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NICARAGUA - Sur les vestiges de la révolution sandiniste, la lutte des infirmières (par Juliette Fioretta, Le Courrier)

mardi 11 avril 2006, par Dial

04 avril 2006 - Le Courrier- Après quinze ans de politiques néolibérales, le système de santé publique du Nicaragua est exsangue. Depuis des mois, ses travailleurs sont en grève pour réclamer de meilleurs salaires et redonner un sens au service public. Reportage auprès des infirmières de Matagalpa.

Les couloirs de l’hôpital de Matagalpa sont silencieux et les chambres sont vides. Quelques rares patients errent entre la cafétéria et leur lit. Pas de médecins en vue. Quelques infirmières sont assises et discutent. Depuis le mois de novembre 2005, les médecins des hôpitaux publics sont en grève, suivis dans leur lutte par le reste des travailleurs de la santé, depuis janvier 2006. Leur revendication principale : un salaire décent, permettant de vivre dignement.

Dix ans de guerre...

Matagalpa, troisième ville du Nicaragua, au coeur de l’Amérique centrale, se situe au pied des montagnes, à 800 mètres d’altitude. Elle compte environ 150 000 habitants. Son hôpital accueille essentiellement la population rurale, extrêmement pauvre, qui vit dans le département du même nom habité par quelque 350 000 personnes. L’hôpital compte 260 lits, 132 infirmières et auxiliaires infirmières et 54 médecins.

On ne peut parler du Nicaragua sans parler de son histoire récente et tourmentée, dont il reste des traces encore aujourd’hui. Le 19 juillet 1979, le Front de libération sandiniste fait tomber la dictature régnant depuis plus de quarante ans et met en place la révolution populaire sandiniste, alliant de manière originale socialisme, économie mixte et participation populaire. S’en suivent dix ans de guerre et de blocus économique, orchestrés par les Etats- Unis. En 1990 ont lieu des élections, le peuple vote pour la droite, épuisé par la guerre.

...Quinze de misère

Depuis lors, des gouvernements de droite se succèdent les uns aux autres, laissant place à une corruption toujours plus grande et entraînant une paupérisation de la population toujours plus profonde. La guerre est terminée et le blocus aussi. Les rayons des magasins sont remplis de marchandises, mais elles sont hors de prix pour la majorité de la population. Les gens survivent en faisant des miracles avec le salaire misérable qu’ils reçoivent (quand il y a du travail) et en s’aidant par les versements qui leur arrivent de la part des exilés économiques aux Etats-Unis ou au Costa Rica voisin.

Santé pour tous

L’histoire du Nicaragua, c’est aussi l’histoire de son système de santé. Avant 1979, les religieuses prodiguaient les soins dans des hôpitaux qui étaient des espèces de mouroirs. La révolution sandiniste amène l’idée de la santé gratuite pour tous et l’inscrit dans la Constitution. Pendant les années 1980, des milliers de « brigadistes de santé » sont formés, des campagnes de vaccination sont mises sur pied et un système de postes et de centres de santé est mis en place, de manière à offrir des soins jusque dans les villages les plus retirés.

Aujourd’hui, ce système est en ruine. Le personnel qui travaille dans les postes et les centres de santé a été drastiquement réduit, il n’y a plus ni médicaments ni matériel. Le budget national ne suffit pas à couvrir les besoins les plus élémentaires. Seuls les chiffres sur la couverture vaccinale reflètent encore l’effort mis en place dans les années 1980.

Les acteurs du système de santé ont donc vécu des années mouvementées. Les infirmières nicaraguayennes ont souvent passé une bonne partie de leur carrière dans des zones de conflits, durant les années 1980. Une grande partie d’entre elles ont été formées pendant les années de la révolution, dans une ambiance de guerre, mais aussi d’espoir de changement. Elles se retrouvent aujourd’hui à exercer leur métier dans des conditions de dénuement total et sans aucune reconnaissance de la part du gouvernement.

Grève interminable

Face à ce manque de reconnaissance, les infirmières du Nicaragua, regroupées au sein du syndicat FETSALUD (Fédération des travailleuses et des travailleurs de la santé), ont décidé de se mettre en grève. Elles revendiquent une augmentation de salaire de 48%. Le revenu de base d’une infirmière est de 2800 cordobas (164 dollars). Etant donné le coût de la vie, ce salaire ne suffit pas à subvenir aux besoins quotidiens les plus élémentaires. Carlos, technicien en salle d’opération et secrétaire général de FETSALUD au sein de l’hôpital de Matagalpa, explique que son syndicat « existe depuis trente-trois ans, c’est-à-dire depuis avant la révolution. Nous avons une longue trajectoire de lutte ouvrière dans le secteur de la santé. Nous n’avons pas de couleur politique. Sur les 24 700 travailleurs du ministère de la Santé, 19 000 sont affiliés à notre syndicat. Ce qui nous unit, c’est la lutte pour le salaire et pour la gratuité des services de santé, comme le dit la Constitution du Nicaragua. »

Travailler jour et nuit

Nombre d’infirmières de l’hôpital de Matagalpa travaillent dans deux institutions à la fois, pour arriver à joindre les deux bouts : à l’hôpital la journée et dans une clinique privée la nuit, par exemple. Ce rythme de travail infernal est illégal, mais il demeure l’un des seuls moyens pour arriver à avoir de quoi vivre, lorsqu’on n’a pas de famille aux Etats-Unis pour envoyer de l’argent. Le rêve de la majorité des infirmières est d’obtenir une place au sein d’une ONG, dont les salaires sont nettement supérieurs et où les conditions de travail sont incomparablement meilleures.

