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VENEZUELA - Des peuples indigènes à la conquête de leurs droits (par Johanna Lévy, Alia2)

vendredi 18 août 2006, mis en ligne par Dial

« Un Ye’Kuana sans terre n’est pas un Ye’Kuana »

9 août 2006 - Alia2 - Une certaine euphorie règne en ce mois de février à Puerto Ayacucho, la capitale de l’Etat sud occidental d’Amazonas, au Venezuela. Par petits groupes, hommes et femmes en tenue traditionnelle ont convergé de tout le bassin de l’Orénoque pour représenter leurs communautés à la première assemblée du « peuple des rivières », les Ye’Kuana, l’un des 35 peuples originaires existant au Venezuela. Un évènement justifiant amplement un trajet de plusieurs jours de pirogue pour atteindre la capitale régionale.

« Nous sommes en train de vivre un moment historique, s’enthousiasme Mercedes Maldonado. Pour la première fois, nous allons pouvoir discuter tous ensemble de ce que nous voulons pour notre peuple, nos terres et nos rivières ». Mercedes, que ses frères Ye’Kuana appellent en réalité Dinamayu, est membre depuis deux ans du comité de direction de l’Organisation Régionale des Peuples Indiens d’Amazonas (ORPIA). Une organisation chargée de la promotion des droits des 19 ethnies qui existent dans cette région, où la très grande majorité de la population est d’origine indigène. « Nous ne pourrons pas traiter de tous nos problèmes en une seule fois, admet Mercedes. C’est pour cela que nous allons commencer par nous attacher à la démarcation de nos terres. C’est le plus urgent car un Ye’Kuana sans terre n’est pas un Ye’Kuana. Pour nous, la terre est sacrée et nous devons la protéger ».

Carte en main, shamans et caciques [1]. des différentes communautés Ye’Kuana d’Amazonas s’attacheront ainsi pendant trois jours à tracer les limites topographiques de leurs espaces. Une aide précieuse sollicitée par le gouvernement vénézuélien à travers la Loi organique des Peuples et Communautés Indigènes publiée un mois auparavant [2].

« On a toujours décidé à notre place. Avec la nouvelle Constitution, nous, les peuples originaires, pouvons enfin décider de notre destin. Et faire reconnaître nos droits sur ces terres que l’on tente de nous spolier depuis des siècles ».

Plus de 500 ans après la conquête du pays par les Européens, les peuples originaires du Venezuela peuvent en effet, pour la première fois, faire valoir leurs droits.

Retour sur l’histoire d’une spoliation

Les fondateurs de la première République vénézuélienne s’étaient préoccupés de la population indigène du pays : la Constitution de 1811 les reconnaissait comme des citoyens égaux aux autres, et leur droit sur leurs terres avait une valeur constitutionnelle. Mais ces idéaux furent progressivement violés au cours du 19ème siècle par une société créole triomphante et en plein essor.

Faisant valoir sa gloire d’avoir libéré le Venezuela du joug espagnol et profitant de la méconnaissance des indiens quant à la langue et aux lois de la société créole, cette dernière s’emparera peu à peu de la majorité de leurs terres. Effectuées tout d’abord par la force et la violence, ces spoliations pourront bientôt s’appuyer sur la loi. Les terres reconnues comme indiennes deviennent en effet des « réserves » (lois de 1884, 1895 et 1904), tandis que seuls les peuples vivant dans la Guajira, au nord-ouest du pays, et dans l’Amazonie, sont reconnus comme tels. Partout ailleurs, les terres seront qualifiées de « friches » et expropriées. Les bases des latifundios [3], qui existent encore aujourd’hui dans le pays, se mettent ainsi en place. Spoliées de leurs terres, de nombreuses ethnies des plaines se verront contraintes de migrer dans les faubourgs des villes, tandis que les autres se réfugieront dans les zones géographiques difficiles d’accès.

Assimilés par la suite à de simples paysans (article 77 de la Constitution de 1961), ce n’est que dans les années 80 que la spécificité des Indiens du Venezuela commencera à être prise en considération. Mais pour Gladys Gonzales, originaire du peuple Wayuu de l’Etat de Zulia et professeur à l’Université Bolivarienne de Caracas, ces premières avancées ne changèrent pas fondamentalement le statut des Indiens du Venezuela [4].

