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Lettre du Pôle Amérique latine, n° 80 - mars 2010

HAÏTI - Bilan de la mission effectuée au nom de l’Église de France

Mgr Marc Stenger

mercredi 31 mars 2010, mis en ligne par CEFAL

Envoyés par l’Église de France, Mgr Marc Stenger et le P. Philippe Kloeckner se sont rendus en Haïti du 12 au 19 février 2010.


Notre mission

Nous venons de passer une semaine en Haïti, pour exprimer à l’Église et au peuple haïtien la solidarité de l’Église et des chrétiens de France dans la tragédie qu’ils vivent. Pour prolonger l’élan extraordinaire de générosité qui s’est manifesté, entre autre, au sein des communautés chrétiennes, il était important de se rendre sur place pour partager la souffrance des Haïtiens, pour témoigner auprès d’eux de la proximité des chrétiens de France et de tous les autres, pour constater l’étendue de la catastrophe, se mettre à l’écoute de leurs besoins et de leurs attentes et en rendre compte, et essayer d’y donner suite selon nos possibilités. Nous avons rencontré les responsables politiques et religieux, des prêtres haïtiens, des responsables d’ONG, mais aussi des malades et des réfugiés.

Une messe pour partager la souffrance des Haïtiens (photo : Philippe Kloeckner)

Ce que nous avons vu et entendu

Port au Prince, ou encore une ville comme Léogâne sont des immenses champs de ruines. Le séisme n’a épargné ni les maisons particulières ni les édifices publics. On a l’impression d’une population qui vit hors de ses murs, dans la rue, dans d’immenses camps de tentes qui se sont installés parfois de manière très anarchiques, qui ont envahi tous les espaces disponibles.

Le sentiment de désolation est accru par le fait que personne ne semble donner d’instructions ou concevoir des plans sur ce qu’il convient de faire. Un mois après la catastrophe on commence seulement à déblayer le terrain, mais nul n’est en mesure de dire ce qui se passera après. On perçoit nettement le défaut d’une autorité capable de centraliser les efforts, les plans et de répondre aux besoins du déblaiement, de la salubrité, et de la santé publique.

L’immense bâtiment du séminaire est en ruine. Le recteur est tous les jours sur le site pour le préserver du pillage, car il y a beaucoup d’objets à récupérer sous les décombres, mais nous avons eu du mal à voir une quelconque programmation et organisation des travaux.
Ce qui est impressionnant, c’est de trouver au cœur de ce spectacle de désolation des hommes et des femmes debout, qui refusent de se laisser accabler, qui gardent le sourire, qui s’organisent dans leurs villages de tentes pour vivre. Il est d’autant plus désolant de constater qu’il n’y a aucune direction pour l’avenir, qu’à l’heure où nous sommes, personne n’est capable de définir ce que devra être le nouvel Haïti que tous disent qu’il faut construire. Et dans le même temps les promesses de vie sont inscrites dans le regard de chaque Haïtien.

Les problèmes à résoudre

Quel avenir ? La question est de savoir sur quelle force, sur quels groupes pouvoir compter. S’il est important de considérer que l’avenir d’Haïti soit aux Haïtiens, il faut pouvoir repérer les forces alternatives qui pourraient suppléer aux carences des politiques en qui le peuple haïtien n’a aucune confiance.

L’Église peut-elle être une de ces forces alternatives ? Elle est jeune ; il y a beaucoup de prêtres jeunes. Mais la hiérarchie semble complètement dépassée par les problèmes que la situation d’aujourd’hui lui pose. Le peuple haïtien a été très affecté par la mort de l’archevêque de Port au Prince, Monseigneur Miot. Les séminaires sont détruits, les séminaristes ont été renvoyés dans leurs diocèses. L’urgence serait de permettre aux 200 séminaristes de poursuivre leur formation. En quels lieux ? Avec quels formateurs ? La réponse à ces questions demande de l’inventivité et de l’audace.

