés entières, actes eux aussi souvent justifiés par des motifs écologiques. Prenons l’exemple des communautés zapatistes de la Réserve de Montes Azules qui, depuis des mois, vivent sous la menace d’être délogées de leurs terres parce qu’elles se trouvent dans une zone protégée. Il est à noter que, selon l’association Global Exchange, « les dommages écologiques engendrés par ces communautés sont minimes, notamment en comparaison des dommages extensifs provoqués par les routes, les éleveurs, les forestiers, les bases militaires et autres usages commerciaux de la terre ». De même, il est préoccupant que les communautés qui ont « accepté » l’an passé d’être réinstallées sur d’autres terres demeurent encore aujourd’hui dans une réserve en attendant la concrétisation des promesses gouvernementales.

En résumé, l’État manque à son obligation de respect quand, sans consulter les communautés intéressées et sans épuiser toutes les autres formes de développement, il se fait l’initiateur d’ouvrages d’« intérêt national » - barrages, routes, aéroports, parcs d’attractions, complexes touristiques de luxe, etc. -, lorsqu’il encourage ou permet l’extraction de richesses naturelles - bois, pétrole, gaz naturel, minéraux - sur les territoires indigènes, ou qu’il favorise toute action risquant de faire du tort aux territoires indigènes. Il faut se rappeler que, pour une communauté indigène, la confiscation ou la perte de son territoire constitue non seulement une réduction de ses moyens de subsistance, mais aussi une atteinte à son histoire, sa culture et son identité.

L’obligation de protection engage l’État à préserver en toute circonstance le droit à la terre des paysans face à des tiers. Autrement dit, l’État est celui qui doit empêcher, coûte que coûte, que des particuliers s’attaquent aux territoires que possèdent les peuples indigènes. Paradoxalement, c’est également lui qui accorde des concessions ou qui autorise des particuliers à exploiter les ressources naturelles qu’abritent les territoires indigènes, se transformant ainsi, « par action ou par omission », en violateur des droits humains. Par exemple, dans la communauté de Jaleaca, dans l’État de Guerrero, les autorités municipales et de l’État, ainsi que la PROFEPA (Bureau du procureur fédéral de protection de l’environnement), permettent que des caciques locaux exploitent la forêt au détriment de l’environnement et sans l’accord de la majorité des paysans de la localité, lesquels réclament la propriété des richesses naturelles et exigent une participation aux bénéfices économiques de leur exploitation. De la même manière, en 1998, la délégation de la SEMARNAT (Secrétariat de l’environnement et des ressources naturelles) à Chihuahua a délivré un permis à des particuliers pour l’exploitation d’une forêt située en territoire indigène tarahumara, en passant outre aux droits ancestraux que le peuple rarámuri détient sur ces terres, et au mépris du droit qu’il avait d’être consulté.

Enfin, l’État a l’obligation de garantir le droit à la terre à tous ceux qui en dépendent pour se reproduire. Cela signifie que, lorsque les paysans n’ont pas les ressources suffisantes pour semer et, au moins, pour s’alimenter, l’État doit chercher des moyens de leur fournir de la terre, avec les ressources nécessaires pour qu’elle puisse produire. En ce sens, la réforme agraire devient une obligation au regard des droits humains, parce que ce n’est qu’avec une répartition équitable de la terre et l’élaboration d’une politique agricole viable que peuvent être garantis les droits humains des paysans, notamment le droit à l’alimentation.
Dans un pays comme le Mexique, où la population rurale enregistre les taux de pauvreté et de sous-alimentation les plus élevés, et où la pénurie de terres représente une des causes les plus directes de la faim et de la pauvreté, l’État ne peut faire abstraction des obligations qui découlent du droit de chacun à la terre. Refuser l’accès à la terre aux paysans et indigènes ajoute à leur exclusion sociale, aggrave leur pauvreté et conduit à la destruction de leur identité et de leur culture. C’est aussi empêcher les habitants des campagnes de satisfaire à leurs autres droits fondamentaux.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2646.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Bulletin Hebdomadaire du Centre Prodh (Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juarez (Mexique), 7 avril 2003.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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