“Il y a 20 ans, a été adopté au Venezuela le décret 283 sur l’éducation interculturelle bilingue. Mais ce ne sont pas les Indiens qui ont élaboré ce projet, ce sont les anthropologues. Ce sont eux qui nous ont dit comment nous devions écrire notre langue. Nous n’avions pas d’alphabet, notre langue est totalement orale. Les anthoropologues pensaient à notre place, visitaient nos communautés pour, dans le cas de certains d’entre eux, coucher avec nos soeurs. Et ils sont devenus très riches grâce aux photos qu’ils ont pris de nos peuples, en montrant notre nudité et notre spriritualité. Et nous ? nous sommes restés dans la pauvreté.”

Les dernières décennies restent en effet marquées par la dominante de politiques officielles indigénistes : plutôt que de reconnaître la spécificité des communautés indiennes, il s’agit de les incorporer à la vie générale du pays, en leur apportant protection et assistance sociale face à leur apparent retard et fragilité. Une assistance procurée la plupart du temps selon les normes des missions religieuses, celles-ci étant souvent les seules à opérer dans les territoires reculés habités par les peuples originaires. De fait, ce sont ces missions qui recevront les aides économiques attribuées par les différents gouvernements aux communautés indiennes du pays. Dans de nombreux cas, les missionnaires interdiront les pratiques traditionnelles tels les rites shamaniques, et ce, en dépit de leur dimension médicinale.

Face à ces pressions, de nombreuses communautés n’auront d’autre choix que celui d’abandonner leurs terres. Autour de la capitale régionale de l’Etat d’Amazonas, Puerto Ayacucho, les communautés indiennes se sont ainsi multipliées, celles-ci préférant s’y réfugier et y vivre selon leurs traditions que de continuer à subir l’autorité des missionnaires.

La Constitution Bolivarienne de 1999, un “acte de justice”

En mars 1998, alors qu’il n’est encore que candidat à la présidence du Venezuela, Hugo Chavez signe un « Acte d’engagement » mieux connu comme « Un engagement pour l’Histoire ». Il s’agit d’une série de promesses faites aux peuples originaires du pays, dans laquelle il prend « publiquement, nationalement et internationalement, l’engagement de solder la dette » historique de l’Etat à l’égard de cette population. « Une fois élu, se rappelle Gladys Gonzales, nous lui avons rappelé sa parole. Et c’est là qu’a commencé la lutte pour la Constituante, pour que nous soyons reconnus comme peuples à part entière, ayant des droits spécifiques, et que l’on reconnaisse également notre droit de participer à la vie nationale”.

Une fois élu, Hugo Chavez convoque en effet un référendum pour permettre à la population vénézuélienne d’exprimer son accord ou son désaccord quant à la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante. Après un vote largement en sa faveur, 131 délégués sont élus dans l’ensemble du territoire pour y siéger comme constituants. Parmi eux, 3 représentants des peuples et communautés indiennes du pays, élus par 330 délégués issus de l’ensemble des peuples originaires du Venezuela. Réunis lors d’un congrès à Ciudad Bolivar, ces derniers se sont accordés sur les propositions à exposer pour l’élaboration de la future Constitution. Des propositions qui n’iront pas sans susciter de longs débats au sein de l’Assemblée...

Les revendications des peuples originaires seront en effet dénoncées par certains délégués comme susceptibles de porter gravement atteinte à la souveraineté et à l’intégrité de la nation. Ceux-ci brandiront notamment les risques d’une définition de la société vénézuélienne comme « multiethnique » et des Indiens comme « peuples » à part entière. Alléguant le danger d’une possible sécession indienne, ils s’opposeront également à ce que leurs « dialectes » soient reconnus comme des « langues », et leur justice coutumière comme un système judiciaire propre. Des rejets de principe, ayant surtout pour toile de fond deux des principales revendications des peuples originaires : que l’on reconnaisse leurs droits originaires sur leurs terres ancestrales, ainsi que leurs droits à contrôler les ressources naturelles présentes sur ces dernières. La majorité des constituants ne sera pas moins convaincue de la légitimité de ces demandes et en dépit de la campagne alarmiste, le chapitre « Droits des peuples indiens » sera approuvé en première instance par l’Assemblée Constituante le 3 novembre 1999. Il constituera la matrice du chapitre 8 de la Constitution Bolivarienne du Venezuela, approuvée par référendum le 15 décembre 1999.

