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DIAL 3106

MEXIQUE - Droits humains et droits des Indiens

Feliz Arizmendi Esquivel

samedi 1er mai 2010, par Dial

Mgr Felipe Arzmendi Esquivel, évêque de San Cristóbal de Las Casas (Chiapas, Mexique) a participé au Forum sur « Les Accords de San Andrés, une tâche qui reste à accomplir », organisé par la COCOPA (Commission de concorde et de pacification), au Sénat de la République, le 21 avril 2010. Nous publions ici le texte de son intervention. À l’époque, DIAL avait suivi de près la conclusion des Accords de San Andrés entre l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le gouvernement mexicain, le 16 février 1996 [1].


Je vous salue respectueusement et vous remercie de l’opportunité de partager avec vous quelques préoccupations et propositions sur les droits des peuples indiens, non seulement du Chiapas mais du Mexique et d’autres lieux. Je ne suis pas expert en lois ou en d’autres sciences, je chemine seulement avec eux. J’ai été au Chiapas durant 19 ans : 9 avec les Indiens mames, mochos et kanjobales, 10 avec les Tseltales, Tsotsiles, Ch’oles, Tojolabales et Zoques. Avant de devenir évêque au Chiapas, j’ai partagé une partie de ma vie avec les Otomies et les Mazahuas de l’État de Mexico.

Comme responsable de la pastorale indienne du pays, j’ai dû me rapprocher des réalités indiennes nationales, et comme responsable du département des populations indiennes au CELAM [2], j’ai eu l’opportunité d’apprendre certaines choses des peuples indiens d’Amérique latine.

Situation

 1. Selon certains recensements, il y a plus de 42 millions d’Indiens en Amérique latine ; au Mexique il y en a environ 12 millions, appartenant à 56 ethnies reconnues. Ils souffrent de graves attaques contre leur identité et leur survie car la mondialisation économique et culturelle met en péril leur existence de peuples différents. Leur transformation culturelle progressive provoque la disparition rapide de certaines langues et cultures. La migration, sous la contrainte de la pauvreté, a une profonde influence sur le changement des coutumes et des relations entre eux-mêmes. Cependant, on constate l’émergence évidente de plusieurs ethnies qui sont de plus en plus présentes dans la société et exigent le respect de leurs droits.

 2. Non seulement le cri lancé le 1er janvier 1994 mais aussi les statistiques nationales nous confirment que la majorité des Indiens ne jouissent pas de tous les droits dont nous, comme Mexicains, devons jouir, mais qu’ils vivent appauvris et exclus. Le droit à la vie est limité car beaucoup de mères indiennes n’ont pas accès aux soins médicaux et à une alimentation suffisante durant la grossesse, aussi beaucoup avortent-elles sans le vouloir, certaines meurent à l’accouchement ou leurs enfants naissent dans des conditions inhumaines. Ils ne jouissent pas du droit à la santé : on trouve dans leurs villages les plus hauts indices de dénutrition et de mortalité infantile. Il est très douloureux de constater que des maladies guérissables sont mortelles pour eux uniquement parce qu’il n’y a pas de médecins ni de médicaments accessibles. Ils ne jouissent pas du droit à l’éducation scolaire de base, aussi l’analphabétisme sévit-il dans leurs villages. Les prisons du pays retiennent injustement beaucoup d’entre eux uniquement parce qu’ils sont pauvres et n’ont pas les ressources nécessaires pour payer un avocat ou une petite caution.

 3. Un racisme inhumain et antichrétien se poursuit contre eux. Beaucoup de Mexicains continuent à penser qu’être indien c’est être ignorant, sale, stupide et, pour autant, objet de dénigrement et d’exploitation. Un certain nombre pensent que la présence de tant d’Indiens dans le pays est un signe de retard, une honte, un vestige du passé, et qu’il serait mieux qu’ils n’existent pas. On ne les écoute pas, on ne les prend pas en compte, on n’estime pas leur parole, on n’apprécie pas leur culture car on ne les connaît pas avec le cœur. On leur a marchandé le droit d’être reconnus comme peuples originaires, comme sujets de droit public pour s’organiser et s’administrer, selon des modalités politiques et sociales distinctes de celles de l’ensemble du pays. On ne leur a pas reconnu le droit d’exercer la justice selon certaines de leurs coutumes fort sages et efficaces. On ne les a pas pris en compte dans tous les cas pour décider des ouvrages publics tels que routes et constructions sur leurs propres territoires. À l’exception de Oaxaca, on ne reconnaît pas leur mode d’élection des autorités, et ils ont à se soumettre à des partis et des systèmes électoraux étrangers à leur culture. Ils procèdent par assemblées au cours desquelles il s’agit d’atteindre un consensus sans avoir à recourir à la majorité des votes. Il y a eu un progrès avec la réforme indienne constitutionnelle d’avril 2001, mais il est nécessaire de continuer.

 4. Il est juste de reconnaître que le gouvernement fédéral, ainsi que celui des États et des municipalités, au cours des trois et des six dernières années, ont orienté beaucoup de ressources vers le Chiapas et quelques autres États abritant une population indienne, pour rattraper le retard historique dont ces peuples ont souffert. Au cours des 19 années passées au Chiapas, je suis témoin que davantage de routes ont été ouvertes de partout et que certaines ont été goudronnées ; presque toutes les communautés ont été électrifiées, à l’exception de celles qui sont « en résistance », qui ont refusé tout ce que fait le gouvernement, et n’ont pas accepté les routes et l’électrification. Il y a davantage d’écoles et d’universités, de cliniques et d’hôpitaux. Des programmes d’aide aux pauvres ont été mis en place et des efforts ont été faits pour modifier certaines lois en leur faveur. Également, des groupes solidaires d’entrepreneurs mexicains ont apporté leurs ressources pour combattre la pauvreté. Les organisations non gouvernementales et les Églises ont fait autant qu’elles ont pu pour s’engager en faveur de la libération intégrale des pauvres et des marginalisés. Cependant, l’inégalité et le déséquilibre en comparaison d’autres régions et d’autres groupes sociaux sont tels qu’il reste encore beaucoup à faire pour que justice se réalise à l’égard de ces Mexicains qui sont nos frères et qui font radicalement partie de notre histoire et de notre identité nationale. Les ignorer c’est nous nier nous-mêmes.

