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Ou comment les forces de gauche ont fait fi de leurs points de désaccord

EL SALVADOR - Victoire du FMLN contre une droite désarmée

Guillaume Beaulande

mercredi 25 mars 2009, mis en ligne par Guillaume Beaulande

Les récentes élections au Salvador ont comme un goût de jamais vu. Le FMLN (Front Farabundo Martí de libération nationale) représenté par Mauricio Funes a gagné avec 51,3% des suffrages, ce dimanche 15 mars 2009, les élections présidentielles face au parti ultra conservateur ARENA (Alliance républicaine nationaliste) dirigée par Rodrigo Avila, l’ancien chef de la police nationale formée par le FBI dans les années 80.

Ce petit pays d’Amérique n’est guère évoqué dans les livres d’Histoire. El Salvador au nom hérité de la conquête évangélisatrice du XVIème siècle a toujours connu l’enfer de la dictature et son histoire regorge de coups d’états et de guerres civiles. État indépendant depuis 1821, l’implantation du café en a fait une véritable « république caféière » laissant le champ libre à la concentration des terres cultivables par l’oligarchie composée d’une dizaine de famille : les fameuses « 14 familles ».

Le coup d’État de 1931 du général Maximiliano Hernandez Martinez qui va l’asseoir au pouvoir jusqu’à la grève générale de 1944. La crise de 1929 a eu, entre autres conséquences, une influence directe sur la chute du prix du café répercuté sur le semblant de salaire que percevait les paysans et ouvriers. Cela a conduit à la révolte paysanne de 1931 dont l’ampleur n’a eu d’égale que la répression qui s’en est suivi, des milliers de paysans furent tués et l’un de ses meneurs fut sauvagement assassiné : il s’appelait Farabundo Martí.

Parler d’insécurité au Salvador touche à l’euphémisme, la guerre civile et son lot de massacres n’a jamais connu de trêve depuis que les États-Unis en ont fait une position stratégique dans l’échiquier de la guerre froide. Les gouvernements anti-communistes et les juntes militaires qui se sont succédés au pouvoir jusqu’en 1979 servaient de point d’ancrage aux bases militaires nord-américaine et devaient servir de poison-remède à la « contagion communiste » en Amérique latine.

Le nom de Martí fut repris en 1980 par des hommes bien décidés à en finir avec le néo-libéralisme et l’extrême droite et qui, en jetant les base du FMLN, se rassemblèrent sur un front. Le FMLN constituait une résistance à la pérennité du pouvoir oligarchique et un rempart au risque de coup d’État de la part du parti d’extrême droite, l’ARENA (Alliance pour la république et le nationalisme), le FMLN dut affronter une guerre autant psychologique qu’armée surtout à partir des élections de 1981 d’une droite conservatrice et répressive déguisée en social-démocratie.

Le triomphe du FMLN, au delà de sa symbolique et de l’hommage qu’il rend à la mémoire des luttes menées contre les paramilitaires, marque un tournant historique et s’inscrit en plein dans le virage à gauche des pays d’Amérique-centrale. Après la victoire du FSLN au Nicaragua, la défaite de la droite supra-conservatrice au Guatemala, l’entrée du Honduras dans l’ALBA et les protestations massives qui se sont exprimées contre le TLC (Traité de Libre Commerce) au Costa Rica.

Les accords de Chapultepec de 1992 marquèrent la fin très officielle de l’abominable guerre civile qui en 12 ans a fait plus de 75.000 morts, ils visaient à condamner les exactions commises par l’armée régulière, interdisaient la formation de groupes paramilitaires et reconnaissait le FMLN comme parti politique.

Ces accords prônaient une redéfinition du rôle de l’armée et un retour progressif d’une partie de ses effectifs à la société civile :

« En tant qu’institution politique de l’État, l’armée n’a qu’un caractère instrumental, sans aucun pouvoir de décision dans le champ politique. »

Le texte de 1992 annonçait également la fin de l’enrôlement forcé :

« Toute forme de recrutement forcé sera suspendue dès la fin de l’affrontement armé » [1].

Le journal de droite le plus vendu du pays El Diario de hoy [2] spécule sur les divergences d’orientation du FMLN depuis sa création en 1980, rappelle l’assassinat du poète Roque Dalton, membre du FPL (Forces populaires de libération, une des branches du FMLN) en l’attribuant aux divisions internes alors même que les circonstances de sa mort demeurent très floues. Le manichéisme médiatique tend à présenter le FMLN comme une bouillie politique où se distingue, en résumé, une branche radicale dite « orthodoxe » et une autre aspirant à une social-démocratie.

Or, dès sa création, le FMLN avait dans l’idée de mettre en place un processus révolutionnaire et démocratique en réunissant toutes les forces de gauche, le PCS (Partido comunista du Salvador), l’ERP (Armée révolutionnaire du peuple), le RN (Résistance nationale) et le PRTC (Parti révolutionnaire des travailleurs d’Amérique centrale), en témoigne la formation du FDR (Front démocratique révolutionnaire) et sa fusion avec le FMLN en 1985.

Malheureusement, l’armée régulière financée à hauteur de 6 milliards de dollars par les États-Unis dans les années 80, la guerre menée par les factions paramilitaires et la terreur semée par les lâches « escadrons de la mort » en décidèrent autrement.

