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DIAL 2557

AMÉRIQUE LATINE - Racisme et discrimination, hontes de l’humanité

Rigoberta Menchú

jeudi 16 mai 2002, par Dial

Rigoberta Menchu, guatémaltèque, prix Nobel de la Paix et ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO, a rédigé le texte suivant à l’occasion de la journée internationale de l’élimination de la discrimination et du racisme. Texte daté du 21 mars 2001, diffusé dans REDH (Red Solidaria por los Derechos Humanos) le 9 avril 2002 (Uruguay).


En parlant dans différents pays avec de nombreuses personnes, j’ai constaté que, en ces jours funestes, la lecture des informations dans la presse quotidienne, éveille chez la plupart d’entre nous de pénibles sentiments ; il est rare d’y trouver un encouragement à développer l’estime de soi, l’enthousiasme et la joie. Le plus courant parmi ces amers sentiments, outre ceux d’indignation et d’impuissance, est probablement la honte. Pour conserver vive l’espérance et accroître l’esprit de solidarité, il faut avoir recours à la force de conviction dans le triomphe, au bout du compte, des valeurs de l’humanité face à la domination du commerce, de l’argent et de la guerre.

C’est de la honte que l’on ressent lorsqu’on lit dans les pages des quotidiens l’information selon laquelle l’ONU se prépare à célébrer la journée internationale de l’élimination de la discrimination et du racisme alors que dans la plus totale indifférence on laisse de nombreux États commettre les pires atrocités contre de nombreux peuples. On a honte, par exemple, d’être le témoin de la tolérance internationale face au génocide que, aux yeux du monde, le gouvernement d’Israël est en train de perpétrer à l’encontre du peuple palestinien. On a honte de prendre acte du racisme et de la discrimination que dissimulent les arguments par lesquels le gouvernement dirigé par Ariel Sharon prétend justifier ces nouveaux crimes de lèse-humanité. Des crimes qui sont à leur tour utilisés comme prétexte par le fanatisme terroriste qui assassine de manière sanguinaire des civils israéliens.

Lorsque le gouvernement de Tel Aviv parle effrontément d’occupation, d’expropriation ou d’expulsion à propos des territoires qui appartiennent au peuple palestinien, je ne peux m’empêcher de penser aux pratiques de spoliation, de confiscation et d’usurpation que tout au long de ces derniers cinq cents ans nous avons subies, nous peuples indigènes, dans nos terres, nos territoires et nos ressources.

Bien que la lutte contre le racisme et la discrimination constitue une des questions prioritairement examinée dans le cadre de l’organisation internationale depuis la création des Nations unies, ce phénomène reste dans le nouveau millénaire une insulte à la dignité humaine. Le racisme, ce problème historique outrageant qui s’enracine profondément dans le colonialisme et la réduction en esclavage de populations entières, reste vivant et actif dans le monde d’aujourd’hui. Le racisme et la discrimination raciale constituent une tragédie source de violence contre de nombreux peuples où que nous nous trouvions, que ce soit dans des pays du tiers monde ou dans les pays dits développés.

Malgré et à l’encontre des trois conférences mondiales contre le racisme, les décennies internationales décrétées par l’ONU, ainsi que l’approbation et la ratification de Conventions internationales portant sur ce sujet, nous nous retrouvons en cette année 2002 confrontés à une réalité historique persistante et toujours en vigueur, une réalité qui, loin de disparaître, croît et se répand dans diverses régions du monde.

Cependant la constatation de ces faits n’annule pas l’importance de ces événements et des accords mondiaux. Le fait de décréter une journée internationale pour l’élimination du racisme et de la discrimination raciale est un motif de satisfaction car cela fait partie d’un processus auquel nous devons prendre part activement, nous tous qui voulons contribuer à la construction d’un monde interculturel, dans lequel prévaudront l’acceptation de l’autre et le respect mutuel, et où la diversité sera reconnue comme un don pour la coexistence et la prospérité des peuples. Il ne faut pour autant pas cesser de dénoncer ces hontes pour l’humanité et persévérer dans la lutte. Nous, peuples indigènes, qui avec d’autres peuples avons été les principales victimes de la discrimination et du racisme, nous connaissons parfaitement ses causes et ses effets. Le mépris, la haine raciale et la prétention à une absurde supériorité ethnique et culturelle sont les manifestations des défauts et complexes du colonialisme qui persistent encore dans les pays où nous vivons.