Pour la première fois, les droits inaliénables des “peuples originaires” du pays sont reconnus. La nouvelle Constitution pose les bases d’un développement équilibré des ethnies survivantes, en reconnaissant leurs coutumes, leur culture et leur cosmovision. Le droit à une “éducation interculturelle bilingue” intégrant la langue maternelle, l’incorporation de la médecine traditionnelle au système national de santé, comme la reconnaissance de systèmes de juridiction propre ont désormais valeur constitutionnelle. Et surtout, l’Etat, à présent défini comme “multiethnique, pluriculturel et multilingue”, reconnaît enfin aux communautés indiennes le droit à la propriété collective de leurs terres.

Pour Luis Jesus Bello, avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme et des Indiens en particulier, « la Constitution vénézuélienne est l’une des seules au monde ayant inclus - de manière innovante - la reconnaissance d’un éventail élargi de droits aux peuples originaires » [5]. Des droits qui, selon lui, comptent autant que la participation accordée à ces peuples dans l’édiction de leurs droits. Pour l’avocat, les peuples originaires sont en effet ainsi « passés d’une situation d’anonymat, de marginalité et de non reconnaissance de leurs droits spécifiques à une réalité de participation active dans la défense de leurs droits et de leur vie collective en tant que peuples » [6].

Un nouveau modèle d’intervention officielle auprès de la population indigène se met ainsi en place avec la nouvelle Constitution vénézuélienne : aux politiques indigénistes se substitue une politique de reconnaissance et de participation. Une rupture aux impacts multiples, tant sur les structures de représentation de l’Etat que sur la population indienne elle-même.

Impacts politiques, impacts démographiques

La reconnaissance des droits des peuples originaires du Venezuela aura très vite des impacts politiques majeurs.

Tout d’abord, au niveau de la participation des indiens à la vie nationale. Pour la première fois de l’histoire du pays, trois représentants indigènes sont élus lors des élections législatives de l’an 2000 comme député-e-s de l’Assemblée nationale, huit autres dans les conseils législatifs des Etats à population indienne. Une Commission Permanente des Peuples Indigènes est également créée à l’Assemblée nationale.

Afin d’accélérer la mise en application des principes juridiques énoncés dans la Constitution, différents décrets sont par ailleurs signés depuis la présidence. Ceux-ci concernent notamment les langues indigènes, l’éducation interculturelle bilingue ainsi que la démarcation des terres indigènes. Un programme social spécifique exclusivement dédié à cette population est créé : la mission Guaicaipuro. Grâce à elle, près d’un million d’hectares de terres sera en quelques mois officiellement attribué à des communautés indiennes. Hugo Chavez prend en outre une décision symbolique qui aura beaucoup d’échos au sein de la population indienne : le 12 octobre, qui était jusqu’alors célébré comme le « Jour de la race » en référence à la « découverte de l’Amérique » et au métissage issu de celle-ci, est décrété « Jour de la Résistance indigène ».

Moins attendue, la reconnaissance des peuples originaires et de leurs droits aura un impact direct sur la population elle-même. Tandis que le Recensement Indigène de 1992 [7] témoignait de l’existence d’une population indienne de 315 815 personnes distribuées en 28 groupes ethniques situés dans 10 des 24 Etats du pays, celui de 2001 [8] rend compte d’une population indienne d’environ 534 816 personnes distribuées en 35 peuples originaires différents et réparties sur l’ensemble du territoire national. La population indienne du pays représente ainsi désormais 2,1% de la population vénézuélienne totale (estimée à 25 millions d’habitants). Ont ainsi surgi dans le recensement de 2001, non seulement une population indigène croissante en termes numériques, mais aussi un nombre considérable de « nouveaux » peuples et communautés revendiquant leur identité.

