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Revue Volcans n° 66

GUATEMALA - L’oligarchie reste au pouvoir

Miguel Ceto

lundi 17 décembre 2007, mis en ligne par Volcans

Alvaro Colom a été élu début novembre, président du Guatemala avec 53 % des voix. Au second tour, les Guatémaltèques ont dû choisir entre deux partis de droite : le Parti patriote – conservateur et réactionnaire – de l’ancien général Pérez Molina, qui fut membre des services de renseignement pendant la guerre civile et acteur de la lutte contre-insurrectionnelle ; et l’Unité nationale de l’espoir d’Alvaro Colom, issue de la mouvance sociale-démocrate. Les résultats du premier tour, les alliances et les stratégies des uns et des autres mettent en évidence un pouvoir politique instable.

Le système politique au Guatemala est dominé par un multipartisme extrêmement volatile avec une forte présence de partis considérés comme de droite. Les élections législatives du 9 septembre l’ont clairement démontré.

Tout d’abord, quatre partis de droite (UNE, GANA, PP et FRG) rassemblent environ 85 % du pouvoir législatif. Le reste est éparpillé entre des partis du centre et de gauche.

Ensuite, quatre partis politiques ont disparu (DCG, ANN, BIEN et DIA), faute d’avoir obtenu le pourcentage minimal fixé par la loi. La volatilité du système s’explique par la mobilité constante des députés. Ainsi, lors de la précédente session parlementaire, le PP faisait partie de la GANA, tandis que l’ANN, l’EG et l’UNE sont nés de la scission au sein de l’URNG et de députés issus de presque tous les partis.

Le fait qu’un parti différent soit victorieux à chaque élection ne signifie pas pour autant qu’il y a alternance, mais bien plutôt recyclage politique ; en effet la classe politique ne change pas et moins encore les structures qui la soutiennent...

Résultats des élections législatives - septembre 2007

Étant donnée la faiblesse du financement public des partis politiques (deux dollars par vote obtenu), la principale source de revenus a toujours été le secteur privé guatémaltèque et plus récemment les firmes multinationales. Cela limite substantiellement le fonctionnement du système électoral et des partis politiques. De plus, le Tribunal suprême électoral (TSE) n’a pas la capacité technique ni juridique pour déterminer l’origine et le montant de ce financement.

Cette lacune devient évidente quand on compare les votes obtenus et les ressources investies. Selon les résultats fournis à l’issu du premier tour par le TSE, Alvaro Colom de l’UNE a obtenu 28,33 % des suffrages contre 23,78 % des suffrages pour Pérez Molina du PP. La somme versée par l’État n’atteindra donc même pas deux millions de dollars alors que les dépenses de campagne, pour chaque parti, ont dépassé les dix millions.

L’important financement privé explique l’extraordinaire influence du secteur économique traditionnel dans la prise des décisions des partis politiques. Cette influence se ressent au niveau national avec des conséquences comme les traités de libre échange avec les États-Unis et avec l’Union européenne, la construction de mégaprojets, la présence préjudiciable de firmes multinationales et dans l’exploration et l’exploitation des richesses naturelles comme l’extraction minière à ciel ouvert ou les installations hydroélectriques.

Ainsi, tant le PP que l’UNE représentent deux tendances du secteur économique traditionnel. Leurs candidats à la vice-présidence, Ricardo Castillo et Rafael Espada, proviennent de puissantes familles.
Du côté du général Perez Molina, on trouve l’entreprise Grupo Multi Inversiones, qui pèse trente milliards de quetzales de revenus annuels [1]. L’alliance entre le secteur militaire et les entreprises est ancienne, puisqu’elle fonctionne depuis les années 1980.

De son côté, l’UNE est aussi financée par le secteur privé, en l’occurrence des familles liées à la finance, au transport aérien, aux télécommunications et les nouveaux entrepreneurs [2].

Pouvoirs occultes

Dans la majorité des partis politiques guatémaltèques, il existe des lobbies et des réseaux militaires. Le cas le plus représentatif est celui de Pérez Molina (commandant Tito), qui fut directeur des Renseignements militaires, chef de l’État-major présidentiel et commandant du détachement militaire chargé d’« encadrer » la population maya ixil à l’époque des massacres des communautés de Salquil Grande, Acul, Sumal, Cocop et Tzalbal [3] dans les années 1980. Aujourd’hui il est également membre du « Syndicat », un réseau militaire composé essentiellement de « frères d’armes ».
L’UNE n’est pas en reste en matière de sécurité et de stratégie politique, puisqu’elle peut compter sur le soutien de militaires, comme l’ancien capitaine Osman Herrera, le général Sisniga Otero ainsi qu’un groupe d’anciens militaires qui ont occupé des fonctions publiques pendant la présidence d’Álvaro Arzú (1996-2000).