C’est pour cela que dans l’expression de notre dénonciation et dans l’exposé de nos revendications, nous, peuples indigènes, savons de quoi nous parlons. Et nous savons aussi que nous avons un rôle à jouer et une responsabilité dans la construction de sociétés qui assument leur diversité ethnique et culturelle comme source de force, non de complexes. Notre mission, conjointement à celle d’autres peuples originaires, est d’apporter à l’humanité dans son ensemble, une contribution effective, issue de la cosmovision qui se fonde sur notre existence millénaire. Cela fait partie de nos rêves, de l’utopie à laquelle nous nous raccrochons par delà ces temps de honte et d’indignité.

Je suis convaincue que le point de départ du processus de construction de ce monde interculturel réside précisément dans la reconnaissance du fait que le racisme contre nos peuples n’est pas seulement un phénomène historique qui appartient au passé mais un processus qui se poursuit, réel et actuel. Les manifestations quotidiennes de racisme et de discrimination impliquent les limitations et les distorsions faites à l’encontre de nos droits humains, y compris le droit à la vie. Les actes de génocide, ethnocide et écocide sont dans la plupart des cas les expressions extrêmes du racisme.

Ces crimes se manifestent aussi dans le déni de nos droits ancestraux sur nos terres, territoires et ressources. Comme je l’ai indiqué au début de ces lignes, cela inclut les pratiques d’occupation, d’expropriation, de confiscation, usurpation et de domination de nos terres, territoires et ressources. Comme aujourd’hui le prouve l’agression que subit le peuple palestinien, les déplacements forcés et la reinstallation hors des territoires de leurs ancêtres qui leur appartiennent, constituent d’évidentes démonstrations de l’arrogance, du racisme et de la discrimination. Malgré tous les traités et toutes les conventions internationales, on continue à nier le droit des peuples à leur libre détermination.

L’intolérance à l’égard de nos pratiques culturelles et spirituelles et à l’égard des formes de vie traditionnelles parmi nos peuples de même que les atteintes à notre patrimoine culturel et intellectuel, dont font partie les lieux sacrés et ceux chargés d’histoire, sont des modalités ouvertement discriminatoires. Il en va de même en ce qui concerne les politiques d’assimilation, basées sur les prétentions de supériorité d’un groupe ou d’une culture sur une autre, sans parler des pratiques d’exclusion et de marginalisation qui sont mises en œuvre dans beaucoup de pays du dit premier monde.

C’est ainsi que je me suis exprimée, avec clarté et fermeté, devant les chefs d’Etat et chanceliers présents en Afrique du Sud lors de la 3ème Conférence mondiale contre le racisme. J’ai rappelé à cette occasion qu’entre la première et la deuxième Conférence contre le racisme on commettait dans mon pays, le Guatemala, ce qui a été qualifié par la Commission Vérité avalisée par l’ONU, de GENOCIDE, génocide dont je suis une survivante. 83 % des deux cent mille victimes ont été des indigènes mayas, comme ma mère, mon père et mes frères. Avec des milliers de frères indigènes je continue à chercher la fosse commune ou le cimetière clandestin où pourraient se trouver les restes de nos êtres aimés. A ce jour, aucun tribunal au monde n’a eu le courage d’assumer les poursuites pénales, le jugement et le châtiment de ces crimes contre l’humanité.

Du fond du cœur j’ai déclaré dans ce forum mondial que le sang de nos morts, la douleur de notre histoire, la faim de nos enfants sont des vérités insupportables, des cris qui donnent leur force à nos arguments.

Les peuples indigènes, les peuples originaires, les discriminés et les méprisés par le racisme, nous n’avons pas besoin pour être ce que nous sommes de la reconnaissance des États ; nous survivons malgré eux. Mais s’ils veulent construire des sociétés libres, démocratiques et justes, ils ne peuvent pas se passer de nous.

J’espère pour le bien de l’humanité dans l’avenir, que la célébration de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination et du racisme aidera à la réflexion ceux qui contrôlent et dirigent les États et les organismes internationaux. Souhaitons que, grâce à l’effort et à la contribution de beaucoup, nous soyons capables de présenter à nos sociétés un miroir aux mille couleurs qui reflétera sans crainte ni honte la riche diversité qui est la nôtre, nous les peuples de cette belle planète.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2557.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Texte daté du 21 mars 2001, diffusé dans REDH (Red Solidaria por los Derechos Humanos) le 9 avril 2002 (Uruguay).

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteure, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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