Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2000-2009 > Année 2009 > Mars 2009 > HAÏTI - Trois ans après la victoire de René Préval, où en sommes-nous ?
DIAL 3047 - Dossier « Regards sur Haïti »
HAÏTI - Trois ans après la victoire de René Préval, où en sommes-nous ?
Wooldy Edson Louidor
dimanche 1er mars 2009, mis en ligne par
Dans ce dossier « Regards sur Haïti », nous publions deux textes rédigés par des Haïtiens qui dressent le bilan, l’un de l’année 2008, l’autre, ci-dessous, des 3 premières années du mandat de René Préval. Marc-Arthur Fils-Aimé est directeur général de l’Institut culturel Karl Lévêque (ICKL). Wooldy Edson Louidor est directeur de programme à la Société d’animation et de communication sociale (SAKS).
Le 7 février 2009 marque le troisième anniversaire de la victoire de René Garcia Préval aux élections présidentielles d’Haïti, une victoire que le peuple a défendue en forçant le Conseil électoral provisoire (CEP) d’alors à le proclamer. Trois ans plus tard, où en sommes-nous ?
Au niveau électoral
Les problèmes électoraux continuent de se présenter dans le pays, mais maintenant avec un nouveau CEP et à un autre niveau : celui de la préparation des élections pour compléter le tiers du Sénat de la République (12 sénateurs) qui est resté vacant depuis le 9 mai de l’an dernier.
Le 7 février de l’année en cours, un décret présidentiel annonce qu’il y aura des élections sénatoriales le 19 avril prochain. Le processus d’enregistrement des candidatures a été aussitôt ouvert, mais certaines organisations de la société civile dénoncent plusieurs candidats qui auraient participé antérieurement à des crimes durant les régimes précédents ou que la justice haïtienne ou états-unienne rechercherait pour de présumées malversations de fonds publics ou de supposées implications dans le trafic de drogues. Effectivement, le CEP vient de rejeter les candidatures de 40 aspirants (sur un total de 105) au Sénat, parmi lesquels tous les candidats membres du parti Lavalas de l’ex-président haïtien, Jean-Bertrand Aristide.
Certains des candidats concernés ont menacé des membres de ces organisations alors que le local du CEP est protégé par les forces de l’ordre pour prévenir d’éventuelles attaques. On prévoit que la réalisation des prochaines élections sénatoriales pourrait faire face à divers obstacles.
Au niveau politique
Pendant ce temps, l’actuel président haïtien accompagné de deux de ses ministres, de membres de son cabinet et d’autres hauts fonctionnaires est en visite à Washington pour rencontrer l’équipe de la nouvelle administration de Barack Obama, afin de chercher plus d’appui et d’aide de la part du puissant voisin.
La stabilisation politique obtenue jusqu’à présent en Haïti continue à être fragilisée parce que, le 28 janvier dernier, 8 parlementaires états-uniens ont proposé à la Chambre des représentants de leur pays un projet de loi pour constituer une commission d’enquête indépendante sur le rôle joué par le gouvernement états-unien d’alors dans le renversement de l’ex-président haïtien, Jean-Bertrand Aristide.
Ce type d’initiative prise par le Parti démocrate actuellement au pouvoir et très proche de l’ex-chef d’État haïtien va créer davantage d’attentes au sein de ses partisans en Haïti, lesquels sont maintenant divisés, mais peuvent se reconstituer comme un seul parti à n’importe quel moment. La figure d’Aristide, qui fut forcé de quitter le pays le 29 février 2004 au milieu d’une crise politique et sociale très aigüe, continue d’être un facteur qui divise la société haïtienne.
Au niveau socio-économique
Aux dires de plusieurs représentants d’organisations de la société civile haïtienne, les conditions de vie du peuple ne se sont pas améliorées durant les trois années de la deuxième présidence de Préval (son premier mandat ayant duré de 1996 à 2001).
