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ARGENTINE - La marche vers la Place de Mai pour les 30 ans du coup d’Etat, entre lumières et ombres (par Adolfo Perez Esquivel)

mardi 11 avril 2006, par Dial

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Buenos Aires, le 26 mars 2006 - Le 24 mars de cette année, on vient de réaliser la marche pour commémorer les 30 ans du coup d’état militaire en Argentine, pour faire mémoire des 30 mille disparus et réfléchir aux conséquences de ces disparitions et aux luttes de résistance populaire face à l’horreur qui a marqué la vie du peuple argentin.

Dans tout le pays mais aussi à l’extérieur, on a accompli des actions de mémoire pour se souvenir de ce coup d’état qui a instauré la dictature militaire en Argentine depuis 1976 jusqu’à 1983. Pour commémorer aussi les événements vécus dans cette période et rechercher les origines de cette répression imposée au pays par des politiques de destruction et de dévastation, mais qui a aussi été mise en pratique dans tout le continent au nom de la Doctrine de la Sécurité Nationale.
Pendant plusieurs mois, on a tous travaillé pour organiser les activités préparatoires à cette marche du 24 mars. Des efforts positifs ont été accomplis par les organisations qui ont convoqué leurs adhérents. Malgré la diversité des positions idéologiques, des critères et des valeurs, on a pu réaliser un consensus entre 350 organisations et mettre sur pied un agenda unifié des activités et des propositions à faire au niveau national.

Les lumières et les espoirs ont été fort nombreux avec un haut degré de consensus et des possibilités de construction collective pour parvenir à des consignes communes et réaliser une marche unifiée en surmontant les difficultés des années antérieures.

La présence de nombreux jeunes dans cette marche a été remarquable ainsi que les actions réalisées dans tout le pays par tous ceux qui n‚ont pas vécu cette horreur imposée par la dictature militaire mais qui veulent connaître ce qui s’est passé, comprendre et faire mémoire, car ils se posent la question de savoir ...pourquoi ?... une telle politique avec tant de mort et de destruction et des objectifs d’une telle cruauté est parvenue à détruire la capacité productive du pays.
Ils veulent comprendre quelles en sont les conséquences qui persistent actuellement dans notre société avec l’augmentation de la pauvreté, du chômage, de la faim, de l’analphabétisme et des maladies endémiques, et savoir pourquoi, bien que l’on connaisse ses origines, on continue à payer cette terrible dette extérieure au jour d’aujourd‚hui.
Les nombreux pourquoi ? persistent et bien des réponses n’arrivent pas.

L’organisation de la marche a été exemplaire. Les espaces entre les groupes et les consignes ont été respectés durant tout le trajet, que se soit par les organisations de droits de l’Homme, par les partis politiques, par les étudiants, les syndicats, les organisations sociales et culturelles, par les journalistes des media et par tous les participants. Certaines organisations comme l’Association des Mères de la Place de Mai que préside Hebe de Bonafini, ainsi que des groupements politiques et sociaux proches du gouvernement se sont manifestés au cours de diverses actions pour la Mémoire, la Vérité et la Justice.

Cette marche avec une multitude de personnes s’est déroulée depuis la Place des Deux Congrès jusqu’à la Place de Mai avec à sa tête une banderole de 200 mètres de long sur laquelle se trouvaient les photos des détenus disparus pour signifier un message très clair de toute la société et pour dire : PLUS JAMAIS CELA !!! Non à la barbarie répressive en Argentine comme dans tous les pays du monde.
Aucun incident qui aurait pu assombrir cette journée n’a eu lieu durant cette marche.
Pendant plusieurs mois, lors des discussions préparatoires, on a surmonté bien des difficultés et il y a eu de nombreux débats pour définir les objectifs, pour prévoir les actions qui devaient se dérouler, et pour coordonner les rencontres entre le niveau gouvernemental et les organisations afin que les activités programmées ne se superposent pas. Toutes ces difficultés ont été surmontées.

La Place de Mai, c‚est la Place du Peuple ; elle n’appartient à aucune organisation ni à aucun gouvernement. Tout le monde sans exception et sans exclure personne a le droit de participer et de manifester. A travers l’histoire, le peuple argentin dans tous ses mouvements de résistance a toujours manifesté sur cette place et il vient encore de le faire, une fois de plus après tant d’années, en ce jour du 24 mars pour faire mémoire et célébrer la résistance des 30 mille disparus de la dictature militaire.

Malheureusement, des ombres et des difficultés sont survenues qui nous amènent à réfléchir sur les objectifs poursuivis par certains groupes qui ont lu sur l’estrade centrale un document sur lequel plusieurs organismes de droits de l’Homme ont signalé qu’ils n’étaient pas d’accord avec les termes utilisés, car ce document n’avait pas fait l’objet d‚un consensus entre tous les participants.
En effet, on ne trouve dans ce document aucune mention des résultats déjà obtenus par le gouvernement en ce qui concerne la politique des droits humains et la situation sociale. On n’y trouve que des critiques exprimées avec partialité et sans aucune objectivité.