Un autre élément caractérise le système politique guatémaltèque : l’infiltration du crime organisé, du narcotrafic et de la contrebande, appelés communément les “pouvoirs occultes”. Cette expression se réfère à un réseau informel et informe d’individus puissants du Guatemala qui profitent de leur position et de leurs contacts dans les secteurs public et privé pour s’enrichir par des activités illégales et se protéger des poursuites des délits commis [4]. L’assassinat d’Edwin Pacay Paredes (ancien officier des Renseignements militaires), proche collaborateur de Pérez Molina, la découverte de liens entre certains députés de l’UNE et des narcotrafiquants, ainsi que le vote contre l’installation de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) mettent en évidence l’existence de ces pouvoirs occultes, leurs capacités d’organisation et d’influence dans la majorité des partis politiques guatémaltèques. On peut donc sourire du discours de « main de fer » tenu par le PP : fort d’un côté, prônant le maintien de l’usage de la violence et de la présence militaire à l’intérieur des différentes structures de l’État ; faible de l’autre face à la puissance éminente des pouvoirs occultes. Ceci représente non seulement un recul de dix ans par rapport à la signature des accords de paix, mais favorise aussi l’impunité des responsables des violations des droits humains pendant la guerre, dont les populations indiennes ont été les principales victimes.

Le rôle des médias

Comme lors des élections mexicaines, le travail des médias guatémaltèques s’est plutôt assimilé à de la propagande : non seulement leurs sondages ne reflétaient pas la réalité, mais le traitement des partis politiques a été partial. Ainsi, les partis de gauche sont restés invisibles. Mais alors que dans les enquêtes, l’URNG n’atteignait pas 1 % des choix des électeurs elle a pourtant obtenu deux députés et sept municipalités. Par ailleurs, on affirmait une égalité entre l’UNE et le PP (en laissant entrevoir un léger avantage pour ce dernier), ce qui ne s’est pas non plus produit puisque l’UNE a obtenu une avance de cinq points [5]. Non seulement les médias sont partiaux, mais ils ont cherché à influencer l’opinion publique en masquant les réalités de la campagne politique. Cela s’explique en grande partie par le monopole qui existe sur les moyens de communication au Guatemala [6], leurs relations avec les élites traditionnelles et la difficulté de développer des médias alternatifs.

Selon le TSE, l’abstention électorale s’est élevée à environ 40 % au premier tour, et 53 % au second tour, c’est-à-dire légèrement inférieure à celles des précédents scrutins. Cette amélioration est due à la décentralisation des bureaux de vote à l’échelle locale. Par ailleurs, on observe une légère augmentation de la participation des populations indiennes parmi les élus. Par exemple, 15 à 17 mayas vont siéger au Congrès de la République et parmi les 332 municipalités du pays, 129 seront détenues par des Indiens, issues de différents partis et comités civiques [7]. A la différence des partis politiques de dimension nationale, les Comités civiques sont des organisations locales qui permettent de postuler à des mandats municipaux, et sont, dans de nombreux cas, les moteurs de la participation locale et communautaire.

La gauche et Winaq’

La participation de Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix, a été la principale nouveauté de la dernière campagne électorale. Elle est la première femme et la première indienne dans l’histoire du pays à postuler à une élection présidentielle. C’est un fait important dans un pays marqué par le racisme et le machisme, mais il fut insuffisant pour modifier les structures économiques, politiques, sociales et culturelles.
Une fois de plus, les directions de la gauche révolutionnaire (URNG), social-démocrate (EG) et de Winaq’ n’ont pas réussi à trouver des points de convergence et se sont précisément enfermées dans leurs différences. D’un côté, la gauche révolutionnaire n’a toujours pas compris la place que doivent tenir les populations indiennes, comme le rôle des autorités et des municipalités indiennes au cours de l’histoire dans les différents processus de résistances que l’on peut aussi observer actuellement dans les processus de consultation populaires sur l’extraction et l’exploitation des ressources minérales et hydriques.