L’actuelle Première ministre, Michèle D. Pierre-Louis, qui a reçu un grand appui au niveau national et international pour son accession à ce poste, n’a pas pu mobiliser les ressources nécessaires ni adopter les politiques publiques adéquates pour s’attaquer aux grands problèmes auxquels fait face la population, tels que la faim, le manque de services sociaux et d’infrastructures, la violation systématique des droits socio-économiques, entre autres.
La raison de cette inefficacité consiste, selon certains dirigeants d’organisations, à ce que le gouvernement continue d’appliquer une politique néolibérale qui lui est dictée par les organismes de financement international. Les axes fondamentaux de cette politique ne visent pas à l’amélioration de la qualité de vie de la population, mais au maintien de la stabilisation des indicateurs macro-économiques et la réduction des dépenses sociales, selon les arguments des militants sociaux.
C’est pourquoi, concluent-ils, même si le gouvernement actuel réalise des actions sociales ciblées, comme les microprojets pour certaines zones affectées par les ouragans qui ont frappé le pays l’an dernier, cela n’aura pas de résultats efficaces dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Conséquences
Comme conséquences de cette dégradation de la situation socio-économique et politique en Haïti, la majorité des ses ressources humaines (plus de 80% de ceux et celles qui ont un diplôme universitaire) abandonnent le pays pour aller s’établir majoritairement aux États-Unis et au Canada qui leurs offrent de meilleures opportunités de vie et d’emploi.
Les Haïtiens sans qualification professionnelle n’ont pas d’autre option pour fuir la misère que de risquer leurs vies sur des voiliers périlleux pour se diriger vers les autres îles de la Caraïbe et les côtes états-uniennes de la Floride, ou vers la frontière de la République dominicaine en situation irrégulière.
Ainsi, 25 voyageurs, parmi lesquels plusieurs Haïtiens, qui voguaient sur un voilier surchargé ont fait naufrage le 19 janvier dernier aux Îles vierges britanniques dans les Caraïbes. L’un des migrants est mort et 10 ont disparu lorsque leur embarcation s’est fracassée contre un récif. Ce genre de tragédies qui se sont produites l’an dernier menace de s’intensifier cette année, car la désespérance pousse chaque jour les gens à fuir leur pays.
En République dominicaine, le pays voisin, la situation des migrants haïtiens et de leurs descendants continue à être « funeste », pour reprendre l’adjectif utilisé par la Commission dominicaine des droits humains dans son rapport annuel 2008 publié le 14 janviers 2009.
L’anti-haïtianisme continue de pénétrer toujours davantage tous les échelons du pouvoir et les interstices de la société dominicaine. Alors que les autorités multiplient les mesures et les politiques pour dénationaliser les Dominicains d’origine haïtienne et ainsi leur enlever leur droit à la citoyenneté dominicaine et à la jouissance de tous leurs droits. Certains groupes ultranationalistes ne cessent de répandre leurs préjugés anti-haïtiens et racistes dans les communautés de ce pays. La propagation de ces discours, qui accusent les migrants haïtiens de tous les maux dont souffre le pays, a provoqué des actes de violence contre eux dans certaines communautés dominicaines.
Trois ans après que le peuple haïtien a manifesté dans les rues pour défendre son vote, il ne semble pas évident qu’aujourd’hui il ferait le même geste. Serait-ce qu’il ne croit plus en la démocratie ? Ou bien est-il désillusionné de l’espoir que Préval lui avait promis ?
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3047.
– Traduction du Comité de solidarité Trois-Rivières, Québec, Canada. Traduction revue par Dial.
– Source (français) : Comité de solidarité Trois-Rivières, 7 février 2009.
– Texte original (espagnol) : ALAI, 6 février 2009.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, les traducteurs, la source française originale (Comité de solidarité Trois-Rivières - http://www.cs3r.org/) et l’adresse internet de l’article.