La reconnaissance des droits des peuples originaires du Venezuela dans la Constitution de 1999 aura ainsi permis un « processus d’auto-réaffirmation ethnique et de récupération d’identité culturelle » (Luis Jesus Bello), de la part d’un grand nombre de personnes qui avaient choisi d’oublier ou de masquer leurs origines indigènes dans le précédent contexte constitutionnel. Soit l’essor d’une « auto-identification indigène, le renforcement de l’identité individuelle et collective des peuples existants et la récupération de la mémoire historique des peuples originaires » (Ibid.).

Donnée importante, la majorité de la population indienne continue de vivre dans les Etats frontaliers et les zones géographiques difficiles d’accès, telles les forêts et les montagnes. Un choix qu’expliquent leur histoire comme la nécessité de l’autodéfense collective, mais qui ne va pas sans impliquer toute une série de difficultés dans la mise en application de ces nouveaux droits. « On peut décréter des lois, rappelle Mercedes Maldonado, on peut reconnaître des droits, mais rien ne changera si nous ne nous battons pas pour qu’ils soient appliqués ».

D’une société de prédation à une société de droit, une transformation lente et difficile

En dépit des avancées incontestables que représentent la Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela et son éventail juridique, les peuples originaires du Venezuela continuent de subir dans les faits des situations qui affectent leurs droits fondamentaux et pourraient, à plus long terme, menacer leur survie, individuelle comme collective.

Malgré la volonté politique manifeste du gouvernement, la mise en place des politiques publiques nécessaires à l’accomplissement de ces droits n’a pas été aussi rapide qu’attendue. La situation sanitaire reste ainsi précaire dans de nombreuses communautés difficiles d’accès, tandis que l’implantation de l’éducation interculturelle bilingue a souvent été retardée. Continuant de subir une situation d’abandon socioéconomique et la violence des espaces frontaliers, de nombreuses communautés continuent de se réfugier dans les zones urbaines. En dépit du dispositif juridique en la matière, les difficultés des contrôles dans certains espaces expliquent aussi que le « droit de propriété intellectuelle collective » des peuples originaires sur leurs savoirs traditionnels soit encore régulièrement violé.

Mais les plus grands défis concernent la mise en pratique de la reconnaissance des droits des peuples originaires sur leurs terres ainsi que sur la préservation de leurs ressources naturelles. Non seulement une grande insécurité juridique se maintient dans de nombreuses régions en raison des failles et retards du processus de démarcation de leurs territoires, mais surtout de nombreuses communautés sont toujours la proie de projets publics et privés ayant des impacts sur leur intégrité tant environnementale qu’économique, sociale et culturelle.

L’activité minière illégale continue ainsi ses dommages (Etats de Bolivar et d’Amazonas en particulier) mais elle n’est pas la seule. A l’exploitation des hydrocarbures du Delta de l’Orénoque, s’ajoute en effet une exploitation intensive du charbon dans l’Etat de Zulia où vivent certaines des plus grandes communautés indiennes du pays. L’Etat vénézuélien lui-même n’est pas exempt de contradictions : dans ce dernier cas, l’entreprise publique Carbozulia partage les mêmes torts que les multinationales opérant dans la région, telles Vale do Rio Doce (Brésil), Anglo American (Afrique du Sud-GB), Shell (Hollande-GB), Ruhrkohle (Allemagne) et Chevron-Texaco (Etats Unis).

Mais pour de nombreux indiens comme Mercedes, la faute n’en incombe pas directement à Hugo Chavez. « C’est, indiscutablement, le président qui s’est le plus occupé de nous. Il nous en avait fait la promesse et il continue de la tenir ». Récemment, l’expulsion de la mission « Nouvelles Tribus » leur en a fourni une nouvelle fois la preuve.

