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DIAL 3114

ARGENTINE - Lettre ouverte à la société des « fous » de l’hôpital Borda

vendredi 2 juillet 2010, mis en ligne par Dial

Dans ce numéro de juillet, nous consacrons trois articles à des expériences conduites au sein de l’hôpital neuropsychiatrique José Tiburcio Borda à Buenos Aires. Le premier revient sur l’expérience de la radio La Colifata, qui émet chaque samedi depuis l’hôpital. Le second est la première partie d’un long entretien avec Alberto Sava, fondateur du Front des artistes du Borda dont nous publierons la deuxième partie dans le numéro de septembre. Le troisième, publié ci-desssous est un court texte rédigé par les membres de l’atelier de journalisme du Front des artistes du Borda en 1989 et repris sur le site du Front des artistes du Borda.


Nous sommes derrière les murs de cet hospice d’où nous regardons filer des heures et des jours vides de contenu, vides d’amour, seuls, toujours seuls.

Serions nous dangereux, nous, les fous ? Au point que Dieu nous a expédiés vers cet enfer ? Qui sont les anges vêtus de blanc qui parlent pour nous ? Devons-nous, pour nous rétablir, rester enfermés ici ? Est-ce au nom de notre propre sécurité ou au nom de la sécurité de ceux qui vivent au dehors ?

Ceux qui nous raillent comme si nous étions des bouffons et nous marginalisent comme des chiens galeux sont ceux-là mêmes qui nous interdisent de travailler et qui font partie du système corrompu dans lequel seuls les puissants vivent. Ils nous ont exilés du paradis de la raison pour nous plonger dans le tourbillon de violence de l’asile. Est-il possible de quitter cet hospice ? Quelques uns seulement obtiennent l’autorisation de sortie, ce grand miracle réalisé par les divins médecins. Alors nous vient à l’esprit immédiatement, une strophe du Martín Fierro [1] : « Y en a-t-il qui soient maudites au point de guérir avec ce petit jeu-là ». On peut penser que celui qui guérit ne l’a fait que pour donner raison à celui qui est supposé l’avoir guéri. Mais… où va-t-il vivre ? Où va-t-il se nourrir ?

Qui connaît l’œuvre de José Hernandez sait de quoi nous parlons. D’après lui, les Indiens, pour guérir les malades, les enduisaient de graisse et les mettaient à frire au soleil tandis qu’une femme brûlait leur bouche avec une pierre incandescente et qu’une autre leur proférait des malédictions à l’oreille.

Qui peut bien aller s’imaginer qu’avec un tel mauvais traitement, de telles tortures, qui que ce soit pouvait guérir….

On tourne en rond dans un cercle vicieux. À quoi servent ces asiles d’aliénés ? Où est la clef pour sortir de cet enfer ? À quelle eau un fou peut-il se désaltérer pour guérir ? Que faire pour imposer des limites à une société de plus en plus bestiale ? Cette société ne comprendra-t-elle donc pas que la justice ne se marchande pas et que la liberté est impossible dans un « ordre » qui réprime et qui en lieu et place d’humains engendre des démons.

La société aurait-elle besoin de cloaques, comme cet asile d’aliénés, pour purifier les eaux de son bourbier ? Face à ces murs que faire ? La force de les détruire viendra-t-elle du ciel, de la mer ou de la terre elle-même ?


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3114.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : site du Front des artistes du Borda.

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[1Martín Fierro, de José Hernandez, a été publiée en décembre 1872 pour la 1ère partie, et début 1879 pour la 2ème. C’est un long poème épique à la gloire du « gaucho ». L’action se déroule sur dix ans (1867- 1876) et le héros en passe cinq parmi les Indiens. L’ouvrage connut un grand succès dés sa parution : en 1894, 64 000 exemplaires avaient déjà été vendus en Argentine – NDLT.

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