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DIAL 2288

HONDURAS - La déclaration de Tegucigalpa. Oui à la vie, non à la dette

jeudi 1er avril 1999, mis en ligne par Dial

Du 25 au 27 janvier 1999 s’est tenue au Honduras la « Ière Conférence latino-américaine et caribéenne pour l’annulation de la dette - Jubilé 2000 », qui a donné lieu à la naissance d’une « Coalition » du même nom regroupant des représentants d’une quinzaine de pays (Argentine, Bolivie, Brésil, Costa Rica, Cuba, Équateur, El Salvador, Guatemala, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Pérou, Venezuela). À l’issue de cette rencontre, le texte ci-dessous a été rendu public. Il vient compléter pour nos lecteurs les deux documents déjà publiés par DIAL sur l’annulation de la dette (DIAL D 2192 et D 2243).


La dette extérieure de ce qu’on appelle le tiers-monde, par son montant exorbitant et la vitesse de sa croissance, par l’aggravation de ses conditions, exclut du développement économique et social les quatre cinquièmes de la population mondiale. Cette dette est l’expression directe de l’ordre économique mondial injuste, résultat de la longue histoire d’esclavage et d’exploitation à laquelle nos peuples ont été soumis.

La dette extérieure de l’Amérique latine au milieu des années soixante-dix s’élevait à environ 60 milliards de dollars, en 1980 à 204 milliards de dollars, en 1990 elle était de 443 milliards et les calculs les plus récents estiment qu’elle atteindra environ 706 milliards de dollars en 1999, ce qui nécessiterait environ 123 milliards de dollars pour le paiement du service de la dette. Pour le seul service de sa dette extérieure, la région a payé entre 1982 et 1996 la somme de 749 milliards de dollars, c’est-à-dire plus que la dette totale cumulée.

Dans ces conditions, la dette extérieure a été et est toujours impayable, illégitime et immorale.

Elle est impossible à payer ; mathématiquement il n’y a pas de formule pour le faire. Deux décennies complètes de refinancements que les pays en développement ne peuvent pas effectuer en sont la preuve flagrante.

Elle est illégitime car elle provient en grande partie de la décision de gouvernements dictatoriaux, non élus par le peuple, et aussi de gouvernements formellement démocratiques mais corrompus. La plus grande partie de l’argent emprunté n’a pas été utilisée au bénéfice du peuple qu’on veut aujourd’hui obliger à rembourser.

La dette est illégitime, aussi, parce qu’elle a augmenté grâce à des taux d’intérêts et des conditions de négociations imposées par les gouvernements et les banques créditrices, qui ont refusé de manière constante et abusive le droit d’association des gouvernements débiteurs, alors qu’eux-mêmes le faisaient à travers de véritables syndicats de créditeurs (Club de Paris, Comité de gestion) soutenus par le pouvoir de coercition économique du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le mot d’ordre était clair et décisif : vous négociez seuls, nous négocions groupés.

Il est immoral, en outre, de payer la dette extérieure parce que, pour le faire, les gouvernements de nos pays doivent lui consacrer un pourcentage très élevé du budget de l’État, ce qui affecte principalement les programmes sociaux, les salaires des travailleurs et des travailleuses, provoquant du chômage et affectant gravement le fonctionnement de l’économie. Il existe une énorme dette sociale dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la nourriture du peuple. Les États dépensent aujourd’hui 60 % de moins par habitant qu’en 1970. D’autre part, essayer d’augmenter les exportations conduit à surexploiter nos ressources naturelles de sorte que l’équilibre écologique de nos territoires est de plus en plus menacé et que la vie même des générations futures est mise en danger.

La dette est une justification supplémentaire pour maintenir les politiques néolibérales qui engendrent un mécanisme de dépendance durable par le biais du système, bien connu, des ajustements structurels.

Les opérations de recouvrement effectuées par les créanciers, avec le concours du Fonds monétaire international et la Banque mondiale, jusqu’à l’initiative pour les Pays pauvres hautement endettés (HIPC) [1], n’ont servi qu’à assurer la continuité des mécanismes d’endettement.

Du point de vue juridique, nous insistons sur le fait que la législation internationale et nationale sur la dette ne remplit pas sa fonction principale qui est de garantir la coexistence pacifique. Les normes juridiques qui portent atteinte à cet objectif suprême de la loi œuvrent contre l’intérêt général, mettent en péril la paix sociale et n’ont aucune raison d’être légitime. L’usure et la perception d’intérêts sur les intérêts doivent être interdits. Les pratiques monopolistiques des banques, des institutions internationales et des gouvernements du monde riche sont illégales, de même que l’interdiction de la libre association des pays endettés. La corruption systématique et presque légalisée, la fuite des capitaux et les « paradis fiscaux » font partie intégrante des problèmes juridiques relatifs à la dette extérieure.