 5. Nous n’idéalisons pas les cultures indiennes car nous sommes conscients qu’il y a aussi des injustices entre eux-mêmes, une marginalisation de la femme, un esclavage à l’égard de certaines coutumes, des traditions qui ne respectent pas toujours les droits de tous et que des décisions communautaires s’imposent qui ne prennent pas en compte les droits individuels. Il existe des intolérances vis-à-vis des différences, de la diversité, en politique comme en religion. Il y a encore des lieux, chaque jour moins nombreux, où l’on ne tolère pas qu’une ou plusieurs personnes changent de préférence religieuse ; parfois on les menace, on les expulse et on viole leur droit à la liberté religieuse, consacrée dans la Constitution et promue par notre Église. Nous-mêmes nous n’encourageons pas l’intolérance, nous ne proposons pas que l’on fasse payer pour les festivités religieuses, ni qu’on leur impose les obligations d’un credo différent du leur. Nous avons insisté pour que les assemblées communautaires respectent les droits de tous à professer la religion de leur choix ; cependant, il n’en va pas toujours ainsi car pour beaucoup, l’unique chose qui compte est la coutume et la décision de l’assemblée, non les lois civiles ou la Bible. En contrepartie, nous les catholiques souffrons des intolérances et des offenses de la part d’autres religions.

Propositions

 6. Marcher de concert avec nos frères indiens en ce moment où ils font irruption dans la société, revendiquant la reconnaissance de leur identité culturelle. Écouter avec respect leurs propositions, leurs inquiétudes, leurs besoins, avant de proposer et d’approuver de nouvelles lois. Alors même qu’on leur veut du bien, ce but ne sera pas atteint si on ne les prend pas en compte. Il ne suffit pas d’écouter les non-Indiens dont nous disons qu’ils parlent pour eux ; c’est justice de leur donner à eux-mêmes la parole et de les écouter avec humilité.

 7. Les « Accords de San Andrés » sont une base pour avancer vers de nouvelles propositions législatives, car ils s’appuient sur le travail de députés, sénateurs, experts et membres de l’EZLN [3]. S’ils n’ont pas abouti de manière heureuse, il faut faire de nouveaux efforts, comme tente de le faire la nouvelle COCOPA, et garder l’espoir. Il faut finaliser ce qui doit l’être, éviter les risques qui ont empêché en 1995 leur approbation légale et faire de nouveaux pas en avant en prenant en compte la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, du 13 décembre 2007.

 8. Entre autres choses, il faut progresser dans la reconnaissance de leur personnalité juridique comme peuples particuliers, avec une histoire et une identité propre. Reconnaître, dans les limites convenables, leur droit à une légitime autonomie, l’autodétermination et l’autogestion, à l’intérieur de l’unité nationale nécessaire. Reconnaître leur droit à disposer de leurs territoires historiques et à être consultés quand des ouvrages ou des projets sont prévus et exécutés sur leurs terres. Reconnaître leurs systèmes d’élection des autorités selon des voies différentes des partis politiques. Reconnaître leurs systèmes juridiques et éducatifs, leurs langues, leur façon de rendre la justice et de résoudre les conflits. Trouver les formes juridiques pour éviter qu’il n’y ait davantage d’intolérance religieuse, combinant les droits communautaires et individuels.

 9. Toutefois, en dépit de la bonne volonté des membres de la COCOPA pour remettre à l’ordre du jour les « Accords de San Andrés », on ne progressera pas d’une façon satisfaisante pour l’EZLN et pour beaucoup d’autres Indiens, si ceux-ci ne participent pas, s’ils ne sont pas pris en compte, si l’EZLN n’accepte pas un nouveau dialogue, au moins avec cette instance de la COCOPA. À cause de cela, avec beaucoup de respect je prie instamment la COCOPA de ne pas se décourager et de continuer à rechercher les moyens de se rapprocher du Commandement général de l’EZLN, pour l’inviter à un nouveau dialogue, alors même que celui-ci déclare qu’il ne fait confiance à aucune instance officielle. Et finalement, avec affection et respect, je lance un appel cordial au Commandement général de l’EZLN pour qu’il donne une nouvelle chance à l’espérance et accepte un dialogue sur les « Accords de San Andrés », non seulement pour continuer à lutter pour une paix plus profonde et stable au Chiapas, mais pour que les Indiens du Mexique puissent jouir des droits correspondants à leur place de peuples membres de notre pays. Je vous remercie.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3106.
 Traduction d’Alain Durand pour Dial.
 Source (espagnol) : site de la Conférence de l’épiscopat mexicain (CEM), 26 avril 2010.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Voir DIAL 2080, 2081 et 2082 traduisant une partie des accords (numéro du 1er juin 1996) et DIAL 2284 - « Mexique - Trois ans après leur signature, les Accords de San Andrés ne sont toujours pas appliqués » (1er mars 1999).

[2Conseil épiscopal latino-américain – note DIAL.

[3Ejército Zapatista de Liberación Nacional, Armée zapatiste de libération nationale en français – note DIAL.

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