Il y a un bon réseau d’écoles catholiques, tenues par des congrégations religieuses dont un certain nombre sont d’origine française (par exemple les Frères de l’Instruction Chrétienne de Ploërmel). Leurs établissements ont souffert aussi du tremblement de terre. Des élèves et des professeurs sont morts. Des campus sont occupés par les réfugiés. Mais au cours de nos visites nous avons perçu leur détermination à répondre très vite pour ne pas laisser le vide et la démoralisation s’installer.

Après un bon mois, la principale interrogation est celle de la reconstruction du pays. Le Président Préval a même dit, de la construction. L’avenir dépendra beaucoup de l’aide qui sera apportée aux Haïtiens. Les ONG dont certaines commencent à se retirer maintenant qu’il y a moins d’urgences, ont été très présentes dans la phase principale. On aura encore besoin d’équipements sanitaires, de médecins spécialistes, d’infirmiers et surtout d’accompagnement psychologique, tant des traumatismes profonds se sont installés. La reconstruction du pays, c’est aussi et peut-être surtout la reconstruction de l’homme haïtien.

Il faut absolument éviter de mettre le pays sous tutelle. La population a montré et montre une grande dignité dans l’épreuve. Il s’agit de mettre en valeur ses ressources propres, son ingéniosité. C’est un pays qui n’a pas eu beaucoup de chance, qui régresse depuis la dictature de Duvalier, sous les influences conjuguées des éléments naturels et de la « malfaisance » des ses politiciens. Il y a une certaine unanimité à souligner la dégradation intervenue au temps du Président Aristide. Nous sommes prêts à plaider pour un accompagnement durable et désintéressé de la communauté internationale : c’est ainsi qu’il apparaît essentiel de décider ensemble la remise de la dette, condition sine qua non pour la reconstruction du pays.

Distribution d’eau et de vivres aux Haïtiens sinistrés (photo : Philippe Kloeckner)

Aider l’Église d’Haïti

L’angle d’approche de notre observation et de notre questionnement était : comment aider l’Église d’Haïti dans cette phase difficile. Quelques points clefs :

 Pour préparer l’avenir il faut permettre que se poursuive la formation des jeunes. La remise en route des écoles est essentielle. Des solutions provisoires vont être mises en œuvre : classes sous tentes, etc. Il faut que les congrégations religieuses, dont la plupart des maisons-mères sont ailleurs qu’à Haïti, consentent à l’effort de soutien matériel de reconstruction pour permettre que ces réactions de survie aient une suite.

 Il faut veiller particulièrement à la formation des futurs prêtres, les cadres de l’Église de demain. Sur ce point aussi, il convient de prendre appui sur les ressources locales. L’Église locale a cependant besoin d’appuis que l’Église de France peut lui apporter : mise à disposition d’enseignants pour des périodes déterminées, collectes de livres. On peut ouvrir nos instituts spécialisés pour une formation de formateurs. Il est cependant préférable de faire bénéficier le plus grand nombre des formations de ces instituts, en les organisant sur place, à moindre coût et à plus large échelle.

 Nous voulons aussi avoir une attention particulière pour des séminaristes grièvement blessés. Il est nécessaire de les « appareiller ». Nous pourrions prendre en charge leur accueil et leur traitement médical.

L’Église de France peut jouer, dans cette aide à l’Église d’Haïti, un rôle très concret. Nous tenons à souligner l’engagement important des Pères de Saint Jacques, qui en raison de leur présence séculaire à Haïti sont des intermédiaires de premier plan.

Ce qui est important surtout, c’est de ne pas trop vite passer à autre chose. Le destin d’Haïti et de son Église devra rester un certain temps au premier plan de notre sollicitude. Il faudra être présent longtemps. Nous devons demeurer ceux qui veillent sur le destin de ce peuple.

+ MGR MARC STENGER
Évêque de Troyes
Évêque accompagnateur du
Pôle Amérique latine


Lettre du Pôle Amérique latine, n° 80 - mars 2010.

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