Un cas, l’expulsion des « Nouvelles tribus »

« C’est un ordre : les dites "Nouvelles tribus" doivent s’en aller du Venezuela », déclarait le chef de l’Etat vénézuélien le 12 octobre 2005, à l’occasion du "Jour de la résistance indienne". « Nous ne voulons pas de "Nouvelles tribus" ici, nous sommes une vieille tribu, il y en a assez de la colonisation ». Le président Hugo Chavez ordonnait ainsi l’expulsion de missionnaires évangéliques américains du mouvement "Nouvelles tribus", installés dans des régions à forte population indienne, les accusant d’envoyer des informations stratégiques au gouvernement états-unien.

Créée en 1942 par Paul Fleming, avec un siège principal à Stanford en Floride, cette organisation existe aujourd’hui dans 17 pays sur les 4 continents [9]. Liée au Summer Institute of Linguistics [10], elle serait entrée clandestinement en 1946 au Venezuela, en obtenant en 1952, sous la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-58), un permis de 6 mois. Ses activités, menées auprès d’une trentaine de communautés indiennes par quelques 160 missionnaires, étaient depuis plus de trente ans dénoncées aussi bien par des associations écologiques et des ONGs vénézuéliennes de défense des droits de l’homme, que par des membres de l’Eglise catholique et des officiers des Forces Armées. D’après leurs enquêtes, celles-ci, sous prétexte d’exercer un travail d’évangélisation, servaient en réalité de façade pour l’exploitation illimitée et illégale des ressources naturelles présentes en territoires indiens. Ceci, au profit de compagnies nord-américaines comme General Dynamics et Westinghouse, elles-mêmes liées à l’industrie militaire et au constructeur automobile Ford. D’après l’ancien congressiste Alexander Luzardo, cette organisation compterait à cette fin une flotte d’aviation, une trentaine de pistes d’atterrissage dans le pays, ainsi qu’un puissant réseau de télécommunications. Plus grave, l’organisation est accusée de s’être servi de communautés entières, Yanomami entre autres, pour des expérimentations génétiques.

Contraints de survivre dans les endroits les plus reculés, certains peuples originaires du Venezuela occupent, de fait, des espaces échappant à la vigilance des pouvoirs publics. Et parmi eux, certaines des plus grandes réserves minérales et biologiques du pays. Les principaux Etats indigènes du pays (Amazonas, Bolivar et Zulia) abritent en effet des réserves considérables et stratégiques (uranium, or, charbon, métaux précieux, plantes médicinales) qui en ont fait, et continuent de faire, l’objet des velléités de groupes économiques nationaux et étrangers. Leur combat pour la reconnaissance de leurs droits sur ces espaces sera donc certainement long et dur à mener. Dans ce contexte, l’expulsion des Nouvelles tribus est considérée comme une première victoire sur une prédation jusqu’ici incontrôlée des espaces de survie des communautés indiennes du pays.

Pour une reconnaissance plus ample des droits des peuples indigènes

Les voix des peuples indigènes du Venezuela n’ont donc pas fini de se faire entendre.

Le 7 juin dernier, plusieurs centaines de représentants des ethnies de tout le pays se sont ainsi rassemblés à Caracas pour participer à une « Première Marche Nationale des Peuples Indigènes ». Réalisée sous l’égide du Conseil National Indigène de la République Bolivarienne du Venezuela (Conive), cette « invocation à la vie et pour plus de révolution dans la Abya Yala (l’Amérique) » avait comme premier objectif de rappeler la solidarité des peuples originaires du pays avec leur président Hugo Chavez. Une manifestation de fidélité au chef de l’Etat dans un contexte où certaines communautés feraient l’objet de tentatives de manipulations de la part de secteurs hostiles au gouvernement [11].

Au-delà des revendications officielles, cette marche fut également une démonstration du pouvoir de mobilisation des communautés indiennes depuis la base. Et l’occasion de rendre visible l’existence de certaines, pas encore reconnues comme telles par les pouvoirs locaux. Comme l’explique Dario Fernandez, shaman Wayuu de l’Etat de Mérida, « Les peuples indigènes du Venezuela ont connu beaucoup d’avancées ces dernières années. Mais dans notre Etat, les autorités refusent toujours de reconnaître l’existence de huit communautés indiennes, ce qui nous prive non seulement de la possibilité de revendiquer la démarcation de nos terres, mais également d’avoir des représentants élus au sein de nos institutions ».

