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DIAL 2636

AMÉRIQUE LATINE - Qui paye la dette écologique ?

Barbara Fraser

mercredi 16 avril 2003, mis en ligne par Dial

Selon les défenseurs de l’environnement, le montant dû par les pays industrialisés aux pays latino-américains pour dommages causés à l’environnement et pour l’usage des ressources naturelles font plus que compenser la dette extérieure que leur doit la région. Dans ce bref article paru dans Noticias Aliadas du 4 novembre 2002, Barbara Fraser présente les justifications avancées pour légitimer l’idée d’une dette écologique.


Face à la contamination de l’environnement causée par des éboulements de mines et par les écoulements de pétrole dans la nature, les défenseurs de l’environnement de toute la région promeuvent des solutions consistant à faire un échange entre « dette et nature ». Ils disent que les pays industrialisés ont une dette écologique envers ces mêmes pays qui supportent le poids des énormes dettes extérieures. En effet, disent-ils, le montant dû aux pays latino-américains pour dommages causés à l’environnement et pour l’usage des ressources naturelles font plus que compenser la dette extérieure de la région. Bien que les comptes n’existent dans aucun livre d’aucune entreprise ou nation, les auteurs de cette proposition disent qu’on devrait les y trouver, car on montrerait ainsi que la détérioration environnementale a un coût réel.

L’idée d’une dette écologique est liée au débat croissant sur « qui doit payer le passif » en matière d’environnement, tels les détritus abandonnés quand on ferme une mine ou quand une compagnie est en faillite, tel le pétrole déversé dans les forêts tropicales pendant les opérations d’extraction. Le phénomène s’étend aussi à l’émission de gaz à effets de serre, à la destruction des forêts tropicales, aux déversements de pétrole, aux ressources biologiques qui pourraient avoir une valeur médicinale.

La litanie des désastres environnementaux en Amérique latine inclut des cas comme celui qui s’est produit en Guyane en 1995, quand des avaries dans une digue de retenue de la mine d’or OMAI, de la société canadienne Cambior Inc., ont causé une fuite de cyanure dans la rivière Omai, tuant les poissons qui faisaient intégralement partie de la nourriture de la population indigène locale. Un fait semblable en Bolivie a empoisonné en 1991 le fleuve Pilcomayo.

En Équateur, des groupes indigènes luttent pour poursuivre un procès contre Texaco [1] devant les tribunaux des États-Unis. Dans cette affaire, un échec a été subi par les plaignants au début du mois d’août lorsque fut rejeté l’appel qu’ils avaient fait. Ceux-ci recherchent une indemnisation pour les milliers de millions de litres de pétrole et d’eaux usées répandus dans la forêt.

La coupe illégale et la déforestation ont un coût en raison de la perte de diversité biologique perdue et de la moindre capacité pour les forêts tropicales à absorber des gaz à effets de serre. Et la bioprospection - que les critiques appellent « biopiraterie » - peut être la source de profits pour des entreprises pharmaceutiques étrangères qui ne donnent pas de compensation aux communautés indigènes pour le partage de leurs connaissances des plantes médicinales [2]. Il est difficile de mettre un prix sur une telle détérioration. « Comment pourrions-nous fixer un prix à la vie, aux cultures, à une langue qui a disparu, à toute une série de choses auxquelles simplement on ne peut pas donner de prix ? » dit Yvonne Yánez du bureau de Oilwatch International à Quito, Équateur.
Toutefois, les économistes disent que la tâche n’est pas impossible. « 

On ne peut pas chiffrer exactement les dettes écologiques, mais cela ne signifie pas que ces estimations ne peuvent pas exister » , dit l’espagnol Joan Martínez, professeur de l’Université autonome de Barcelone. Par exemple, récolter, pour dommages à l’environnement, 1,5 dollar le baril sur les 1,5 milliard de barils de pétrole que Texaco et le gouvernement équatorien ont extrait au cours des deux décennies, représenterait un montant équivalent à la dette extérieure du pays, de 11 milliards dollars.

Au Brésil, des chercheurs ont estimé que 100 ha de forêts fournissent des services en matière d’environnement pour une valeur de 28 000 dollars chacun, dit Martínez : 15 000 dollars pour l’absorption de dioxyde de carbone, 8 000 pour la diversité biologique et 5 000 pour leur contribution à d’autres processus, tel le cycle hydrologique de pluie et d’évaporation. En comparaison, l’élevage fait un usage pauvre des ressources naturelles. Comme le sol des forêts tropicales est pauvre en substances nutritives, la coupe de ces forêts donne lieu à des pâturages qui ne peuvent nourrir approximativement qu’une tête de bovin par hectare.

Comme pour la dette extérieure, dit Martínez, il y a aussi une dette écologique publique et privée. Selon son opinion, la dette privée est celle qui est accumulée par les entreprises en raison des dommages consécutifs à des activités telles que les mines, l’extraction pétrolière ou la taille des forêts.

La dette publique relèverait de notre responsabilité comme consommateur, par exemple en raison de la consommation de crevettes d’élevage qui détruisent les mangroves, et de la consommation de l’or en raison de ce qui peut se produire dans les mines d’or, dit-il. La dette due à l’augmentation de l’effet de serre est une dette des citoyens qui ont dépassé le quota que nous aurions dû respecter dans la production de dioxyde de carbone.

Ce concept a commencé de figurer dans les politiques publiques. Déjà, à la fin des années 70, le Costa Rica expérimentait, avec des mesures incitatives, un usage plus durable des forêts. En premier lieu, il y eut une déduction de taxes pour les entreprises et les grands propriétaires terriens qui reboiseraient leurs propriétés. Vint ensuite une incitation directe versée aux petits agriculteurs pour la reforestation.

Actuellement, les propriétaires peuvent recevoir une compensation pour les « services » que rendent leurs forêts : réduire les émissions de gaz à effets de serre et protéger l’eau et la diversité biologique ainsi que les écosystèmes dans des buts touristiques et scientifiques. Un tiers des impôts sur les combustibles fossiles va aux propriétaires de forêts qui peuvent l’investir en reforestation et gestion ou en protection des forêts. L’impôt est une manière de s’assurer que le pollueur aide à payer les dégâts.

Quelques militants de l’environnement sont préoccupés par le fait que « la dette écologique » soit simplement un mot nouveau pour un vieux problème. « Notre véritable problème avec les "passifs" en matière d’écologie n’est pas abordé : c’est le fait que le gouvernement ne prendra pas de mesures contre eux » dit Tomás Grados, du Comité de défense environnementale et de développement durable de San Mateo, Pérou, à quelque 100 km à l’est de Lima, qui vient lutter contre les effets des infiltrations de déchets miniers.

Mais Yánez dit que le concept de dette écologique aide à conscientiser sur les coûts du développement et sert comme outil politique pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils changent de politique, par exemple en développant des sources alternatives d’énergie qui réduisent la dépendance des combustibles fossiles, lesquels s’ajoutent à la dette écologique tant lorsqu’ils sont extraits du sol que lorsqu’ils sont brûlés.

« Cela implique un changement de mentalité radical, un changement de paradigmes, dit-il, mais nous les écologistes avons cet avantage d’être optimistes. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2636.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas du 4 novembre 2002.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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[1Grand groupe pétrolier.

[2Cf. Dial D 2487, 2444, 2419, 2303, 2136, 2045.

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