Il existe pourtant d’autres lieux et d’autres moments où l’on pouvait mettre en évidence les différences d’opinion et les critiques du gouvernement. Les organisations de droits de l’homme, qui n’ont pas signé ce document, considèrent que ce n’était pas le moment adéquat, et qu’on ne devait pas utiliser l’espace de cette marche qui commémorait les 30 ans de la dictature militaire imposée au peuple argentin, pour critiquer le gouvernement.

Les organisations de droits humains ont fait savoir au groupe responsable de l’élaboration de ce document qu’elles ne le signeraient pas, car son analyse était trop partiale et qu’il n’avait fait l’objet d’aucun consensus entre les organisations. La plupart d’entre elles ne l’avaient pas reçu, ou bien l’avaient reçu trop tard pour leur permettre de donner leur opinion.

Ceux qui ont élaboré ce document allèguent qu‚ils ont informé tout le monde au préalable et que personne ne leur a fait d’objection. C’est pourquoi ils avaient considéré que tout le monde était d’accord pour l’accepter. D’un autre côté, beaucoup d’organisations ont répété que le document ne leur était pas parvenu ; c’est pour cela qu’ils n’avaient pu émettre aucun jugement.

Le SERPAJ a fait savoir avec quelques autres organisations qu’il n’était pas d’accord et l’équipe rédactrice a retiré trois paragraphes incriminés. Cependant, le contexte général du document ne reflétait pas les objectifs et ne répondait pas aux critères de ce qui devait être lu sur la Place de Mai pour exprimer ces 30 années de lutte et de résistance contre la dictature militaire imposée le 24 mars 1976, et que c’était pour cela qu’il n’était pas disposé à le signer.
Plusieurs autres organisations ont aussi fait savoir que ce document ne reflétait pas le sentiment de tous et ne respectait pas les objectifs des promoteurs de la marche, et qu’en fait, on n’aurait pas dû profiter de cette occasion pour attaquer le gouvernement.
De plus, ceux qui ont lu ce document sur l’estrade ont omis de signaler les organisations qui ne l’avaient pas signé. C’est ce qui a provoqué la réaction des Grands-Mères et des Mères de la Place de Mai qui se trouvaient sur l’estrade et qui ont demandé la parole pour dire qu’elles n’étaient pas d’accord.

Cet incident a obscurci les résultats et les objectifs de la marche et c’est lamentable.
Il faut aussi signaler que dans un groupe qui se trouvait près de l’estrade, certaines personnes alcoolisées ont provoqué quelques perturbations en déconnectant les micros et en jetant quelques bouteilles sur l‚estrade. Tout cela a assombri cette manifestation si douloureuse de la vie et des consciences du peuple argentin. Le malaise provoqué par ces incidents est profond et on doit être capable d’analyser ces événement et de réfléchir sur ce qui s’est passé. C’est ce que les organisations des DDH sont en train de faire.

Voici la liste des organisations qui n’ont pas signé le document : Les Grands-mères de la Place de Mai, les Mères de la Place de Mai (ligne fondatrice), les familles de détenus disparus, Hijos, le SERPAJ (Service pour la Paix et la Justice), l’Assemblée Permanente pour les Droits Humains (APDH), le Centre d’Etudes Légales et Sociales (CELS), la Centrale des Travailleurs Argentins (CTA), ainsi que quelques autres organisations.

Un autre événement significatif a été la marche du samedi 25 mars vers le Campo de Mayo, Unité Militaire. Il y a peu de temps, il était impensable qu’un tel événement puisse se réaliser, une marche vers cette caserne où l’on a torturé et assassiné, face à une maternité où l’on a emmené des femmes enceintes ; on leur volait leurs bébés et ensuite on les tuait. C’est là, en ce même lieu qu‚on a posé une plaque commémorative et planté un arbre pour la mémoire et pour la vie.
Cet événement s‚est déroulé avec les témoignages émouvants et douloureux des parents, des fils, des mères, des grands-mères et des organisations, le tout accompagné par les chansons de Teresa Parodi.

Le 29 mars, grâce à la Ministre de la Défense, Nilda Garré, nous avons pu entrer à Bahia Blanca dans la caserne où se trouvait alors la Escuelita, un centre de détention, de torture et de mort. En ce lieu, on ne trouve plus que du béton car tout a été démoli. Pourtant, les survivants se souvenaient de chaque endroit où ils avaient été torturés et se rappelaient des autres prisonniers et prisonnières, victimes du terrorisme d’Etat, qui ne sont plus là aujourd’hui.
Le pays traverse à présent des moments décisifs en ce qui concerne la recherche de la Vérité et de la Justice, et il ne faut pas se tromper de chemin en prétendant utiliser la douleur du peuple pour parvenir à des objectifs politiques.

Le gouvernement argentin rencontre bien des difficultés pour restructurer le corps social du pays, mais il faut reconnaître que le gouvernement du président Kirchner a fait ce que les autres gouvernements n’ont pas voulu faire. Dans un passé récent, il a beaucoup avancé dans la politique des Droits Humains. Mais c’est vrai qu’il faut encore approfondir et mettre davantage en pratique les droits humains dans la situation actuelle que vit le peuple argentin. Ce sont des chemins qu’il faut construire et le peuple a donné avec cette marche, des témoignages de sa maturité et de sa résistance malgré ces quelques ombres.

responsabilite

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