Le Jubilé dans la Bible (Lv 25) veut rétablir la justice entre créanciers et débiteurs, ainsi que la paix et l’harmonie dans la société humaine, la nature et l’univers, et éliminer la servitude que les dettes ont causée.

À l’aube du troisième millénaire, prenant en compte la situation insupportable dans laquelle vivent nos peuples et inspirés par l’enseignement biblique du Jubilé, nous mettons en marche la Campagne latino-américaine et caraïbéenne - Jubilé 2000, qui s’inscrit dans le mouvement international pour l’annulation des dettes des pays pauvres en l’an 2000.

Le Jubilé 2000 - Amérique latine et Caraïbe exige :

1. L’annulation, en l’an 2000, de la dette immorale et illégitime des pays du tiers-monde selon les principes suivants :

 Transparence du processus et participation de toutes les parties.

 Pour les négociations futures : limitation du service de la dette extérieure à un pourcentage ne dépassant pas 3 % du budget annuel de chaque pays, en prenant en compte le précédent du Pérou en 1946 et de l’Allemagne en 1953. Implication complète et coordination de toutes les parties concernées, en tenant compte du droit à l’insolvabilité de pays qui, comme aux États-Unis, réglemente la procédure d’insolvabilité des collectivités locales. Droit d’appel pour tout pays endetté. Les créditeurs et les débiteurs nommeront le même nombre de juges pour un jury ou un tribunal d’arbitrage. Dans le cas des débiteurs, cela se fera avec une large participation de tous les secteurs de la société. Dans des cas particuliers, quand le tribunal d’arbitrage l’envisagera, on pourra créer un mécanisme qui permettra d’étudier la possibilité d’annulations partielles de la dette, en considérant les différents niveaux d’endettement, l’origine de la dette et les conditions de pauvreté de la population.

2. Prendre en compte, dans le processus d’annulation de la dette, la nécessité impérieuse d’assurer le droit au développement de l’Amérique latine et des Caraïbes, de l’Afrique et de l’Asie en même temps que le respect de tous nos droits humains en tant que personnes et que peuples, et la fin de l’impunité qui règne actuellement.

3. Réaliser un large audit sur le processus d’endettement de chaque pays à travers des tribunaux locaux, avec la participation des organismes de la société civile, garantie de transparence et d’information pour tous les citoyens et citoyennes.

4. S’assurer que les ressources libérées par la remise de la dette extérieure soient utilisées pour rembourser la dette sociale et écologique envers nos peuples, grâce à des plans et des programmes de développement humain, en particulier pour la création d’emplois dignes, le renforcement des politiques sociales d’éducation, santé et sécurité sociale, la protection de l’environnement. Il s’agit également de tenir compte de leur impact sur les groupes vulnérables, notamment les enfants, les personnes âgées, les femmes en général, les hommes et les femmes indigènes ; il faut enfin garantir la participation active de la société civile, dans la conception, l’exercice, le suivi et l’évaluation de tout le processus.

5. Transformer l’actuel système économique et financier mondial de telle sorte qu’il soit au service des êtres humains et qu’il s’appuie sur des relations internationales de justice, d’équité et de solidarité entre les pays et les peuples. Dans ce contexte, il faut renforcer les organismes politiques des Nations unies en leur restituant les fonctions de définition des politiques qui ont été usurpées par les organismes exécutifs.

6. Rejeter totalement l’Accord multilatéral sur les investissements, parce que la logique du marché et du capital entraîne la subordination totale des hommes et des femmes, des peuples et des nations.

Nous appelons les auteurs de campagnes menées dans les pays créditeurs à appuyer notre proposition. En particulier, nous demandons aux actions menées dans le Nord de ne jamais proposer des résolutions ou des lois sur la dette mentionnant des chiffres précis et de ne pas demander moins ce que nous demandons.

Nous lançons un appel aux peuples d’Amérique latine, des Caraïbes et du monde pour faire naître de nouvelles relations de pouvoir à tous les niveaux de la société, qui garantissent la lutte permanente contre toute forme d’injustice, de violence et de discrimination.

Nous voulons avec force la paix dans la dignité et la justice.

Non à la dette, oui à la vie.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2288.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Ière Conférence latino-américaine et caribéenne pour l’annulation de la dette - Jubilé 2000, décembre 1998.
 
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[1HIPC : Highly indebted poor countries.

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