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BRÉSIL - L’impunité dans le Pará depuis des décennies... et jusqu’à quand ?

Agnes Moreira-Van Ginneken, Infoterra

vendredi 28 avril 2006, mis en ligne par Dial

Avril 2006 - Infoterra - Le 17 avril, Journée internationale de la lutte paysanne a revêtu cette année un ton particulier. Le 17 avril 1996, il y a dix ans jour pour jour, étaient assassinés 19 paysans liés au Mouvement des Sans Terre, et blessés 69 autres, pendant ce qui est resté connu comme le « Massacre d’Eldorado dos Carajás ». Certains furent attachés puis assassinés à bout portant. Depuis le 17 avril 1996, trois personnes sont mortes des séquelles de leurs blessures. Dans cette même région, dix ans avant ce massacre, le 10 mai 1986, avait déjà été tué le Père Josimo Morais Tavares, qui travaillait dans la région du Bico do Papagaio, dans le Tocantins, Etat voisin du Pará. La situation aujourd’hui n’est guère meilleure.


La violence dans cette région du Brésil, contre ceux qui revendiquent le droit à un morceau de terre et à une vie digne, ne faiblit pas et pour cause : l’impunité persiste malgré les actions visant à demander la justice au niveau national et international. Ni les morts n’ont droit à la justice, ni les vivants. Et ainsi la violence se perpétue, impunie et ignorée par les élites gouvernantes.

Le massacre d’Eldorado a été jugé, trois fois, et nous en avons fait état à maintes reprises dans Info Terra : 144 soldats acquittés et 2 commandants condamnés. Les donneurs d’ordres, quant à eux, ne sont ni nommés, ni inquiétés : ils sont au plus haut de la hiérarchie du gouvernement de l’Etat. Pour mémoire, le colonel Mário Corales Pantoja et le major José Maria Pereira de Oliveira ont été condamnés par un jury populaire à 228 et 154 années de prison respectivement, ils ont passé quelques mois en détention mais ont curieusement été relâchés fin 2005 et attendent toujours en liberté le jugement en appel déposé auprès du Tribunal Suprême de Justice. (cf. Appel urgent, Frères des Hommes-Réseau Solidarité, dans la rubrique « Solidarité »)
De leur côté, les survivants blessés n’ont jamais pu faire valoir leurs droits à des soins adéquats, certains souffrant encore aujourd’hui de la présence de balles dans le corps, parfois dans la tête. Ils ont encore moins eu droit à une indemnisation pour dommages moraux. 20 blessées ont intenté une action en justice depuis 1998, sans aboutir à aucun résultat pour le moment. Les veuves et les orphelins sont quant à eux abandonnés des pouvoirs publics et n’ont reçu presque aucune pension.

L’avocat des victimes explique que « le drame que vivent ces personnes aujourd’hui et les séquelles physiques sont toutes conséquences de leurs blessures. Mais elles ont été aggravées et sont devenues irréversibles du fait de la négligence du gouvernement du Pará dans l’assistance médicale, sans parler de l’assistance psychologique qui a été inexistante ».

Cette situation d’impunité n’est pas propre au massacre dont nous commémorons les dix ans aujourd’hui. Même si celui-ci est emblématique de cette impunité persistante, la Commission pastorale de la terre (CPT), dénombre dans cette région 565 assassinats non jugés, entre 1972 et 2004.

Durant l’année 2005 seulement, 31 personnes ont été tuées dans des circonstances très violentes par des tueurs à gage. Nombre de ces personnes, comme la missionnaire Dorothy Mae Stang, assassinée le 12 février 2005, avaient été menacées de nombreuses fois de mort et savaient leur tête mise à prix [1].

Le vice des grands propriétaires va jusqu’à l’édition d’une « liste des marqués pour mourir », qui comptait 24 noms en 2001. Pour compléter ce cruel et odieux tableau, cette liste est parfois même accompagnée d’une liste de « tarif », variant selon que le tueur assassine un syndicaliste, un leader du MST ou de la CPT... Ainsi, dans le seul Etat du Pará durant l’année 2005, la Commission Pastorale de la Terre a recensé 73 menaces de mort, en direction de paysans, de syndicalistes, de leaders du MST, de politiques ou de religieux.

Cet Etat compte tellement de morts dans le cadre de la lutte pour la terre, que la situation est souvent comparée à celle d’une guerre civile. Dans cette lutte, la mort touche sans distinction de sexe ou d’âge : entre 1964 et 2004, sont morts 18 femmes, 6 personnes de plus de 60 ans et 11 enfants. Selon la CPT toujours, 86% des municipalités du Pará vivent des conflits agraires, et dans 58% d’entre elles des travailleurs ruraux ont été assassinés.

Cette violence est subie sous bien des formes et ne permet pas aux travailleurs et travailleuses de revendiquer leur droit à une vie digne. Hormis les assassinats et les menaces de morts, la région sud sud-est du Pará compte un grand nombre de prisonniers, souvent des travailleurs ruraux dont le seul tort aura été d’occuper une terre improductive ou accaparée illégalement par un latifundiste. La CPT recense en 2005, 56 personnes emprisonnées pour des raisons politiques.

Rogerio Almeida [2] rappelle que les violences contre les sans terre réalisées au nom de la défense de la propriété privée sont d’autant moins justifiées que 2% des propriétaires d’Amazonie seulement seraient en mesure de justifier la réalité de leur titre de propriété, selon les chiffres issus de la Commission parlementaire d’enquête de 2001.
Le nombre des tueurs à gage dans l’état du Pará est à un niveau très élevé et ils sont souvent associés aux luttes et au vol de terres. Les assassinats dont nous avons parlé et l’absence de jugement sont des exemples frappants de la connivence entre les propriétaires terriens, les tueurs à gage et le système judiciaire.

Il est important de noter que si l’Etat du Pará est celui qui concentre aussi le plus grand nombre de projet d’assentamentos, parallèlement l’extension de la production de céréale et en particulier le soja, entraîne chaque jour plus de familles sur les routes.
João Pedro Stédile, leader du MST, explique que depuis les trois ans du gouvernement Lula, le MST a plus de 2.500 familles qui campent sur le bord des routes et plus de mille en situation de précarité, même installées sur des terres. En parallèle, il observe que l’Institut national de colonisation et réforme Agraire (INCRA) n’a installé que 35 familles liées au MST dans la même période dans l’Etat du Pará [3].

Ainsi, dans un Etat de 2,3 fois la superficie de la France, soit 1.247.689,515 Km², et dont la population est 9 fois moins élevée, la concentration des terres entre les mains d’une poignée de familles toute puissantes ne pourra pas calmer ce conflit sans une volonté politique forte de la part de l’Etat national. On est donc en droit de s’interroger sur la possibilité de la fin de cette violence contre les plus pauvres, sans la réalisation de la Réforme Agraire.

Agnes Moreira-Van Ginneken.


Notes :

[1] Lire Info Terra n°57 de Mars 2005

[2] Étudiant en Master de l’Université Fédérale du Parà et membre du secteur de la communication du MST du Parà

[3] Lire l’entretien avec João Pedro Stédile, sur Risal :

http://www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1717

A lire également, l’entretien avec Dom Tomás Balduino, président de la CPT, sur Risal :

http://www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1719


http://www.france-fdh.org/terra/infoterra/dernier.htm

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