La question de la représentation se pose en effet aujourd’hui dans de nouveaux termes, et ce à tous les niveaux de l’Etat. La reconnaissance de l’existence d’un nombre croissant de peuples et communautés indigènes a eu pour corollaire de susciter de nouvelles revendications au sein de la population indienne du pays. C’est en tout cas la position que défend Pablo Martinez Romero, cacique d’une communauté Yukpa près de Valencia : « Le problème c’est que chaque peuple a sa langue, sa culture, ses coutumes. Pour sortir les peuples originaires de la misère, il faut accorder à chacun d’eux un représentant qui puisse défendre leurs intérêts. Trois députés à l’Assemblée nationale, c’est insuffisant ».

Les revendications sont multiples, les attentes immenses. « Nous sommes là pour appuyer notre Président, poursuit Pablo, mais aussi pour défendre nos droits. Toute notre vie nous avons été dominés par des personnes qui ne sont pas indigènes. Cette époque est finie. Depuis le début de son mandat, Hugo Chavez nous encourage à réclamer nos droits. On se battra jusqu’au bout pour les défendre ».


NOTES :

[1] Chef traditionnel

[2] Décrétée le 27 décembre 2005, celle-ci incite les « peuples, communautés et organisations indigènes » à participer « à la planification et à l’exécution des activités de démarcation », pour lesquelles « sera accordée une importance particulière aux connaissances ancestrales et traditionnelles apportées par les anciens... sur l’occupation de leur habitat et de leurs terres » (article 33, chapitre 4)

[3] Très grande propriété foncière

[4] In Emma Grand, Terraviva n°3 (www.ipsterraviva.net), 2006

[5] In Luis Jesus Bello, Derechos de los pueblos indigenas en el nuevo ordenamiento juridico venezolano, IWGIA, 2005

[6] Ibid

[7] Référendum Indigène de 1992, Oficina Central de Estadistica e Informatica (OCEI)

[8] Référendum Indigène de 2001, Instituto Nacional de Estadistica (INE)

[9] Au sein de cette organisation existent différentes tendances religieuses, mais principalement des groupes protestants de tendance baptiste auquel appartient le téléprédicateur Pat Robertson qui avait appelé l’an dernier au magnicide contre Chavez.

[10] Le Summer Institute of Linguistics (SIL) est accusé d’avoir participé au déplacement forcé de nombreux peuples indiens d’Amérique latine, au bénéfice de compagnies nord-américaines ou européennes désireuses d’exploiter les ressources naturelles présentes sur leurs terres ancestrales. Un des exemples les plus connus est celui du people Huaorani en Equateur dont les déplacements vers des réserves contrôlées par les missionnaires a provoqué de nombreux décès. En 1975, trente anthropologues ont signé la “Plainte de Patzcuaro”, accusant le SIL d’être lié à la CIA. En dépit de la fin des accords avec le gouvernement mexicain et équatorien, le SIL s’est maintenu dans ces deux pays. Au début des années 1990, l’organisation des peuples indigènes d’Equateur, le CONAIE, réitérait la demande d’expulsion du SIL hors du pays.

[11] Un document les dénonçant fut remis lors de la marche aux plus hautes instances de l’Etat. D’après le secrétaire général du Conive, Antonio Rodriguez (cité le lendemain par le quotidien Las Ultimas Noticias), les communautés indiennes des Etats de Zulia (Sierra de Perija) et d’Amazonas feraient l’objet de tentatives de manipulations (remise d’armes, diffusions de rumeurs quant à de supposés risques de dépossession de leurs terres et de leurs ressources par le gouvernement). Selon lui, l’objectif serait de « parvenir à des situations d’affrontements que ce soit avec des paysans ou avec l’armée, afin de créer des mouvements de déstabilisation dans les régions frontalières du pays », déjà sujettes aux intrusions de paramilitaires colombiens.


Johanna Lévy est sociologue.

http://www.alia2.net/article142910.html

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