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MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, III - L’éducation
Erwan Bernier
mercredi 14 novembre 2007, mis en ligne par
Sommaire :
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, I - Introduction
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, II - La politique
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, III - L’éducation
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, IV - La santé
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, V - L’écologie
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, VI - L’économie
Le Chiapas est un état délaissé au niveau de l’éducation. En 2005, 92,5% des enfants se rendent à l’école primaire, mais seulement 76% au niveau secondaire soit le plus mauvais et le troisième plus mauvais résultat du Mexique. Avec la santé, l’éducation était donc un des deux axes sur lequel lez zapatistes ont décidé de s’investir le plus. Il faut dire que c’est un domaine où les populations indigènes ont eu le plus à souffrir de discriminations.
En premier lieu figurait l’absence de l’apprentissage des langues indigènes dans la plupart des écoles. En effet, si le Mexique possède plus de cinquante langues indigènes, dont douze pour le Chiapas, la constitution ne reconnaît que l’espagnol comme langue nationale. Les écoles zapatistes s’attachent donc à transmettre ces différentes langues que sont le tzeltal, le tsotsil, le tojolabal ou encore le zoque. Le Chiapas est en effet une région où plus de 25 % des habitants parlent une langue indigène. Sur ce point les zapatistes ce que la constitution mexicaine leur garantit puisqu’elle reconnaît aux indigènes l’autonomie pour « préserver et enrichir ses langues, ses connaissances ainsi que tous les éléments qui constituent sa culture et son identité ».
Il s’agit avant tout de prendre en main leur propre système d’éducation tant celui que leur proposait le gouvernement ne permettait pas de bonnes conditions d’apprentissage aux enfants. A Morelia, on rappelle que « les professeurs étaient souvent ivres quand ils venaient dispenser leurs cours ». On rappelle ainsi qu’il n’était pas rare que les professeurs tapent les enfants. Selon eux, la seule chose qui les intéressait c’était de recevoir leur salaire à la fin du mois sans se préoccuper de ce que l’enfant apprenait réellement. Les indigènes sortaient donc de l’école primaire avec un retard sur les autres enfants.
Le premier tort résultant de cet enseignement plus que parcimonieux était une mauvaise connaissance de la langue espagnole. D’ailleurs dans chaque caracol, on s’excuse souvent auprès des étrangers de ne pas parler très bien l’espagnol. Mais, tiennent-ils à rappeler à Roberto Barrios, « ce n’est pas de notre faute. Nous n’avons pas reçu une bonne éducation. Nous ne voulons pas que nos enfants revivent la même chose. » Et les femmes étaient bien souvent les premières victimes de cet enseignement laxiste. Ce sont elles qui aujourd’hui ont le plus de mal à maîtriser l’espagnol. Plusieurs d’entre elles sont persuadées qu’on a pu abuser d’elles quand elles devaient vendre leurs produits à des intermédiaires en raison de leur faible maîtrise de la langue.
Aujourd’hui on porte une réelle attention à l’élève et on ne passe jamais à l’exercice suivant si un enfant n’a pas compris. On a même mis au point une brochure pour les promoteurs et promotrices d’éducation. On y explique par exemple qu’il faut laisser l’enfant régler un problème à sa manière s’il n’y arrive pas avec celle du professeur. Il leur est surtout demandé de noter quelles sont les méthodes qui marchent ou pas afin de faire valoir leur expérience à leurs collègues.
Qui plus est l’éducation est réellement gratuite. Les caracoles se chargent d’acheter les fournitures scolaires pour ne pas faire peser ce poids financier sur les familles qui n’auraient que très rarement les moyens de se les procurer. Ici les professeurs sont volontaires et ne reçoivent donc aucun salaire. On s’en explique à Roberto Barrios : « Nous n’avons pas les moyens de leur octroyer un salaire. Nous leurs offrons donc la nourriture, un logement et le nécessaire pour l’hygiène ». Ni plus, ni moins. Et les professeurs ne semblent pas dérangés par cette méthode de rétribution. Ils sont conscients que leur travail s’inscrit dans un projet global de solidarité où chacun se doit de faire des efforts. De même, on ne les qualifie pas de « maîtres », mais de « promoteurs d’éducation ». Il s’agit de briser ce rapport exclusif où le professeur est le seul à faire le cours. D’ailleurs même les promoteurs sont chargés de poursuivre leur formation afin de combler leurs lacunes, notamment pour pouvoir à terme enseigner dans le secondaire.
Pour le moment, faute de moyens, les zapatistes possèdent essentiellement des écoles primaires (pour les enfants de 6 à 12 ans). Le caracol d’Oventik, lui, possède une école secondaire. Un internat a été construit pour héberger les élèves la semaine ce qui leur évite des allers-retours trop fréquents à leur village. Les élèves y travaillent pas moins de quarante heures par semaine auxquelles il faut ajouter une matinée où, chacun leur tour, les élèves sont chargés de l’entretien de l’école, c’est-à-dire nettoyage des salles de cours, de la cantine, préparation des repas pour le midi, etc… Ici le nombre les classes ne comprennent pas plus de vingt élèves par classe ce qui facilite l’apprentissage qui se veut différent de l’apprentissage traditionnel.
Pendant les cours de sciences naturelles on étudie les plantes et leurs vertus médicinales, on y apprend le Tsotsil, on reprend « Clandestino » de Manu Chao le soir durant le cours d’éducation artistique, les cours d’humanisme offre une version du monde et de son Histoire différente de celle des livres. Un promoteur témoigne : « Les mouvements sociaux n’intéressent pas le gouvernement. Nos promoteurs apprennent aux enfants la vraie situation en parlant des riches comme des pauvres ».
L’éducation sert donc avant tout à retrouver une dignité pour pouvoir prendre sa vie en main, alors qu’avant, elle n’était presque que source d’humiliation. Cette éducation, en totale rupture avec celle du gouvernement, s’avère donc être une des bases essentielles du projet zapatiste qui permet à chacun de prendre conscience de l’intérêt du processus d’autonomie.