Ras-le-bol général

La grève de FETSALUD rejoint celle des médecins, regroupés au sein du syndicat PROSALARIO. Eux aussi demandent une augmentation salariale : ils gagnent actuellement trois à quatre fois moins que leurs collègues centraméricains1. Les deux syndicats adressent leurs revendications au gouvernement qui, pour l’instant, ne réagit pas. Les revendications des travailleurs de la santé se joignent aussi à celles des instituteurs, qui menacent de faire grève depuis la rentrée scolaire ; à celles des travailleurs des transports, qui ont paralysé la capitale par une grève ; et même à celle des travailleurs du système judiciaire, qui ont fermé les portes des tribunaux !

Changement radical

Le remède à cette crise généralisée n’est certainement pas une nouvelle augmentation de salaire insignifiante, mais bien un changement radical dans la politique du gouvernement ; non pas une énième réforme de la loi, mais un nouveau projet de société, qui inclut les plus démunis.

Démotivation, déresponsabilisation

Manque de reconnaissance, salaires misérables, manque de matériel, manque de perspectives d’avenir : tout cela entraîne une grande
démotivation au sein du personnel infirmier. Et ce manque de motivation amène à son tour une déresponsabilisation. Les soins de confort du patient sont délégués à la famille, qui est présente nuit et jour à son chevet. Un grand nombre de gestes infirmiers sont effectués par les étudiants médecins : le sondage vésical, la pose d’une sonde nasogastrique, les pansements et les soins de trachéostomie, par exemple. Les infirmières voient leur rôle se réduire petit à petit et elles n’ont plus ni responsabilité, ni autonomie.

Difficile donc de trouver sa place en tant qu’infirmière dans ce cadre. L’école d’infirmières apprend à ses élèves des gestes qu’elles ne mettront jamais en pratique. D’ailleurs, la majorité des infirmières diplômées sont cheffes de service et ont donc un rôle essentiellement administratif. Les auxiliaires infirmières sont celles qui restent sur le terrain.

Le nombre de médecins est très élevé par rapport aux infirmières, ce qui explique en partie cette situation. Les facultés de médecine sont surchargées, alors que l’école d’infirmières peine à remplir ses rangs. La perspective d’un emploi mal payé et pas reconnu n’est pas là pour faire de la publicité.

C’est dans ce climat que travaillent les infirmières nicaraguayennes. Leur combat pour la reconnaissance de leur travail ne fait que commencer et risque d’être long. Mais elles n’ont rien à perdre.

Le secteur privé : en pleine forme

La grève bat son plein et les hôpitaux publics se vident, au désespoir de la population la plus pauvre, mais au bénéfice des cliniques privées. Celles-ci sont pleines à craquer. En effet, si le matin, les médecins spécialistes sont en grève, ces mêmes médecins travaillent dans les cliniques privées l’après-midi. Les patients qui peuvent se le permettre se saignent donc pour se payer des soins dans le secteur privé. C’est avant tout la population paysanne et pauvre (70% des Nicaraguayens) qui est violentée par cette grève et par le fait que le gouvernement ne réagisse pas.

Le secteur privé commence d’ailleurs à s’étendre à l’intérieur même du secteur public ! Ainsi l’hôpital de Matagalpa héberge un service privé. La fermeture de ces espaces privatisés figure d’ailleurs parmi les revendications de FETSALUD, à côté des salaires et de la fourniture de matériel aux centres de santé.

En face de la pharmacie publique de l’hôpital, où les patients sont censés recevoir gratuitement leur traitement, une pharmacie privée a aussi ouvert ses portes. Une proximité qui ulcère le secrétaire hospitalier du syndicat : « La Constitution dit que le système de santé nicaraguayen est gratuit, tout comme l’éducation, mais ça n’est pas vrai, accuse Carlos. C’est vrai qu’il n’y a pas une facturation directe à la population, mais quand on donne au patient une ordonnance pour la pharmacie publique et que celle-ci lui dit : « Y’a pas ! », c’est une espèce de facturation... » D’autant que son homologue privée, elle, est très bien garnie, mais hors de prix...

1 - A relever toutefois que la situation des infirmières n’est pas comparable à celles des médecins, au sens où ces derniers ont l’espoir de pouvoir un jour ouvrir leur clinique privée (ce qu’ils font tous), ce qui leur permettra de vivre dans l’aisance.


Juliette Fioretta est infirmière, stagiaire de l’ONG suisse GVOM (Groupe de volontaires d’Outre mer).

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