De son côté, Winaq’, en voulant conserver de bonnes relations avec tous, a mécontenté tout le monde et a perdu le peu qu’il avait. En effet, Winaq’ n’a pas suffisamment valorisé les apports des différentes expressions sociales, paysannes et ouvrières dans l’élaboration d’un nouveau projet politique. D’autant que sa candidate, Rigoberta Menchu, a fini par accepter comme candidat à la vice-présidence Luís Fernando Montenegro, ancien directeur du Comité de coordination des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières (CACIF), organisation patronale de l’oligarchie guatémaltèque.

La direction de la gauche révolutionnaire continue à être dans les mains des ladinos (métis de la capitale) et la revendication de classe est toujours au centre de sa stratégie politique. Winaq’ a pour axe central d’action la revendication ethnique, mais par ses actions et les postulats employés, ce mouvement est plus proche de revendications culturalistes. Cela conduit à ne pas prendre en compte que les ladinos pauvres souffrent autant que les Indiens et à considérer que c’est la lutte culturelle (langue, vêtements, coutumes, religion) pour la reconnaissance d’un droit millénaire et légitime, qui a permis la résistance. L’absence d’accord entre ces deux réalités, complexes et profondes, produit fréquemment des expressions racistes de la part de la gauche révolutionnaire, le manque de solidarité et de fraternité du fameux mouvement indien envers les autres expressions sociales, ou tout simplement leur sexisme partagé car ils sont incapables de comprendre les revendications de « genre ».

Des menaces persistantes

La défaite de Molina est plutôt une bonne nouvelle pour la démocratie. Pour autant, la victoire d’Alvaro Colom ne doit pas masquer le fait majeur de cette élection : la présence simultanée, dans tous les partis « présidentiables », de représentants de l’oligarchie économique, de hauts responsables de l’armée, et de « mafias » et autres réseaux d’économie illégale. Il semble désormais que seule l’alliance de ces trois cercles de pouvoir permette à un parti d’être fortement représenté, aux niveaux législatif ou présidentiel, quand ce n’est pas au niveau local. Et il y a fort à parier que la pauvreté, et notamment la pauvreté extrême, l’analphabétisme, le chômage, l’émigration, la concentration des revenus dans quelques mains, l’exploitation des ressources naturelles... continueront à accabler le peuple guatémaltèque.

C’est pour cela qu’il est fondamental de parvenir à faire converger les expressions démocratiques, progressistes et de gauche. Il s’agit dès lors de rompre avec la verticalité et le sectarisme des directions politiques, de reprendre le travail de base par les relations avec les différentes organisations de la société civile et l’élaboration d’un nouveau projet politique, tout en l’accompagnant d’un processus continu et permanent de renouvellement générationnel des cadres, puisque les vieilles pratiques politiques ont fait bien plus de dégâts qu’on ne l’a cru.


Miguel Ceto est membre du Collectif Guatemala (France).


Revue Volcans, n° 66 - novembre 2007.

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[1El Periódico, « Las mayores empresas del istmo » (« Les plus grandes entreprises de l’isthme »), 01/10/2007.

[2Inforpress Centroamericana, n° 1724. 05/10/2007.

[3Pour plus d’informations, consulter le rapport Para la Recuperación de la Memoria Histórica (REMHI), Guatemala, 1998 et celui de la Commission pour la vérité historique (CEH), Guatemala memoria del silencio, tome III - Las violaciones de los derechos humanos y los hechos de violencia. Guatemala, 1999.

[4« Les groupes illégaux dans le Guatemala de l’après conflit et les forces qui sont derrière eux », La Oficina en Washington para Asuntos Latinoamericanos (WOLA) (en espagnol).

[5Association pour le développement, l’organisation, les services et les études socio-culturels (Asociación para el Desarrollo, Organización, Servicios y Estudios Socioculturales, DOSES), octobre 2007.

[6Les principales chaînes de télévision appartiennent au Mexicain Remigio González, qui réside à Miami (É-U).

[7Observador Electoral, 2e année, n°9, octobre 2007.

Messages

  • Excellent article pour moi qui revient d’un bref voyage au Guatemala et Honduras début décembre 2007 après un premier voyage en 1998.
    Je dois y retourner en novembre 2008 pour un festival (Enlace Coral) à ciudad Guatemala avec ma chorale française.
    Je suis intéressé auusi par les questions sociales et surtout inquiet des menaces et des violences que subissent les travailleurs dans les plantations de bananes notamment.
    Jacques LACREUSE

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