Certes, la formation du parti politique du FMLN fut laborieuse et ce n’est qu’après la défaite aux élections de 1994 que fut réellement décidé d’ « avancer d’un pas ferme vers une unification du FMLN pour en faire un parti démocratique, révolutionnaire et pluraliste », autrement dit d’en faire un parti de tendance plutôt qu’un « parti de partis ». Cette décision fut payante aux élections législatives et municipales de 1997, le FMLN commençait alors à acquérir une légitimité démocratique ainsi que la confiance d’un peuple meurtri par 70 ans de guérillas et soudé par 70 ans de résistance.

Alors que l’histoire politique du Salvador est jonchée d’arnaques électorales et que depuis 29 ans les élections ont été volées par les gouvernements successifs de droite, cette victoire de la gauche ne fait aucun doute. Dans un message officiel, le président du TSE (Tribunal suprême électoral) Walter Araujo a déclaré : « Nous avons vécu un processus électoral transparent, tranquille et massif », cette victoire du FMLN vient confirmer l’assise politique que le parti avait obtenue aux élections législatives du 18 janvier.

Rodrigo Avila et derrière lui l’ARENA joue encore la carte pathétique du « danger communiste » et fait penser à ces anciens du Viet Nam qui se croient encore au front, à la différence près qu’il ne s’agit pas là d’une folie post-traumatique mais des restes de la politique de Washington fossilisé depuis 70 ans au Salvador. En marge de la campagne électorale, deux militants du FMLN ont été assassinés dans la commune de Nepaja, près de la capitale du Salvador, un signe supplémentaire de la violence électorale qui a sévit dans le pays jusqu’à ce jour [3].

Autant dire que tout n’est pas joué et que l’opposition va tout faire pour enrayer le processus mis en place par la gauche, y compris par des moyens les moins démocratiques qui soient. L’ARENA ne disparaît pas, loin sen faut, du champ politique et conserve 34 députés à l’Assemblée contre 37 pour le FMLN

Le fer de lance du FMLN sera ce qu’il appelle une « économie sociale de marché » pour en finir avec cette paupérisation qui, depuis la désastreuse dollarisation de l’économie, n’a cessé de s’accélérer, (60 à 70% des Salvadoriens survivent en dessous du seuil de pauvreté).

La lutte contre la corruption et le crime organisé est un des axes majeurs du programme du FMLN. La violence des bandes (les Maras par exemple) qui, jusque-là, a servi de prétexte à une politique répressive (le plan Super Mano dura) devra être tuée dans l’œuf en trouvant qui les finance, selon Aida Luz Santos (juge au tribunal des mineurs et conseillère de M. Funes) :

« El Salvador est le pays le plus violent d’Amérique Latine, avec un taux de 67 homicides pour 100 000 habitants. Lorsque Tony Saca [le président sortant] est arrivé au pouvoir en 2004, il y avait entre 6 et 8 homicides par jour…il y en a deux fois plus aujourd’hui ».

Ce soutien populaire massif et proprement historique s’explique aussi par la volonté exprimée du FMLN de mettre un terme à l’impunité concernant la guerre civile des années 80 et de rendre ainsi justice aux 75.000 morts et 7000 disparus. Les médias présentent la chose de telle manière qu’ils laissent entendre que le parti récemment élu de Funes a encore les armes à la main, comme si venait d’avoir lieu un simili coup d’État donnant les rênes du pouvoir à ces enfants guérilleros dont parlait J.P Sartre à propos de Cuba en 1963.

S’il est vrai que le FMLN est une ancienne guérilla, il est légitime de se demander pourquoi les médias ne nous ont jamais parlé des complicités qui existaient dans les années 80 entre le fondateur de l’ARENA, Roberto d’Aubuisson, et les « escadrons de la mort ».

Rappelons pour finir que le président M. Funes n’a jamais été guérillero, il est plutôt un homme de plume qu’un homme en arme, en revanche son vice-président, Salvador Sánchez Ceren était un commandant de la guérilla. Ensemble, malgré des parcours différents, ils ont put être assez opiniâtres pour cibler un ennemi commun, ils ont montré qu’une révolution a d’autant moins de masques qu’elle peut avoir plusieurs visages. Le FMLN est vraisemblablement parvenu à une maturité politique suffisante pour fédérer les forces de gauche et redonner de l’espoir aux salvadoriens là où ne subsistait plus que la peur. De quoi gonfler, peut-être, de courage d’autres combats, en d’autres contextes.


Premier discours du président élu, Mauricio Funes

Voir le discours sur Youtube.

Traduction :

« Chers compatriotes,

nous avons réussi mes amis. Aujourd’hui nous réalisons nos rêves de justice et de démocratie. Aujourd’hui, nous initions une des tâches les plus importantes de ces dernières années. Nous allons reconstruire notre pays. À partir de maintenant, l’ARENA devient un parti d’opposition comme nous l’avons été pendant si longtemps.

Maintenant est venu le tour de l’offensé-e, de l’exclu-e, de tous ceux que l’on a marginalisés. Aujourd’hui est venu le tour de ceux qui sont authentiquement démocrates, de ceux qui veulent, pour tous, hommes et femmes, une justice sociale.

Je veux dédier cette victoire à un saint qui nous éclaire, à notre Farabundo Martí [...] qui déjà réclamait cette justice sociale.

Nos armes se résument à la Constitution de la République de ce pays pour la construction d’un État social et démocratique... »

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